ALERTE : LE RETOUR DES NEGRIERS
Dr Sosthène MUNYEMANA
On commençait à peine à oublier l’ignoble commerce de nègres du 16è au 19è siècle par certains pays européens. L’Union européenne s’engage dans ce qu’on pourrait qualifier de nouveau commerce triangulaire.
Selon RFI[1], le Rwanda a signé un accord avec le Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR) et l’Union africaine (UA) un accord pour accueillir des migrants africains des centres de détention libyens. Cette entreprise serait financée par l’Union européenne. On ignore actuellement le montant de la transaction. Ni l’Union européenne, ni le Rwanda ne veulent en faire la révélation. Preuve, s’il en faut, qu’ils sont l’une et l’autre conscient de sa gravité.
Une réponse, selon Hope TUMUKUNDE interviewée par RFI, du Rwanda qui voudrait sortir ces pauvres migrants africains de l’enfer libyen. Enfer révélé au monde en novembre 2017 par une vidéo de CNN dénonçant l’existence de marchés aux esclaves en Libye.
DES PRÉCÉDENTS INQUIÉTANTS
Il s’agit d’une deuxième tentative du Rwanda. Après la vidéo de CNN de novembre 2017, un twitt de Louise MUSHIKIWABO, à l’époque ministre des Affaires Etrangères, annonçait que le Rwanda souhaitait accueillir jusqu’à 30000 de ces esclaves du 21è siècle. Paul KAGAME recourait une fois de plus à l’instrumentalisation des drames humains dans un but évident d’en tirer un bénéfice politique et un profit personnel. La méthode a fait ses preuves dans le génocide rwandais, les Tutsi ont été sacrifiés[2] pour des avantages similaires.
Parallèlement à cette opération d’accueil de réfugiés en Libye, un autre contrat était en cours avec l’Etat d’Israël. Plus médiatisé, la transaction financière de ce deuxième contrat dévoilait tout le cynisme et la supercherie du personnage. Le gouvernement Israélien devait envoyer 40000 réfugiés érythréens et soudanais du camp d’Holot au Rwanda. Ce dernier pays percevrait, selon l’accord, 5000 dollars par tête, soit un total de 200 000 000 de dollars. Les réfugiés n’acceptant pas ce marché étaient emprisonnés en Israël. Chaque réfugié participant à l’opération recevait 3500 dollars pour le billet d’avion jusqu’à Kigali et sa prochaine installation.
On apprendra que ce genre de commerce de réfugiés entre Israël et le Rwanda, resté secret, avait en réalité débuté deux ans avant. En 2015, le Rwanda avait reçu 4000 réfugiés, tous venus de ce camp d’Holot. Galia SABAR, chef des études africaines au Moyen-Orient et Afrique Département d'histoire de l'Université de Tel Aviv, décrit le triste parcours de ces réfugiés[3]. Madame SABAR s’est rendue au Rwanda et en Ouganda sur la trace de ces demandeurs d'asile. Au Rwanda, le principal pays où Israël les avait envoyés, SABAR n'en a retrouvé aucun. Elle a suivi leur itinéraire : « Dès leur atterrissage à Kigali ils sont accueilli par un dénommé John. Leurs documents officiels, le laisser-passer leur délivré par Israël, sont tout de suite confisqués par les autorités rwandaises. Les réfugiés sont ensuite conduits dans une villa. Chacun paye de 10 $ à 150 $ pour être logé deux nuits. Ils ne peuvent plus quitter cette villa sans l’autorisation de John. La porte est fermée et protégée par un garde ».
Après un ou deux jours, John les faisait passer en contrebande, au prix de 250 $ à 400 $ par personne, en Ouganda, avec la promesse de trouver asile et de travailler légalement à un salaire raisonnable dans ce pays.
« Les Rwandais et les Ougandais savent, poursuit SABAR, que chaque demandeur d'asile érythréen a $ 3500 en poche. Tous les gens que j’ai interrogés ont déclaré que, à un moment ou un autre un fonctionnaire ougandais a exigé le paiement de leur part. C’était parfois 150 $ ou 200 $, un jeune homme a été délesté de $1000. S’ils ne paient pas, la police ougandaise les menace de les arrêter et de les mettre en prison ».
Surprise d’apprendre que l’homme qui les a accueillis à l'aéroport soit membre du réseau, SABAR a décidé de rencontrer John, qui déclare : « Je ne veux pas parler .... Je ne peux pas parler parce qu'il s’agit d’un système complexe. Je ne veux pas de problèmes ", (…). "Je ne connais pas l'ensemble du processus. …Je viens et leur souhaite la bienvenue. Je prends les papiers qu'ils apportent et je les transmets ». SABAR cherche ensuite à savoir à qui John remettait les documents délivrés par Israël : « Je ne veux pas en parler, je ne veux pas avoir des ennuis .... Regardez, j’ai peur tout le temps ». Avant de lâcher, finalement, que ce sont les autorités rwandaises qui l’envoyaient pour accueillir les demandeurs d'asile et que les informations précises sur leur arrivée lui parvenaient d'Israël.
Ces transactions financières inquiétantes parvenaient HCR[4]. Celui-ci finissait par reconnaître que les 4000 réfugiés réinstallés au Rwanda et en Ouganda en 2015 n’ont pas trouvé une sécurité suffisante, ni une solution durable à leur situation, avant de rappeler à Israël son devoir en ces termes : « En tant qu’État partie de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, Israël a l’obligation de protéger les réfugiés et les autres personnes nécessitant une protection internationale ».
Une enquête supplémentaire du journal Israélien Haaretz[5] révélait que l’arrivée (de ces Erythréens et Soudanais) au Rwanda était « le début d’un long voyage en enfer, marqué par le trafic de chair humaine, la torture, et souvent la mort, quelque part en Libye ou dans les eaux de la Méditerranée ».
« A peine arrivés à l’aéroport rwandais de Kigali, poursuivent les auteurs de l’enquête, les déportés se voient confisquer la seule documentation qu’ils ont sur eux, le laisser-passer qui leur a été remis par les Israéliens (...). Les Rwandais les livrent ensuite à des passeurs, qui les transfèrent –contre paiement de centaines, voire de milliers de dollars- en Ouganda, puis au Sud-Soudan, au Soudan et de là en Libye, d’où ils essaieront de gagner l’Europe ».
Les enquêteurs du journal Haaretz ont retrouvé, en Allemagne, deux survivants de ce périple. Les auteurs rapportent le calvaire de l’un de ces migrants : «Dawit (le prénom a été changé) est parti ‘volontairement’ vers le Rwanda il y a environ deux ans, avec sa jeune épouse enceinte de deux mois ». (…). En Libye, les passeurs ont placé Dawit sur un bateau, et sa femme sur un autre, qui a rapidement fait naufrage, noyant les centaines de malheureux à son bord ».
LE DESSOUS DES CARTES
Voilà les réfugiés que Paul KAGAME veut sortir de l’enfer libyen avec le financement de l’Union européenne. Certains sont peut-être déjà passés par Kigali, revendus en Uganda, puis au Soudan pour enfin se retrouver en Libye. C’est un système mafieux sous couverture humanitaire dont le président Paul KAGAME est l’acteur principal. Aux montants officiellement versés s’ajoutent les recettes de la contrebande.
L’enquête de Haaretz permet de comprendre l’empressement du Rwanda pour ramener à Kigali les migrants africains se trouvant en Libye. Au-delà des avantages politico-médiatiques, la manœuvre a aussi pour but d’identifier et éliminer les témoins gênants ayant transités à Kigali.
Selon l’accord qui vient d’être conclu entre le Rwanda, le HCR et l’UA, deux options sont envisagées sur le devenir de ces personnes objet de la transaction : La possibilité pour ces migrants de retourner dans leur pays d’origine ou le retour dans un pays dans lequel ces réfugiés ont reçu l’asile dans le passé. Kigali ne risque plus d’être accusé, comme ce fut le cas pour les réfugiés d’Holot, d’avoir remis (revendu ?) ces migrants à des tiers. C’est contenu dans l’accord !
Il est surprenant que le HCR, semble-t-il au courant des transactions financières antérieures sur les migrants, soutienne la nouvelle initiative du Rwanda. Babar BALOCH, le porte-parole du HCR, en donne la justification suivante[6] : « la vie des migrants en Libye est en jeu, un centre de détention pour migrants a été bombardé ». Le Rwanda, pays d’accueil de ces migrants « en danger », n’est pas exempt de critiques. En avril 2018, le camp de réfugiés congolais de KIZIBA, sous protection du HCR, a été attaqué par les forces de police rwandaises lourdement armées, sur ordre du gouvernement[7]. A la date de publication de l’article, onze réfugiés tutsi congolais y avaient été tués par armes à feu avec viseur au laser; d’autres décès de blessés surviendront plus tard.
Sur le devenir de ces réfugiés, au-delà des deux options du contrat, d’autres hypothèses évoquent la possibilité d’utiliser cette main d’œuvre étrangère bon marché comme mercenaires dans les guerres que Paul KAGAME ne cesse de provoquer dans la région des Grands Lacs africains[8]. Cette inquiétude est fondée. Depuis 1995, Paul KAGAME entretient des rébellions incessantes chez son voisin de l’Ouest, la République Démocratique du Congo, dans le but non avoué de s’approprier une partie de ce pays dont le sous-sol regorge de toutes sortes de minerais qui lui valent le nom de « scandale géologique ». Il est en froid avec le voisin du Sud, le BURUNDI où, au moins à deux reprises, il a tenté de provoquer un coup d’État. Le torchon brûle avec la Tanzanie située à l’Est du Rwanda, depuis l’époque où KAGAME menaçait ouvertement d’assassiner l’ancien Président KIKWETE. Il s’est brouillé avec son parrain Yoweri MUSEVENI, Président de l’Ouganda au Nord du Rwanda. Depuis 6 mois, les deux pays ferment régulièrement leurs frontières et s’invectivent sur twitter.
Contrairement aux rwandais utilisés par Paul KAGAME dans les conflits et les assassinats, cette main d’œuvre « étrangère » offre l’avantage de n’avoir aucun lien de parenté au Rwanda et dans la région. Si elle devait se livrer aux basses besognes pour le compte du Dictateur rwandais, elle serait encore sans pitié. Il est important que le contribuable européen soit informé de l’usage mafieux qui risque d’être fait de sa contribution à l’Union européenne.
[1] RFI du 13 septembre 2019 : Accueil de migrants évacués de Libye : « Un bon coup politique » pour le Rwanda.
[2] Jean Marie Vianney NDAGIJIMANA : « Paul KAGAME a sacrifié les Tutsi », Ed. La Pagaie
[3] Ilan Lior - haaretz.com, 24 mai 2015
[4] Les propositions d’Israël pour la réinstallation préoccupent le HCR, le 17 novembre 2017
[5] http://french.almanar.com.lb/671108
Source : https://www.haaretz.com/opinion/.premium-1.824444
[6] RFI du 13 septembre 2019 : Accueil de migrants évacués de Libye : « Un bon coup politique » pour le Rwanda.