Diane Rwigara, femme politique au Rwanda (Serge Dupuis)
Récemment, sur les réseaux sociaux, on a pu voir une jeune femme, Diane Rwigara, menottée et encadrée par deux policiers dans la capitale rwandaise. Agée de trente-six ans, elle était encore, il y a quelques mois, candidate à l’élection présidentielle qui s’est tenue au mois d’août dernier et a vu Paul Kagame remporter une écrasante victoire. Elle est la fille d’un homme d’affaires, Assinapol Rwigara, décédé il y a deux ans dans des circonstances dont sa famille assure qu’elles furent l’œuvre du gouvernement. Assinapol Rwigara était un riche homme d’affaires tutsi, financier du Front patriotique rwandais (FPR) au temps de la rébellion, avant de se brouiller par la suite avec celui-ci et le président Kagame. Il était avant son décès réputé pour jouir au Rwanda d’une importante influence parmi les militaires, les hommes politiques et dans les milieux d’affaires.
Au Rwanda, lorsque le pouvoir souhaite se débarrasser politiquement d’une personne ou bien la stigmatiser, il existe deux options. Si cette personne est hutue, les choses sont simples : elle se retrouve généralement accusée de vouloir recréer les divisions ethniques qui menèrent au génocide des Tutsis ou bien d’entretenir ce que les autorités appellent l’idéologie du génocide. Si la personne en question est tutsie, l’exercice est un peu plus compliqué : en toute logique, il est en effet difficile de l’accuser de se trouver dans le camp du génocide. Mais, ingénieux en la matière comme en beaucoup d’autres, le régime FPR lui réserve des accusations standard interchangeables selon les besoins : corruption lorsqu’il s’agit d’un proche du pouvoir, atteinte à la sûreté de l’Etat, appel à l’insurrection ou encore tentative de renverser le gouvernement en liaison avec des forces extérieures dans d’autres cas. En ce qui la concerne, Diane Rwigara est accusée d’incitation à l’insurrection populaire et de faux et usage de faux dans le cadre de la collecte des signatures qui étaient nécessaires à la présentation de sa candidature à l’élection du mois d’août.
Cette dernière accusation, qui a permis d’écarter sa candidature, rend compte du véritable « crime » de Diane Rwigara. Elle a voulu se présenter démocratiquement à l’élection présidentielle. Elle a ce faisant transgressé une loi d’airain du régime FPR qui veut que nul ne saurait impunément s’opposer véritablement à Paul Kagame, en particulier à l’occasion des élections. Elle se retrouve aujourd’hui en situation d’être condamnée à une peine de dix à quinze ans de prison.
Lors de son discours d’investiture, Paul Kagame a en particulier remercié les femmes qui s’engagent en politique. Ces paroles du président fournissent une autre clé de compréhension de la persécution qu’est en train du subir Diane Rwigara. Proclamé champion de la promotion des femmes et des femmes politiques en particulier, Paul Kagame ne conçoit en réalité le rôle de ces dernières qu’à l’image de ces parlementaires qui constituent plus de 60% du parlement rwandais : dociles, respectueuses, au service de ses instructions et sans aucun pouvoir. Là encore, c’est d’une transgression dont Diane Rwigara est coupable. Au demeurant, elle n’est pas la première à l’être, ni la première à qui le pouvoir dictatorial de Kigali s’est attaché à faire comprendre comment il concevait la liberté d’action et d’expression des femmes politiques.
Dans la prison centrale de Kigali, croupit en effet dans des conditions déplorables Victoire Ingabire. Rentrée au Rwanda en 2010 à la suite d’un long exil afin de présenter à l’élection présidentielle de la même année une candidature d’opposition véritable à celle de Paul Kagame, elle fut, comme Diane Rwigara, empêchée de le faire puis arrêtée, et se retrouva condamnée à 15 ans d’emprisonnement, comme Diane Rwigara risque de l’être. Le procès qui tenta de donner une apparence de justice à ce processus fut un procès politique où les droits de la défense furent de bout en bout bafoués. Victoire Ingabire fut condamnée pour conspiration contre les autorités par le terrorisme et la guerre et minimisation du génocide de 1994. Au cours du procès, aucune preuve crédible pouvant étayer le premier chef d’accusation ne fut produite, tandis que le second chef relevait des accusations standard évoquées plus haut. Dans le discours qui était à cet égard incriminé par le procureur, Victoire Ingabire était censée avoir commis le « crime » de demander que les coupables des massacres de Hutus durant les années 1990 soient punis. Elle avait pourtant pris de le soin, dans ce discours, non seulement de formuler la même demande concernant les responsables de la mise à mort des Tutsis en 1994, mais également d’utiliser, pour désigner ce génocide, le terme kinyarwandais spécifique qu’employaient les rescapés et le gouvernement lui-même avant d’adopter celui de « génocide ». Peine perdue : elle avait transgressé l’interdit qui veut qu’il n’y eut de victimes, dans les années 1990 au Rwanda, que tutsies et s’était ainsi exposée à se voir désigner comme négationniste ou avocate de la thèse du double génocide. C’était, après sa volonté de candidature contre Paul Kagame, son second crime : elle s’était exprimée librement.
Avant son arrestation, Diane Rwigara, quant à elle, inquiétait l’élite tutsie au pouvoir à deux titres. Femme libre, sans peur devant le pouvoir, déterminée, donc, à véritablement faire de la politique, elle était aussi une Tutsie dont une partie de la famille fut massacrée dans le cadre du génocide. Une Tutsie populaire dans la jeunesse rwandaise, dont le nom garde une certain poids dans la société, et qui, cependant, s’oppose au gouvernement. D’autre part, alors que ces responsables pratiquent l’art du mensonge à une échelle industrielle, son discours avait ceci d’intolérable qu’il disait la vérité sur le Rwanda. Il brossait un portrait de la société et du régime rwandais d’une remarquable pertinence.
Qu’on en juge. Diane Rwigara posait d’abord de bonnes questions. Comment se fait-il, interrogeait-elle, qu’un gouvernement qui est si populaire qu’il ne se trouve dans toute la population que dix personnes pour s’opposer au maintien de Paul Kagame à la tête de l’Etat jusqu’en 2034 s’acharne sur une candidate qui ne s’appuie sur aucun parti politique ? Nos responsables, demandait-elle encore, ont-ils véritablement du respect pour les femmes, ou bien n’est ce qu’une posture creuse visant à séduire les bailleurs de fonds occidentaux, comme tendrait à le montrer le traitement dont je suis l’objet ? Le FPR et le président Kagame ont mis fin au génocide en 1994, poursuivait-elle enfin, mais en quoi cela leur donne-t-il le droit aujourd’hui de nous terroriser et de nous réprimer ?
Lors de sa conférence de presse du 23 février 2017, Diane Rwigara avait par ailleurs sérieusement remis en perspective le récit qui veut qu’il y aurait une « success story » rwandaise. Elle avait mis en lumière que derrière les données macro-économiques, données sur la sincérité desquelles pèsent du reste de lourds soupçons, il y a la réalité d’une population qui vit dans la pauvreté et l’insécurité. Que la société rwandaise est minée par l’absence de liberté d’expression. Que sous l’unanimité officielle de la population derrière son président à l’occasion d’élections aux scores électoraux albano-coréens, c’est la peur de s’exprimer qui transparaît. Qu’une répression implacable, des disparitions, des meurtres inexpliqués nourrissent celle-ci. Que le régime dictatorial et néo-patrimonial instauré par le FPR exclut du processus de décision relatif au développement du pays des forces vives, qui, dans la nation, souhaiteraient apporter leurs idées et leur créativité. Qu’une classe privilégie détentrice des richesses du pays au détriment des citoyens rwandais s’est constituée. Et, encore, que le développement économique du Rwanda peut et doit s’accomplir parallèlement à un développement démocratique.
Il fallait bien faire taire Diane Rwigara, comme on avait fait taire Victoire Ingabire. Les photographies qui circulent sur internet et qui jalonnent l’épreuve qu’elle est en train de subir au moment même où l’on écrit suscitent trois sentiments. L’admiration devant le courage de celle qui, il y a quelques semaines, déclarait à un journal anglo-saxon : « je savais depuis le départ que les conséquences de s’exprimer étaient la mort ou la prison ». L’écœurement au spectacle d’un tel régime. Une pensée très forte, enfin, envers tous ceux qui, en France, apportent leur caution à cette dictature, dans la presse hebdomadaire ou quotidienne, sur des sites consacrés à l’Afrique, ou dans des tribunes auxquelles leurs cibles se voient refuser des droits de réponse dans l’espace médiatique qui les publient.
Serge Dupuis et Fondation Jean Jaurès