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Publié par La Tribune Franco-Rwandaise

Au journal belge « Le Soir » de ce 13/06/2018, Guy Rapaille, Président Du comité R (comité belge de contrôle des services de renseignement) déclare:

"Nous avons été informés de l'existence d'escadrons de la mort rwandais en Europe" 

Alain Lallemand et Kristof Clerix (Knack)

Le gendarme des services belges de renseignement prend sa retraite, non sans lancer quelques mises en garde. L’activité des services étrangers -Turquie, Maroc, Rwanda – serait croissante sur le sol belge.
Guy Rapaille, président du Comité R. ©️ Thomas Blairon.
Guy Rapaille, président du Comité R. ©️ Thomas Blairon.
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Après douze années à ce poste, le magistrat Guy Rapaille quitte cet été la présidence du Comité permanent de contrôle des services de renseignement (Comité R). Une occasion unique de le « débriefer ». « La préoccupation des services aujourd’hui, nous dit-il, est l’action de certains services de renseignement étrangers à l’égard de leur communauté vivant en Belgique. »
Ce n’est pas un secret que les Marocains et les Turcs sont assez actifs dans leurs communautés.

C’est toujours le cas ?
Oui.

C’est plus fort qu’avant ?
Je peux dire que oui. Il y a une montée en puissance. Et pourquoi en est-on plus conscient maintenant ? Parce qu’on a changé la loi organisant les services de renseignement. Le problème est que, dans la législation antérieure à 2016, quand les services étrangers agissaient sur leur communauté, ce n’était pas de l’espionnage au sens de la loi, ce n’était pas de l’ingérence vis-à-vis des autorités belges.

Alors, qu’était-ce ?
C’est un peu la difficulté de l’époque, et une recommandation a été formulée qui a été reprise dans la loi de janvier 2016.

Vous dites que les services marocains et turcs sont mieux surveillés par les services belges qu’auparavant ?
Ils sont davantage surveillés, parce que c’est désormais l’une des missions légales des services. Il y a aussi les Rwandais, il ne faut pas se voiler la face. Nous avons été informés de l’existence d’escadrons de la mort rwandais en Europe, oui.

Et en Belgique ?
Ils sont peut-être passés en Belgique, mais je ne suis pas au courant qu’il y aurait eu une personne qui aurait été tuée dans ce cadre-là. Mais on sait qu’ils ont circulé en Europe.

Et la Sûreté fait des enquêtes sur ce thème concret des Rwandais ?
La Sûreté a pour mission légale de surveiller les activités des services de renseignement étrangers. Le principe est simple : quand ils mènent des opérations en Belgique, la règle est que les services belges doivent être informés et impliqués. Au moins informés. C’est une question de confiance. Cela se passe bien avec la plupart des pays, mais il y a des services étrangers qui ne travaillent pas comme cela.

Est-ce la même chose pour le Congo ?
Un politicien congolais a déclaré dans les colonnes du « Soir » qu’une équipe était venue en Belgique pour l’abattre.
Je ne connais pas ce fait-là. Il n’est pas impossible que dans le cadre des élections futures au Congo, des opposants fassent l’objet de pressions. Mais je n’ai pas d’information directe sur ce cas-là.

Rwanda, Maroc, Turquie, Congo… Jusqu’où vont les opérations des services étrangers : des menaces ? Des écoutes ?
Nous avons comme information ce que les services belges font à l’égard de certaines personnes qui appartiennent à des services étrangers. Il faut d’abord les identifier, essayer de voir ce qu’ils font. Si ces agents étrangers mettent en œuvre des menaces, cela peut déjà devenir pénal. S’ils devaient utiliser d’autres méthodes comme des écoutes, par définition elles seraient illégales, donc cela pourrait donner lieu à des poursuites pénales. La tâche de nos services est d’identifier ces personnes, de voir avec qui elles ont des contacts, et voir jusqu’où elles vont. Maintenant, ce n’est pas toujours très facile pour les services belges d’avoir des informations sur ce qui se passe au cœur des communautés. Les Marocains ne vont pas nécessairement se plaindre directement à la Sûreté ni à la Justice, de même les Turcs, etc. Donc la tâche est d’identifier les personnes, et essayer de les suivre pour voir ce qu’elles font en Belgique. Si ces personnes ont des activités illégales, il y a une obligation de dénoncer au Parquet, mais à ma connaissance cela ne s’est pas encore directement produit.

Pouvez-vous donner des exemples plus concrets ?
Il suffit de voir le parti d’Erdogan au moment des élections. Ils vont essayer de travailler pour convaincre les Turcs de voter Erdogan. Il y a tout un travail en interne dans la communauté. Il y a les services de renseignement mais aussi les services officiels du parti du président, il y a aussi certaines mosquées contrôlées par la Dyanet, tout cela va dans le même sens. Les agents de renseignement ne sont qu’un élément en plus. Il existe toute une propagande organisée par les cercles officiels turcs. Et eux, en plus, tentent probablement d’intervenir pour essayer d’empêcher des réunions ou décourager les personnes de participer à des réunions d’opposants, par exemple (…) Je n’ai pas dit qu’il y avait des agents de renseignement dans les mosquées. En tant que tel, il est probable que non, mais il y a évidemment des contacts entre certains imams et certains agents turcs. De même dans les organes officiels, culturels, etc. Ils ne sont pas à cent pour cent agents de renseignement : ils peuvent avoir des contacts, mais ils agissent plutôt comme agents d’influence.

Des honorables correspondants ?
Quelqu’un qui exerce une fonction culturelle dans une région, on peut savoir qu’il a des contacts locaux et donc cette personne peut faire passer le message : « Le président Erdogan est le nouveau sultan, il faut absolument continuer », etc. Ça, c’est un fait. C’est de la « propagande ».

En matière d’ingérence, avons-nous aussi un problème avec nos alliés ? Y a-t-il encore des traces de la NSA américaine dans notre téléphonie ?
Des problèmes avec la NSA américaine et le GCHQ britannique ont été découverts, depuis lors les services sont plus attentifs. Ces agences ont-elles continué ? Il m’étonnerait qu’elles aient arrêté. Mais comment peut-on les empêcher ? Elles agissent à partir de leur territoire. Le seul problème qu’il y a pu avoir, c’est le « virus » à Belgacom. Mais s’ils écoutent à partir des Etats-Unis, que peut-on faire ? Il est probable que les Russes et les Chinois font la même chose. Les relations sont bonnes avec les Alliés, mais on a coutume de dire dans le milieu qu’il y a des services « partenaires », pas nécessairement des services amis. Dès lors, on peut collaborer avec certains services étrangers, en matière de terrorisme il n’y a pas de difficulté, mais dans d’autres domaines la même collaboration n’existe évidemment pas.

Pour revenir à la NSA, le SGRS était également bien content de l’avoir pour aider les Belges dans ce problème de téléphonie Belgacom…
C’est un peu toute l’ambiguïté de la situation. La Belgique a besoin – parce que c’est un petit pays, parce que ce sont deux petits services – de l’appui de plus grands services. Le problème est d‘établir l’équilibre entre les besoins qu’on a, entre ce qu’on peut demander et une forme de méfiance. Les services doivent savoir jusqu’où ils vont « faire confiance ». Dans le monde du renseignement, il n’y a jamais de confiance absolue, c’est une règle. Il faut toujours se demander pourquoi on apporte une information et ce qu’ils vont demander en contrepartie.

Et qu’est-ce que cela cache ? Trouvez-vous que la Belgique a trouvé cet équilibre ?
Je pense que la Belgique a trouvé un équilibre. Est-ce qu’il est parfait ? Je n’en sais rien, mais les choses sont fluctuantes, cela évolue selon les moments et selon les domaines. Il faut en permanence établir, savoir jusqu’où aller.

Pour Puigdemont, est-ce que les Espagnols n’ont pas été trop loin en suivant Puigdemont sur notre territoire ? Les Belges étaient-ils d’accord ?
Je ne peux pas répondre pour le moment, cela fera probablement l’objet d’une discussion avec la commission de suivi (programmée cette semaine au parlement) et il n’est pas impossible que la question soit posée et qu’on mène une enquête pour savoir ce que la Belgique savait. Ce que je peux déjà dire, c’est que les Belges n’y ont pas participé. Normalement, ils auraient dû être mis au courant.
Par ailleurs, je ne vois pas sur quelle base légale les Belges auraient pu participer. Si les services espagnols ont agi sur le territoire belge, on verra ce que les services belges savaient ou ne savaient pas

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