AU RWANDA, L’AUTOCENSURE DEMEURE LA RÈGLE
Vingt ans après le génocide, dans lequel les « médias de la haine » ont joué un rôle important, la liberté de la presse demeure un sujet sensible au Rwanda. Le « Comité pour la protection des journalistes » (CPJ) une puissante organisation d’origine américaine, a cependant osé envoyer un enquêteur au pays des Mille Collines, en la personne d’Anton Harber, professeur de journalisme à l’Université de Witwatersrand à Johannesbourg. Un Sud Africain donc, fondateur du journal anti apartheid « Weekly Mail » devenu « Mail and Guardian » et qui pourra difficilement être accusé d’avoir un « biais occidental »…
Son rapport, présenté à Bruxelles en présence de Sue Valentine, représentant le CPJ, Marie-Soleil Frère, professeur à l’ULB et Jean-Paul Marthoz, spécialiste des médias, est d’ailleurs nuancé : « la presse rwandaise est régie à la fois par la censure et par l’autocensure et beaucoup de journalistes craignent de tester les libertés qu’impliquent les récentes réformes des médias. » Cette prudence est inspirée par le fait que le gouvernement continue à agir impitoyablement contre les figures de l’opposition, à l’étranger et tolère mal les critiques portant sur certains sujets sensibles : les guerres aux frontières, l’action du président Kagame, la politique du Front patriotique rwandais et, plus largement, tout ce qui pourrait contribuer au divisionnisme et relancer les conflits ethniques.
Certes, le contexte historique est lourd : selon le Haut Conseil des Médias, 50 journalistes furent tués durant le génocide, d’autres furent lourdement condamnés par la justice internationale. Depuis lors, des petits journaux ont commencé à émerger, hebdomadaires et journaux occasionnels, mais dans un contexte économique difficile et de nombreux journalistes ont choisi l’exil. Dans le contexte des élections de 2010, deux journaux, Umuseso et Umyuvugizi ont été suspendus tandis que Jean-Léonard Rugambage, rédacteur en chef du second, était abattu devant son domicile à Kigali. En 2013 cependant, une nouvelle loi a allégé le contrôle direct du gouvernement, désormais remplacé par l’ « autorégulation » et levé plusieurs restrictions tandis qu’en 2013, les journalistes élisaient eux mêmes la Commission rwandaise des médias.
Les orateurs estiment cependant que si progrès il y a, il est plutôt impulsé d’en haut, le Rwanda étant désireux de faire bonne figure sur le plan international alors qu’en réalité l’autocensure persiste et que de nombreux journalistes, confrontés à une réelle précarité matérielle, pratiquent toujours le « giti » (les enveloppes brunes), les reporters se faisant payer pour assister à des évènements.
Malgré les démentis des autorités, plusieurs interlocuteurs d’Anton Harper ont mentionné l’existence de lieux de détention clandestins, des menaces adressées à des journalistes et des disparitions. En rappelant qu’avant d’être liée au développement ou à l’économie, la liberté de la presse relevait d’abord des droits de l’homme, la CPJ souligne la nécessité de mettre un terme aux actions des autorités chargées de la sécurité, qui ne supportent guère la critique.