FRANCE : LE FRONT NATIONAL CHANGE DE NOM
« La dédiabolisation ça ne sert à rien. C’est de la langue de bois, du conformisme : on ne va quand même pas faire la danse du ventre devant nos ennemis ! » lâche une militante d’une soixantaine d’années qui se présente comme une ex-collaboratrice de Jean-Pierre Stirbois, secrétaire général du Front national entre 1981 et 1988, sous la présidence de Jean-Marie Le Pen.
À côté d’elle, son amie opine du chef. « Il faut tout assumer. Nous ça fait quarante ans qu’on assume. De toute façon l’actualité nous donne raison tous les jours, en ce moment : regardez l’Italie, la Hongrie, les États-Unis », s’emballe-t-elle.
Hier, au premier jour du congrès, la présence de l’ultraconservateur Steve Bannon, admiré par le Ku Klux Klan et les néonazis américains, a galvanisé les militants, pourtant arrivés avec le moral en berne. Incarnation de la droite américaine la plus dure, l’ex-directeur du média d’extrême droite Breitbart News a dirigé une partie de la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016. Il lui a également servi de conseiller stratégique pendant sept mois, avant de se voir brutalement limoger pour s’être répandu en confidences dans le livre de Michael Wolff, Le Feu et la Fureur. Comme le rapportait récemment le site Politico, Bannon a maintes fois expliqué son admiration pour l’extrême droite française, affirmant même que Charles Maurras était son « gourou ».
L’invitation du stratège populiste a surpris jusqu’à Jean-Marie Le Pen, membre cofondateur du parti d’extrême droite, pourtant exclu en 2015 pour ses dérapages sur la Shoah et le maréchal Pétain. Hier, l’ancien président d’honneur – dont la fonction vient d’être supprimée par l’adoption de nouveaux statuts –, indiquait à l’AFP que la venue de Steve Bannon n’était « pas exactement la définition de la dédiabolisation ». Et que penser des présences de Frédéric Chatillon, ex-chef du GUD accusé d’antisémitisme, ou de l’expert-comptable Nicolas Crochet – tous les deux renvoyés en correctionnelle dans l’affaire du financement des campagnes électorales de 2012 ?
Le temps où le FN cherchait à passer pour un parti respectable serait-il révolu ? Au dernier jour du congrès, Davy Rodriguez, assistant parlementaire de Marine Le Pen et numéro deux du Front national de la jeunesse, a été suspendu « à titre conservatoire ». Le jeune élu est accusé d’avoir lancé des insultes racistes – « sale Africain », « singe » – au vigile d’un bar lillois. Une version que dément l’intéressé, malgré une vidéo accablante révélée par Buzzfeed où on l’entend distinctement traiter ce vigile de « nègre de merde ».
« Vous vous battez pour votre liberté et on vous appelle des xénophobes, pour votre pays et on vous traite de racistes. Mais les jours de ce genre de paroles dégueulasses touchent à leur fin », assurait samedi l’invité vedette du congrès, Steve Bannon, n’hésitant pas à traiter les journalistes de « chiens » devant des adhérents remontés à bloc.
« C’est bien, j’ai l’impression qu’il y a moins de nanas et plus d’hétéros, on continue dans une ligne traditionnelle », se réjouit franchement un cinquantenaire en sortant de la salle dans laquelle vient d’être annoncée la liste des cent élus au comité central, rebaptisé « conseil central » pour l’occasion. Dans les dix premiers « par ordre d’arrivée », on retrouve sans surprise le compagnon de Marine Le Pen, Louis Aliot, suivi de Steeve Briois, Nicolas Bay, David Rachline, Bruno Gollnisch, Julien Sanchez, Stéphane Ravier, Wallerand de Saint-Just, Sébastien Chenu et Marie-Christine Arnautu. La nouvelle garde rapprochée de Marine Le Pen depuis le départ de Florian Philippot.
La dirigeante du parti, seule candidate à sa propre succession, a été réélue à l’unanimité des suffrages (2,87 % de votes blancs et nuls). Pour la présidente de la formation d’extrême droite, l’heure est manifestement au FN décomplexé. Son discours, introduit par un message vidéo de Matteo Salvini, le leader du parti d’extrême droite italien Lega dont elle est très proche, renoue avec les fondamentaux : il y est notamment question de la « submersion » migratoire, d’« islamisme », et même de « nomadisme » censés être les principaux maux de la société française.
Citant presque mot pour mot Steve Bannon, Marine Le Pen évoque « deux conceptions du monde » qui s’opposeraient : « ceux pour qui la nation est un obstacle et ceux pour qui elle est un joyau ». « Oui, nous sommes dans le sens de l’Histoire », lance-t-elle, emboîtant le pas de son invité américain, qui affirmait, la veille, devant les militants : « L’Histoire est de notre côté et va nous mener de victoire en victoire ! »
« L’immigration légale et illégale n’est plus tenable », soutient encore la candidate malheureuse à l’élection présidentielle de 2017, devant une foule qui se met soudain à scander : « On est chez nous ! On est chez nous ! » Et cette « refondation » tant annoncée, alors ? Hors de question de toucher à l’emblème, cette flamme tricolore adoptée dès 1972, annonce Marine Le Pen. Dans la salle, on entend un grand soupir de soulagement.
En fin de compte, en lieu et place de la « nouvelle impulsion idéologique, stratégique et politique » promise par la dirigeante du parti, il s’agira surtout d’un durcissement de la ligne et d’un changement de nom. Celui de Front national, « porteur d’une histoire épique et glorieuse », étant vécu « pour beaucoup de Français [comme] un frein psychologique », Marine Le Pen lui préfère désormais celui de Rassemblement national, moins connoté militairement. Celui-ci doit encore être validé par les militants, qui devront voter par correspondance dans les prochaines semaines.
« Changer de nom, ça sert à montrer ce qu’on est devenus, et ce à quoi on aspire. On a révisé notre programme, nous ne sommes plus le Front de 1972 », jurait ce matin Sébastien Chenu, l’un des porte-parole du parti, devant les journalistes alors même que le choix de ce nom laisse pour le moins perplexe. Car « Rassemblement national » peut évoquer, au choix, le groupe des députés frontistes élus à la proportionnelle en 1986, le parti d’extrême droite des années 1950 auquel participait Jean-Marie Le Pen ou le parti collaborationniste de Marcel Déat, le Rassemblement national populaire. Une référence pour le moins encombrante. Et qui pourrait doucher les velléités d’alliance de certains à droite. Ce dimanche l’ancien ministre sarkozyste Thierry Mariani avait appelé Les Républicains à tendre la main au Front national, un parti qui avait « changé », expliquait-il dans le JDD.
Devant le palais des congrès de Lille, certains militants se montraient sceptiques. « Cette opération marketing, franchement, je la déplore, explique une adhérente niortaise. Mais de toute façon, on va rester concentrés sur nos deux piliers, la souveraineté nationale et l’identité. Ce n’est pas en changeant l’étiquette qu’on change le pot ! »
Le FN tourne la page de la "dédiabolisation"
Arrondir les angles, durcir la ligne. Lors de son XVIe congrès, qui se tenait à Lille ce week-end, le Front national s'est livré à un remarquable grand écart : revendiquer une " refondation " ...