Le président Paul KAGAME reconnaît les crimes contre les Hutu. Par Dr Sosthène Munyemana.
A l’occasion de sa rencontre avec Lord Evgeny Lebedev[1], le président rwandais Paul Kagame a, pour la toute première fois, reconnu que beaucoup de hutu avaient été tués au moment du génocide. Paul Kagame n’a pas donné de détails, notamment de date, identité des victimes, nature des crimes et de leurs auteurs supposés. Ces révélations revêtent toutefois une importance considérable.
Les partis d’opposition à l’intérieur du pays, DALFA-UMURINZI et PS-IMBERAKURI, ont positivement réagi aux déclarations du président Kagame. Dans leur communiqué de presse du 5 mars 2021, ils accompagnent d’un bémol les félicitations qu’ils adressent au chef de l’Etat pour sa nouvelle position sur un sujet qui était tabou au Rwanda.
Les présidents de ces partis recommandent au chef de l’Etat de concrétiser sa parole par des gestes forts tels que : instaurer un jour anniversaire de commémoration des victimes hutu, inhumer dignement leurs corps dispersés sur les collines, mettre en place un fond d’aide aux familles des hutu victimes de ces massacres, inciter les acteurs des massacres à demander pardon aux familles des victimes, réhabiliter dans leur innocence ceux qui ont été condamnés pour avoir évoqué ces tueries et leur verser des indemnisations. Ils suggèrent également la conversion de la Commission Unité et Réconciliation en Commission Vérité, Unité et Réconciliation.
Il convient d’ajouter à ces légitimes souhaits celui d’accepter la réalisation d’enquêtes indépendantes sur les victimes hutu et Twa (car des Batwa ont aussi été tués dans cette tragédie), les identifier, préciser le lieu et le moment de leur mort, rechercher et sanctionner les coupables.
Pour qui et pourquoi maintenant ?
Il convient de se poser la question sur les raisons et le moment choisi par le président Kagame pour ramener ces morts à la surface. Il n’est certainement pas anodin que Paul Kagame fasse le choix d’un média étranger, et non rwandais, pour faire son annonce. Voyons les faits.
Tout d’abord rappelons, qu’en 1994, alors que l’ONU avait désigné la tragédie rwandaise de « génocide rwandais », l’Assemblée Générale de l’ONU en sa séance du 26 janvier 2018 cédait aux pressions du Rwanda en validant l’appellation « génocide des Tutsi ». Elle désignait le 7 avril de chaque année « Journée internationale de réflexion sur le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 ». A l’époque déjà, le représentant à l’ONU des Etats-Unis, se ralliant à l’adoption du texte, formulait aussi des réserves du fait de revenir sur des textes précédents. Le représentant de l’Union Européenne, lui aussi, en se félicitant de la décision, regrettait en même temps le manque de consensus pour réfléchir sur le sort des victimes non-tutsies qui s’étaient opposées au génocide.
Différents rapports reconnaissent que des victimes non-tutsies se comptent par milliers dans la tragédie rwandaise depuis les années 1994[2]. Comme précisé dans le rapport de HRW cité en référence, des massacres systématiques commis par le FPR étaient rapportés par l’équipe de Robert GERSONY de l’UNHCR dont la mission était tout autre. Cette équipe a pu établir que le FPR avait participé à des meurtres et persécutions systématiques de la population Hutu, qu’il aurait tué entre 30.000 et 45.000 personnes dans la seule région de l’Est du pays durant les mois d’avril à août 1994.
Le Département d’Etat des Etats-Unis est au courant de ces faits d’une part grâce au rapport de Robert GERSONY, d’autre part au mémorandum de septembre 1994 de George E. Moose dont le titre est « New Human Rights Abuses in Rwanda »[3].
Eu égard à ce qui précède, la déclaration du président rwandais est un non-événement. Il est clair que Paul Kagame répond, non pas aux rwandais, mais à ses parrains Anglais et Américains. En examinant de plus près le contenu de l’article du The Independent, il n’est même pas exclu que Lord Evgeny Lebedev ait été porteur de leur message au président rwandais. Le président rwandais introduit en effet le sujet par une réflexion sur l’opposition des Etats-Unis et du Royaume Uni contre la résolution désignant le génocide de « génocide contre les Tutsi ».
A un mois de la 27ème commémoration du génocide commis au Rwanda, le principal souci de Kagame est de désamorcer les réticences anglaises et américaines exprimées dans leurs courriers du 20 avril 2020 par les représentants des deux pays à l’Assemblée Générale de l’ONU. Ils dénonçaient le manque de transparence dans le processus de négociation et d'adoption de la résolution ayant abouti à l’appellation de « génocide de 1994 contre les Tutsi ».
Les Blancs ont la mémoire courte !
Il y a une dizaine d’années Paul Kagame était destinataire d’un avertissement de ses parrains Américains. Après qu’il eut ouvertement menacé ses opposants le 25 mars 2010, dans une allocution devant les deux chambres du parlement : « …prendre un marteau, frapper une mouche, tuer la mouche avec un marteau, nous n’hésiterions pas à le faire », on lui avait dépêché son amie Susan RICE. Elle lui tenait un discours lénifiant sur la vitalité économique et les progrès sociaux au Rwanda avant d’ajouter[4] : « Mais la culture politique du pays reste relativement fermée. Les restrictions sur la presse perdurent. Les activistes de la société civile, les journalistes et les opposants politiques du gouvernement craignent souvent de s'organiser paisiblement et de s'exprimer. Certains ont été harcelés. D'autres ont été intimidés par des visiteurs nocturnes. Et quelques-uns ont tout simplement disparu ». KAGAME écoutait, mais par-dessus tout, retenait qu’il avait encore le permis de tuer. Il ne s’en priva pas, non sans avoir au préalable traité Suzan RICE de « malade mentale[5] ».
La coopération s’est poursuivie, comme si de rien n’était, renforçant chez Kagame sa conviction intime que « Les wazungus [blancs] font du bruit, mais ils finissent par oublier »[6]. Conviction à connotation raciale anti-blancs ancrée chez les anciens monarques rwandais. Ceux-ci déclaraient dès leur contact avec le colonisateur[7] : « Les Blancs sont d’une naïveté désarmante ; ils n’ont point d’Ubwenge (intelligence). (…). Leurs réalisations admirables (routes, écoles, hôpitaux, maisons) témoignent d’une certaine intelligence des livres, mais ils n’ont pas l’Ubwenge ; car ils ne comprennent rien ».
Il semble que, depuis la note des représentants anglais et américains à l’ONU, Paul KAGAME les prenne au sérieux. Il n’empêche qu’il les considère toujours comme des malades mentaux dénués d’Ubwenge, d’où le recours au bluff à leur intention avec sa concession sur les victimes hutu. On le connaît rompu à ce genre de tactique, dont il use régulièrement avec la France. Au moment où Louise MUSHIKIWABO postulait au poste de Secrétaire général de la Francophonie, le Rwanda était sur la sellette en raison de sa violation des droits de l’homme. Des protestations s’élevèrent en France, embarrassant son homologue français. Paul KAGAME faisait quelques concessions en guise de transaction. Il relâchait trois détenus les plus en vue à savoir, Victoire INGABIRE UMUHOZA, Diane SHIMA RWIGARA et le chanteur KIZITO MIHIGO. Le deal se fait à son avantage. Non seulement le poste à la Francophonie est obtenu mais aussi et surtout, dans la foulée, une décision de non-lieu dans l’attentat contre l’avion de HABYARIMANA est rendue en sa faveur, même si elle ne tire pas un trait définitif sur ce dossier.
Par le même procédé, la ruse, il est évident que Paul KAGAME cherche à calmer ses parrains britanniques et américains en cédant un peu sur les massacres des hutu. En prétendant qu’ils n’ont pas été tués pour ce qu’ils sont, en dépit des rapports qui établissent le contraire, il entend négocier le maintien de la désignation exclusive de « génocide contre les tutsi ». Il est incontestable que les Tutsi aient été victimes du génocide. Le seul point d’achoppement, c’est que Kagame veut s’ériger en juge, le seul à pouvoir dire comment doivent être nommées les autres tueries survenues.
La reconnaissance « présidentielle » de ces crimes constitue un pas non négligeable, notamment sur le plan juridique. En effet, Paul Kagame a certes le droit de reconnaître les crimes contre les non-tutsi, mais n’a nullement pas celui d’en définir la nature ni d’en désigner les auteurs. En définitive, il est autant suspect que d’autres protagonistes dans les événements survenus au Rwanda. C’est pourquoi l’aveu de Paul Kagame oblige la communauté internationale à mettre en place un dispositif indépendant pour élucider les crimes commis au Rwanda depuis le 1 octobre 1990, date d’invasion du Rwanda par le FPR dirigé par Paul Kagame. La désignation définitive du drame, « génocide rwandais » ou « génocide contre les Tutsi », fera l’objet d’un consensus à l’issue de ces investigations.
Sosthène MUNYEMANA
[1] www.independent.co.uk: Rwanda’s president to make conservation his country’s next battle », Tuesday 02 March 2021, writen by Evgeny Lebedev
[2] - S/1994/1405 : Rapport final de la Commission d’experts présenté conformément à la résolution 935 (1994) du Conseil de sécurité, p.20-21
- https://www.hrw.org/legacy/reports/1999/rwanda/Geno15-8-03.htm
[4] « Construire une nouvelle nation : les progrès et le potentiel du Rwanda » Allocution prononcée par Mme l'ambassadrice Susan E. Rice, représentante permanente des États-Unis aux Nations unies, à l'Institut des Sciences et de la Technologie de Kigali le 23 novembre 2011
[5] Allocution du président KAGAME à la fin des travaux communautaires (Umuganda), le 26 novembre 2011 à Nduba dans le district de Gasabo
[6] Citation du livre DO NOT DISTURB de Michela WRONG par Joan CARRERO : « L’UE tolérera-t-elle que Kagame assassine même des diplomates européens de haut niveau? », https://l-hora.org/fr/lue-tolerera-t-elle-que-kagame-assassine-meme-des-diplomates-europeens-de-haut-niveau-i-joan-carrero-01-03-2021
[7] Edouard GASARABWE : « Le geste Rwanda », Union générale d’Edition, 1978, p.27. L’Ubwenge signifierait ainsi la ruse, érigée au rang de valeur positive chez ceux qui en usent, et non l’intelligence.