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Publié par FRANCE-RWANDA TRIBUNE

Le carnet de Colette Braeckman

9 avril 2012

Selon Deo Ngendahayo, la réunion de Dar es Salaam qui précéda la mort du président Habyarimana était consacrée… au Burundi

« On lui avait dit qu’il ne ferait pas plus d’un mois au pouvoir… A la veille de son départ pour Dar es Salaam, le président burundais Cyprien Ntariyamira avait fait remarquer à ses collaborateurs qu’il y avait déjà trois mois qu’il avait succédé à Melchior Ndadaye, assassiné en novembre 1993. Vingt quatre heures plus tard, il trouvait la mort dans le Falcon 50 qui ramenait à Kigali le président rwandais Habyarimana… »

Depuis 17 ans, la polémique concernant l’attentat contre l’avion du président rwandais enflamme l’opinion car ce crash est généralement décrit comme l’élément déclencheur du génocide qui emporta un million de Tutsis et d’opposants hutus.

Le fait que, dans l’avion présidentiel se trouvait aussi le jeune chef d’Etat du Burundi est de plus en plus versé dans les oubliettes de l’histoire. Peut-être parce qu’à l’inverse du Rwanda, le Burundi n’a pas explosé, peut-être aussi parce que l’infortuné Ntaryamira, embarqué en dernière minute, fut en quelque sorte une victime collatérale de cet attentat qui ne le visait pas.

Déo Ngendahayo, lui, n’a rien oublié de ces heures tragiques. Et pour cause : administrateur général de la sécurité burundaise et très proche du président, il aurait du embarquer dans le Falcon et n’accepta qu’en dernière minute de céder sa place à Bernard Cyiza, le ministre de l’Information, qui voulait profiter du vol pour relire un communiqué de presse avec le chef de l’Etat.

Dix-huit ans plus tard, Déo Ngendahayo ne se souvient pas seulement d’être rentré à Bujumbura à bord du Beechcraft présidentiel, beaucoup plus lent, mais il se rappelle surtout le contexte de l’époque et le déroulement du sommet de Dar es Salaam qui s’était tenu le 6 avril.

Assis juste derrière le chef de l’ Etat burundais, il ne perdit pas une miette de la rencontre et aujourd’hui encore, il se pose des questions.

« A l’époque, le sort du Rwanda et du Burundi étaient étroitement liés : au Rwanda, le Front patriotique rwandais exigeait le retour des réfugiés et la participation à un gouvernement de transition ainsi que la fusion des armées. Au Burundi, le président Buyoya se présentait aux élections avec sérénité, persuadé de l’emporter devant son rival Melchior Ndadaye, à la tête du Frodebu. Lorsqu’en juin, contre toute attente, c’est Melchior Ndadaye qui remporta les élections démocratiques, Buyoya s’inclina. Si au Burundi, les vainqueurs se gardèrent de tout triomphalisme, c’est au Rwanda que cette victoire électorale d’un candidat hutu fut célébrée dans la liesse : Habyarimana y voyait un scenario de solution à la crise rwandaise ! Il se disait que, même si des concessions étaient faites au cours des négociations de paix, les élections générales, supervisées par la communauté internationale, allaient inévitablement amener au pouvoir un président hutu.

Le Front patriotique, pour sa part, craignait évidemment des élections générales et, avec ses mentors, il avait intérêt à ce qu’échoue l’expérience démocratique du Burundi… »

Pour Déo Ngendayaho en effet, le FPR n’était pas seul : « il était soutenu par le président ougandais Museveni, et aussi, à l’arrière plan, par les Etats Unis qui voulaient changer la donne dans la région, installer des pouvoirs forts capables de barrer la route à la poussée de l’Islam…Dans cette optique, Habyarimana devait céder la place. Quant à Mobutu, leur vieil allié, les Américains savaient déjà qu’il était atteint du cancer et que son temps était compté. »

Le début des années 90, c’était le temps de la démocratisation, à marche forcées s’il le fallait, et les puissances occidentales ne craignaient pas de bousculer les chefs d’Etat africains. Notre interlocuteur se souvient du sommet de la francophonie, qui s’était tenu à l’île Maurice en octobre 1993 : « en présence de Melchior Ndadaye, le président Mitterrand avait sérieusement tancé Mobutu et Habyarimana, leur enjoignant de démocratiser au plus vite. A tel point que le jeune président burundais s’était porté au secours de ses deux aînés, demandant qu’on les traite avec respect… »

Ce sommet devait être sa dernière intervention publique car dès son retour à Bujumbura, Ndadaye fut attaqué par des militaires, emmené dans une caserne vers 2 heures du matin, torturé, malmené et finalement mis à mort à 10 heures.

A l’époque, les Français, sur injonction du président Mitterrand, auquel Habyarimana avait téléphoné durant la nuit, proposérent même d’envoyer un commando tenter de le libérer, mais ils en auraient été dissuadés par les Américains. Alors que les Belges fermaient portes et fenètres et que l’ambassadeur refusait d’accueillir des cadres du Frodebu menaçés par les militaires, plusieurs membres du gouvernement ainsi que des membres du Frodebu furent protégés par l’ambassade de France et mis en sécurité à l’hôtel du Lac.

L’assassinat de Ndadaye plongea le Burundi dans l’horreur car les partisans du Frodebu se vengèrent sur les civils tutsis, l’armée se lança dans une violente répression et l’on décompta bientôt plus de 100.000 morts. Au Rwanda voisin, la mise à mort d’un président hutu démocratiquement élu donna des arguments aux extrémistes du « Hutu power » qui s’employèrent à torpiller la mise en oeuvre des accords conclus en août 1993 à Arusha.

Pour Deo Ngendahayo, « assassiner Ndadaye, c’était torpiller le principe « un homme une voix », rendre inapplicables les accords d’Arusha pour le Rwanda. Indirectement cela maintenait au pouvoir Habyarimana. Et, pour le FPR, cela posait l’équation suivante : «comment arriver au pouvoir sans passer par les élections, tout en bénéficiant malgré tout de la légitimité internationale ? »

En mars 1993, la crise burundaise occupait encore le devant de la scène et le sommet de Dar es Salaam y fut essentiellement consacré. Les souvenirs de l’ancien chargé de la sécurité présidentielle sont nets et précis : « nous savions alors que le président Mobutu, déjà très malade, ne comptait pas faire le voyage. C’est pourquoi à la veille du sommet, il reçut ses homologues rwandais et burundais à Gbadolite. Je le vois encore accueillir ses homologues et apostropher, dans un grand rire, les deux délégations qui n’assistèrent pas aux entretiens « ah c’est vous, les collaborateurs des deux présidents ? » J’ignore ce qui fut dit au cours du tête à tête entre les trois présidents, mais ce qui est certain c’est que la rencontre de Dar es Salaam fut essentiellement organisée pour débattre de la situation au Burundi. »

Le Burundi en effet était paralysé par les opérations Ville Morte, il était question d’y envoyer des troupes étrangères, la Tanzanie était prête à dépêcher 5000 hommes, l’armée burundaise s’opposait absolument à ce déploiement et prévoyait même d’aligner des fûts d’essence sur les pistes pour empêcher tout atterrissage forcé…

Lorsqu’il arriva à Dar es Salaam avec la délégation burundaise, Deo Ngendahayo, qui ne quittait pas son président d’une semelle, eut l’impression d’une certaine improvisation, sentiment qui se confirma au cours de la réunion des chefs d’Etat : « on savait déjà que Mobutu ne viendrait pas, le président Arap Moi ronflait durant la rencontre, comme s’il n’était qu’un figurant. Habyarimana ne prit la parole que durant deux minutes pour évoquer le litige du moment, la participation du CDR (parti extrémiste hutu) au gouvernement de transition, violemment contestée par le FPR et il se contenta de dire que cette question là était réglée. A aucun moment, il ne donna l’impression d’avoir cédé à quoi que ce soit. Les plus actifs furent les présidents Mwinyi de Tanzanie et Museveni d’Ouganda. Alors que la réunion ne devait durer qu’une journée, le premier la fit commencer en retard puis l’interrompit par un repas qui me parut interminable et dura de deux à trois heures. Le second, Museveni, se lança dans des blagues, des digressions comme il sait si bien le faire. Quant à Salim Saleh, le secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine, il récapitula la crise burundaise dans un discours qui n’en finissait pas. Quant à moi, j’étais assis à côté du docteur Akingeneye, le médecin personnel d’Habyarimana, qui rigolait et me glissa « on finira par me reprocher de l’avoir gardé en bonne santé… »

Vers 18 heures, alors que le soir tombait, la réunion se termina enfin, sans déboucher sur un résultat concret. C’est alors que Cyprien Ntariyamira, pour gagner du temps, demanda au président rwandais s’il pouvait l’accompagner sur Kigali, en proposant que le Falcon, plus rapide que son Beechcraft, le dépose ensuite à Bujumbura.

« J’étais préoccupé » se souvient Déo « je n’aimais pas me séparer du président, car je portais la mallette de sécurité, mais j’ai fini par céder ma place au ministre de l’information.

A 18 heures 30, après un certain remue ménage, car on se bousculait pour monter dans l’appareil des deux chefs d’Etat, l’embarquement a finalement eu lieu. Le chef d’ état major rwandais, le général Nsabimana a embarqué à son tour, et contrairement à ce qui a été dit par la suite, il ne paraissait pas particulièrement inquiet.

C’est alors que je vis le président tanzanien Mwinyi, qui venait de prendre congé de ses deux homologues : il avait le visage décomposé, comme s’il savait quelque chose, comme s’il se doutait que partait vers la mort une victime inattendue, le président du Burundi…

Par la suite, je me suis rappelé que les deux présidents avaient tenu à voyager ensemble vers Gbadolite, comme si la présence de deux chefs d’Etat pouvait les prémunir contre un éventuel attentat. Et je me suis demandé si le sommet de Dar es Salaam n’avait pas été organisé uniquement pour fournir une occasion… »…

Obligé de voyager à bord du Beechcraft burundais, l’administrateur général de la sûreté s’efforcait cependant de ne pas perdre son président de vue : « j’ai fait appeler la tour de contrôle de Kigali pour demander si « november-november » (c’était le code du Falcon) était en vue, mais une voix me dit que l’avion ne répondait pas… Quelques instants plus tard, j’appris qu’on avait coupé le courant sur l’aéroport de Kigali et un peu plus tard, une autre voix encore, très claire et très calme, me déclara : « November vient de s’écraser au sol, poursuivez votre route… » Dans le Beechcraft burundais, les membres de la délégation se sont alors mis à hurler… »

Regagnant Bujumbura, Deo Ngendahayo et ses compagnons retrouvèrent des hôtes qui s’étaient installés à l’aéroport depuis plusieurs jours, une compagnie de militaires américains arrivée là en se contentant d’informer le président burundais d’alors, Sylvestre Ntibantunganya, mais sans solliciter la moindre autorisation. « Ils sont arrivés avant le 6 avril, ils sont repartis environ deux semaines plus tard, sans être intervenus dans la situation au Rwanda. Nous n’avons jamais su ce qu’ils étaient venus faire… »

Rwandais et Burundais se demandèrent longtemps si cette compagnie américaine n’était pas venue en appui d’une opération très spéciale, qui se serait déroulée dans la soirée du 6 avril, mais jamais aucune réponse ne fut donnée à cette question…

Le carnet de Colette Braeckman

 

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