Rwanda : La vérité des falsificateurs
19 OCTOBRE 2015 - PAR MICHEL ROBARDEY
En publiant dans MEDIAPART le 16 octobre dernier « le PS déprogramme un colloque sur le génocide au Rwanda à l’Assemblée », les blancs menteurs tentent de se « victimiser » pour mieux assoir leur prétendue légitimité. C’est bien connu :« La victimité est de nos jours la forme la plus aboutie de la légitimité ».
En fait tout le monde s’amuse de voir ce club de plus en plus fermé d’hommes et femmes de gauche se plaindre du Parti socialiste auquel ils sont peu ou prou attachés. Parions qu’on ne verra pas un homme de droite – ou dit de droite- à leur rassemblement confortablement installé au Sénat de la République.
En fait, ce colloque supposé nous enseigner « la Vérité maintenant » n’est qu’une mauvaise tentative de riposte à celui qui s’est tenu au même endroit le 1 avril 2014 et qui s’intitulait : « Rwanda : la vérité des acteurs » : http://www.rfi.fr/afrique/20140402-paris-le-drame-rwandais-debat-lors-colloque-senat.
Peu après, une excellente émission de la BBC intitulée « Rwanda’s Untold Story » : https://vimeo.com/107867605 a repris l’essentiel des témoignages de premier plan présentés à cette occasion . On sait quelles ont-été les conséquences de cette diffusion sur les relations entre Kigali et la BBC[1].
Puis, les revers se sont enchaînés pour le camp de Kagame :
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L’arrestation à Londres de Karenzi Karake n’a pas été un succès. Tout juste a-t-on évité le désastre en obtenant sa non-extradition vers l’Espagne[2] ;
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Pire encore, le non-lieu dont a fait l’objet le père Wenceslas Munyeshyaka est d’autant plus durement ressenti par les associations qui s’acharnaient à envoyer cet innocent en prison que cette décision du Juge d’Instruction est conforme aux réquisitions du Parquet et parce qu’elle est solidement charpentée par un arrêt de quelques 84 pages fort bien argumenté.
Après ces événements dont l’impact fut considérable , le gouvernement de Kigali se devait de prendre une initiative pour essayer de restaurer la légende du "Kagame–sauveur" par ailleurs sérieusement mise à mal auparavant par l’excellent ouvrage de Jean-Marie Vianney NDAGIJIMANA[3].
Les communicants au service de Kagame ont donc fait appel à la vieille garde des blancs-menteurs telle qu'elle fut constituée lors d’un « voyage d’étude » au Rwanda du 15 au 21 février 2006. Au cours de ce séjour soigneusement organisé à Kigali par le ministre (français) Bernard Koucher dans ce qu’il appelle lui-même « une démarche longuement pensée, préparée avec soin…. »[4], plus d’une quarantaine de relais potentiels ont reçu les ordres de Kagame. La finalité de cette opération a été clairement précisée par un des participants à cette prise de consignes : « Pour une fois, ce ne sera pas à nous d’imposer cette histoire [5]» a révèlé sous la plume de Patrick de Saint Exupéry celle qu’il désigne par « Une rescapée tutsie (sic), étudiante en France ».
IMPOSER une histoire, c’est bien ce dont il s’agit aujourd'hui! Ou plutôt « réimposer une histoire » car, après les incontestables révélations de la BBC et du Colloque de 2014 qui ont fait ressurgir à la surface la vérité de 1994, il est indispensable de restaurer et réimposer maintenant la doxa que Kagame a lancée en 2006. Depuis plusieurs mois, ces missi dominici ont organisé en grande discrétion un colloque que, étrangement, ils n’ont rendu public que très peu de temps avant sa tenue. Les anciens du voyage de 2006 : Benjamin Abtan , Bernard Kouchner, inspirateur et « protecteur » du déplacement ; le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, Richard Prasquier, etc. sont annoncés .
Viennent en renfort de ce « canal historique », les élèves formatés par le sénateur rwandais José Kagabo à l’EHESS : Stéphane Audoin-Rouzeau et Hélène Dumas, thésarde du précédent.
Bien qu’ayant fait en 2006 le déplacement de Kigali, Madame Taubira ne sera pas là, parait-il. Ne croyez pas que cette réserve est l’expression de la neutralité qui sied à un Garde des Sceaux. Non ! A cet éminent personnage, a été confiée une autre mission : celle de traficoter les lois mémorielles. D’ailleurs, elle s’est très largement affranchie de son devoir de neutralité en rendant un hommage inattendu par communiqué du Ministère de la Justice à l'Association Communauté Rwandaise de France et en se félicitant de pouvoir « élargir la définition des associations habilitées à se constituer parties civiles lorsque de tels crimes[6] ont été commis ». On appréciera à ce sujet la réaction pleine de dignité et de raison de cette autre association de rwandais qui déclare « Mme la Ministre prend fait et cause pour une association dont les liens avec un des auteurs des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre au Rwanda et en RDC, le Front Patriotique Rwandais (FPR) pour ne pas le citer, sont de notoriété publique. Nous pensons que Mme la Garde des Sceaux doit s'abstenir de favoriser un seul acteur associatif et s'en tenir au caractère général des modifications légales qu'elle compte proposer » et rappelle que « L'ACRF n'est pas, loin s'en faut, la seule et unique association rwandaise représentant les intérêts des victimes du génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre commis au Rwanda ou dans les pays de la région des Grands lacs ».[7]
Devant l’impossibilité de plus en plus apparente pour Kigali et ses « envoyés spéciaux » d’occulter les preuves de la culpabilité de Kagame et de ses lieutenants dans le drame rwandais, et faute de pouvoir faire taire tous les témoins, on va donc user de la loi. Quelle belle démarche d’intellectuel en pays de démocratie ! Au débat ouvert, preuve contre preuve et argument contre argument on trouve plus aisé d’imposer la doxa par la loi !
Des QPC[8] concernant les lois mémorielles[9] s’entassent sur le bureau du Conseil constitutionnel. Cette nouvelle démarche soulèvera probablement autant de polémiques que les précédentes. En 2005, dix-neuf historiens - dont Elisabeth Badinter, Jean-Pierre Vernant ou Pierre Vidal-Naquet – ont lancé une pétition intitulée "Liberté pour l'histoire". Ils écrivaient que "dans un Etat libre, il n'appartient ni au Parlement ni à l'autorité judiciaire de définir la vérité historique" et "Le concept même de vérité historique récuse l'autorité étatique, nationale et ecclésiastique."
Que vaut cette « vérité maintenant » des organisateurs du colloque du 19 octobre 2015 lorsqu’ils envisagent de recourir à la « force injuste de la loi » pour imposer le mensonge kagamesque ?
Que vaut cette « vérité maintenant » qui se mijote entre soi sans jamais accepter le débat ? Tout a été fait par les organisateurs de ce colloque pour ne le rendre public que peu de jours avant sa tenue afin d’éviter les demandes de participation non désirées. Le 1 avril 2014, après avoir échoué dans toutes ses tentatives pour faire interdire la « La vérité des acteurs», Kigali s’y était fait représenter. José Kagabo, sénateur rwandais et membre éminent de l’EHSSS (Cf. supra) avait été installé au premier rang avec deux membres de l’Ambassade du Rwanda à Paris. Ils avaient pu s’exprimer autant qu’il le souhaitaient. Mais, face aux témoignages incontestables des acteurs comme devant les analyses documentées des experts internationaux (Carla del Ponte, Reyntjens, etc.), ils n’avaient pu faire que la preuve de la vacuité de leurs arguments.
Les blancs-menteurs redoutant le débat, on causera entre soi et on se congratulera mutuellement. On pourra ainsi tout à son aise traiter les contradicteurs absents de « négationnistes », voire de « génocidaires », pour mieux se conforter dans l’idée qu’on va devoir leur imposer prochainement une loi liberticide… et en regrettant probablement de ne pas pouvoir encore les envoyer en prison pour « divisionisme » comme l’a fait Kagame de Victoire Ingabire dont le seul tort a été de s’opposer à lui lors d’une élection « démocratique » et qui,pour cela, dépérit depuis cinq ans dans les geôles de Kigali.
[1]http://ikazeiwacu.fr/2015/10/16/bbcgate-the-untold-story-behind-the-war-between-bbc-and-paul-kagame
[2] Espagne qui vient de confirmer très récemment que le mandat d’arrêt qui vise ce proche collaborateur de Kagame reste valable.
[3] http://livre.fnac.com/a2668865/JMV-Ndagijimana-Paul-Kagame-a-sacrifie-les-Tutsi?Origin=fnac_google
[4] « Pour un dialogue des mémoires » - Albin Michel -2007 - p.15
[5] « Pour un dialogue des mémoires » - Albin Michel -2007 - p. 24
[6] Il s’agit ici d'apologie de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Mais on voit bien que au-delà de cet article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sera également modifié dans le même sens l’article 24 bis de la même loi réprimant « ceux qui auront contesté….. l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité… ».
[7] http://www.france-rwanda.info/2015/10/france-rwanda-les-associations-rwandaises-pourront-desormais-poursuivre-les-negationnistes-devant-la-justice-francaise.html
[8] Décision n° 2015-492QPC du Conseil Constitutionnel en date du 16 octobre 2015.
[9] Article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881