LES CHANTIERS DE LA GLOIRE
Note de l'auteur : Texte publié dans les blogs de Mediapart et censuré par la rédaction.
Par Porfirio
01 novembre 2022
Le 16 Juin dernier la 17ème Chambre du Tribunal de Paris rendait son jugement sur la plainte en diffamation d’Hubert Védrine et condamnait Guillaume Ancel. Ce dernier n’a pas fait appel.
Première partie consacrée au contexte.
En ces temps difficiles, accablés par le doute et l’incertitude, s’il y a bien une chose qu’il est exclu de reprocher à Guillaume Ancel, c’est de manquer de conviction.
On en trouve une chez lui, qu’il a visiblement chevillée au corps, celle de personnifier une sorte de héros admirable, capable notamment de précipiter la voiture d’un évêque rwandais dans une falaise surplombant le lac Kivu, de faire liquider sans sommation une bande de miliciens interahamwe menaçants, de tenir sous sa férule la force de frappe de l’OTAN dans les Balkans, voire d’être l’ultime recours d’un juge désemparé face à la difficulté insurmontable d’une expertise, et bien d’autres choses encore. .
Pour en prendre la mesure, il faut absolument lire son livre de 2018, Rwanda, la fin du silence. Certains se sont empressés d’y voir un un témoignage éclairant sur la mission Turquoise, mais bien peu ont réalisé qu’il s’agit d’un document très utile pour mesurer à quel point cette certitude l’habite.
Pour qui le suit depuis 2014, lorsqu’il est opportunément apparu dans les médias, son roman sous le bras, à l’occasion du XXe anniversaire du génocide rwandais, il est même évident que cette conviction, d’abord discrètement et timidement exprimée, est progressivement devenue aussi imposante qu’un dolmen dans une prairie.
Copieusement stimulée par une activité infatigable de bateleur d’estrade aux côtés des admirateurs français du régime de Paul Kagame, ladite certitude a même fini par devenir le sentiment inébranlable d’être l’oracle providentiel par lequel se manifeste la vérité ultime sur tout ce qui touche au génocide de 1994, donnant l’impression qu’au lieu de porter une parole, Guillaume Ancel est en fait désormais transporté par celle-ci. Et ce, au point de considérer que son discours constitue par nature une preuve en soi échappant, du seul fait de sa participation à la mission Turquoise, au laborieux processus de démonstration ou de validation imposé au commun des mortels, notamment lorsqu’il s’agit d’accuser, de conspuer, voire, aux dires de la partie civile, de harceler autrui.
L’ennui c’est que si une telle métamorphose peut s’avérer utile pour atteindre une altitude de croisière stratosphérique propre à émerveiller son auditoire, elle semble désormais brouiller sa perception de ce qui distingue la polémique militante de la calomnie diffamatoire. Or, tandis que la première bénéficie du droit à la liberté d’expression, la seconde tombe, malheureusement pour lui, sous le coup de la loi.
C’est bien ce qu’ont rappelé les juges en précisant clairement que l’excuse de bonne foi ne pouvait pas être retenue en l’espèce, comme nous le verrons dans la seconde partie consacrée à l’analyse du jugement. On peut adresser certains griefs à la justice, aucune construction humaine n’étant parfaite, mais si vous affirmez publiquement que quelqu’un est passible des tribunaux, les magistrats sont tout de même assez bien placés pour savoir ce qu’il en est.
La recherche historique moderne est un processus élaboré mettant en œuvre diverses méthodes, parfois extrêmement techniques, et qui vise à restituer aux évènements du passé la complexité originelle qui a déterminé leur apparition. C’est une démarche intellectuellement exigeante, distincte du devoir de mémoire et du discours militant. On peut la voir un peu comme un vaste chantier de fouilles sur lequel interviennent diverses spécialités, chacune complétant l’autre : archéologues, linguistes, physiciens. Et même si les jugements de valeur ou les choix philosophiques ne sont pas absents, ils ne prévalent pas sur la nécessité documentaire ou la preuve matérielle, contrairement au chantier militant qui aspire à la gloire de fabriquer le matériau historique lui-même dans un sens conforme à ses idées. L’historien se doit d’être modeste, pas le militant. Néanmoins, l’immodestie militante, sous peine de sérieux revers, ne doit pas conduire à prendre ses désirs pour des réalités.
Revenons un peu à ce fameux ouvrage de 2018 qui permet à Guillaume Ancel d’être présenté comme un expert alors qu’il n’est en fait qu’un simple témoin. Outre certains éléments assez problématiques dont nous parlerons, l’ouvrage dénote une haute estime de soi. On a l’impression que parmi les militaires, Guillaume Ancel est l’un des rares chez qui l’intelligence ne reste pas largement en retrait derrière la discipline.
Il faudrait cependant regarder de près l’évolution de sa motivation : partant d’une adhésion professionnelle consciencieuse, il justifie après coup sa prise de distance et son retournement par des faits qu’il prétend dénoncer aujourd’hui. Pourtant, il a écrit en 1994 un rapport de fin de mission parfaitement conforme à son engagement d’origine et il est ensuite parti dans les Balkans sans sembler manifester d’état d’âme particulier. Pourquoi celui qui est aujourd’hui un des plus sévères accusateurs de la France et de son armée a-t-il mis si longtemps à réagir et comment s’y est-il pris ? Son cheminement est résumé en quelques pages et il faut bien constater que certains éléments confinent parfois à l’invraisemblable.
En 2014 paraît en ligne « Vents sombres sur le lac Kivu », ébauche fictionnelle sous forme de roman à clef de ce qui deviendra « Rwanda, la fin du silence » en 2018. Ce second ouvrage reprend les évènements mentionnés dans la fiction de 2014 en leur adjoignant la justification du roman et, surtout, sa trajectoire. Le tout dans une partie appelée « Après l’opération Turquoise » qui commence à la page 167.
Après la fin de son engagement militaire, il veut simplement, dit-il, donner une image réaliste de ce qu’est une intervention de l’armée (p.187). Sa fille, qui travaille dans l’édition, lui suggère un roman qui lui permettra d’exorciser les aspects traumatisants de son expérience sans avoir à rendre constamment des comptes. C’est au cours de cette élaboration presque spirite que les fantômes du Capitaine Ancel finissent par se manifester irrévocablement. Soit. Jusqu’ici, tout va encore bien.
Néanmoins, un épisode s’avère déjà intrigant. Il s’agit de la narration d’un même évènement, d’abord sur le blog de Guillaume Ancel en 2014 puis dans le livre de 2018.
Commençons par la version de 2018.
Invité le 27 Février 2014 à un colloque composé de nombreux participants, historiens, juristes, hommes politiques et diplomates, il aurait provoqué un évènement surprenant. Par l’audition de sa seule contribution, fondée alors sur un roman à clef publié en ligne, rappelons-le, il provoque la clôture brutale du colloque (p.192) et, entre autres, l’ire d’un ancien ministre socialiste qu’il ne nomme pas.
Voici le texte de son ouvrage de 2018 :
“Son visage se crispe, le président me foudroie du regard et clôture brutalement ce colloque”.
Il existe une autre version, qui est celle fournie à David Servenay pour Le Monde :
La tension monte, l’atmosphère devient électrique. Paul Quilès intervient. « Sorti de son contexte, jeune homme, votre récit pourrait faire gravement douter les Français, dit-il en pointant un doigt rageur. Je vous demande, par conséquent, de ne pas raconter de telles choses, pour ne pas troubler la vision qu’ont les Français du rôle que nous avons joué au Rwanda. »
Le « jeune homme » de 49 ans est stupéfait. Sa réponse fuse : « Le problème, il n’est pas dans mon témoignage, il est dans votre version officielle, qui est bien plus romancée que la mienne. » Rouge de colère, Paul Quilès finit par quitter la salle.
https://francegenocidetutsi.org/ServenayRevelationsOfficierFrancaisLeMonde16mars2018.pdf
Voilà qui a le mérite d’être clair, nous sommes en présence d’un incident caractérisé.
Pourtant, et c’est tout de même assez fascinant, cet évènement ne semble avoir été remarqué par aucun des membres de l’auditoire.
La fondation Jean Jaurès avait d’ailleurs publié un communiqué contenant ce passage:
La discussion ouverte s’est déroulée de façon sereine et Guillaume Ancel a eu la parole quand il l’a demandée. Il a fait notamment part du contenu de son livre tout juste édité, Vents sombres sur le lac Kivu. M. Ancel a pu s’exprimer librement et a été attentivement écouté, les nombreuses questions, précises et nullement hostiles de la part des autres participants, en attestant. Enfin, Paul Quilès n’a jamais agressé verbalement M. Ancel, et n’a pas quitté la salle avant la fin de la réunion. De nombreux témoins peuvent corroborer ce compte-rendu.
La Fondation Jean-Jaurès regrette donc qu’un journal comme Le Monde ait publié de telles allégations sans prendre même la peine de croiser ses sources en interrogeant les intervenants et les organisateurs de ce séminaire.
Certes, on veut bien imaginer que les basses manœuvres alléguées d’un pouvoir présenté comme néo-colonial puissent engendrer une certaine omerta. Mais au point de rendre sourde, aveugle et amnésique une assemblée en réunion aussi diverse que celle dont il est fait mention, voilà qui rendrait jaloux jusqu’à Don Corleone lui-même. Même avec une vision intégralement paranoïaque des choses, on voit mal comment un tel esclandre serait passé inaperçu. Il semble en tout cas que le journaliste ait pris les déclarations de Guillaume Ancel pour parole d’évangile.
Au risque de décevoir ses admirateurs, il faut dire que Guillaume Ancel ne s’est pas vraiment épuisé pour produire son ouvrage de 2018: à son petit roman à clef de 150 pages il a simplement ajouté, à peine modifiées, celles du blog qu’il publiait à l’époque simultanément sur Le Monde et Mediapart et qu’il a transféré ici:
La version de Mediapart est là:
Et c’est là que l’affaire se corse car, étrangement, dans son blog de 2014, c’est à dire au moment des faits, non seulement Guillaume Ancel ne fait aucune mention de cet invraisemblable coup de théâtre mais voici quelle est sa version :
Beaucoup plus subtile fut la réaction du président du colloque : "c'est une question d'interprétation de faits qui doivent être resitués dans un contexte plus global et dont vous ignorez certains aspects." Et de conclure naturellement qu'il serait mieux que je m'adapte à l'édifice plutôt que d'en perturber l'agencement.
Certes, mais son changement de couleur quand j'ai parlé des premières missions de combat qui nous avaient été confiées, du soutien apporté au gouvernement intérimaire et surtout de la livraison d'armes en pleine mission humanitaire, en disait plus long que son discours et montrait sans ambiguïté les lacunes de la mission d'informations parlementaire qu'il connaissait mieux que personne.
Et c’est tout. Pas de regard foudroyant et surtout, pas de clôture brutale du colloque. La version originale du propos de Guillaume Ancel de 2014 est finalement plus sévère que la déclaration de la fondation Jean Jaurès en 2018.
Voilà qui laisse en tout cas une impression étrange, comme si le prétendu épisode de tension dramatique portant sur la fin du colloque, et visiblement ajouté au moment de la parution du livre, traduisait une sorte d’escalade mentale. Comme si le narrateur, cédant aux nécessités d’une gloriole acquise entre 2014 et 2018, avait soudainement renchéri après coup dans le courage. Les amateurs de littérature provençale auront sans doutre entrevu un trait de caractère propre à celui d’un certain Tartarin de Tarascon.
On trouve aussi un chapitre extrêmement problématique, du point de vue de la véracité, (p. 81) mettant en scène la confrontation d’une patrouille commandée par Guillaume Ancel à des miliciens extrémistes visiblement génocidaires. Il voudrait éviter l’affrontement mais, dit-il, “l’un des miliciens se tourne vers moi et me provoque du regard, il porte un gilet pare-éclat ensanglanté, au camouflage de l’armée belge avec la bande patronymique du sergent P. Van Moyden”. D’après Guillaume Ancel, il s’agirait d’un soldat belge détaché en France avec qui il aurait effectué un stage d’artillerie lors de l’achat de missiles Mistral et dont il aurait changé le nompar respect pour ses proches. Ce soldat aurait été tué avec ceux qui protégeaient Agathe Unwilingiyimana, premier ministre rwandais devant succéder au président assassiné.
Premier problème, il n’y avait que des commandos parmi les soldats belges assassinés, aucun artilleur. En outre, les casques bleus belges ne portaient pas de bande patronymique sur leur gilet.
Plus étrange encore, sur un claquement de doigts, Guillaume Ancel fait abattre les miliciens par ses légionnaires, ce qui constitue au passage un crime de guerre puni de la perpétuité. Plus étrange que tout, aucun des légionnaires ne fera remonter l’affaire à sa hiérarchie. Voilà qui fait beaucoup.
En quelques phrases, l’auteur nous dépeint une recontre improbable (puisqu’il parait que les génocidaires nous aimaient bien), suivi d’un prétexte douteux (un nouveau soldat inconnu), couronné par une boucherie sans la moindre sommation, le tout ayant totalement échappé à la hiérarchie militaire qui, comme chacun sait, laisse la bride sur le coup à sa soldatesque qui agit à sa guise. Ce n’est plus Turquoise, ce sont les escadrons de la mort. Ce bon Tartarin devient ici tragiquement macabre et, sans fournir le moindre témoin, nous explique qu’il aurait commis une des pires exactions possibles, mais pour la bonne cause, bien entendu. De la part de quelqu’un qui porte constamment le soupçon sur la moralité et l’éthique militaires, c’est un tour de force: le voilà témoin et accusé de crime par lui-même. Va-t-il coopérer ?
Ces deux éléments sont les plus saillants, mais il y en a bien d’autres.
Sans qu’on connaisse exactement le rapport avec son affectation, Guillaume Ancel est consulté par un collègue pour une affaire étrange. Un corps écrasé au sol aurait été trouvé près de Karengera, tandis que les habitants du village disent que les français envoient des espions par les airs (p.87). Il semble passé sous un rouleau compresseur. Il n’y a pas de falaise dans les environs et les Forces armées rwandaises ne disposent plus d’hélicoptères. Mystère. Bien qu’il soit affecté à la recherche de victimes à sauver, notre héros se promet d’enquêter mais ne trouve rien. Déception.
Mais pas pour longtemps. Un peu plus loin (p.174), notre capitaine rentrant d’un cercle de réflexion militaire partage son compartiment avec un pilote de PUMA qui lui demande s’il a fait Turquoise. Il confirme sobrement. Il n’est pas du genre à s’épancher.
Mais tout à coup, l’autre se met à déballer, façon flash-back traumatique, sans qu’on lui demande rien. Il pilotait des forces spéciales qui ont balancé un prisonnier en vol. Bigre.
À l’arrivée, son chef l’a briefé : le type était une vermine qu’on a éliminé à titre d’action psychologique pour faire craquer ses complices. Et voilà, Aussaresses était au Rwanda et personne ne l’a su jusqu’en 2018. C’est fou le nombre d’escadrons de la mort que l’ONU couvre sous des prétextes humanitaires. Et puis vraiment, ces militaires français sont incorrigibles. Avec eux, c’est encore la corvée de bois deux générations plus tard. Ça doit être l’ADN.
Malgré tout, notre bon capitaine aurait dû prendre un billet de loterie. Parce qu’avec la bande patronymique, qui n’existait pas, et le corps balancé sous les yeux de son compagnon de voyage, il est souvent là dans des moments statistiquement forts improbables. Au départ et à l’arrivée.
Mais c’est bien connu, ce qui fait le héros, c’est aussi la chance. Tous les lecteurs de roman le savent.
Passons sur le moment (p.68) ou après avoir apostrophé trois protagonistes se battant à coups de machette dans une file de réfugiés, il voit l’un d’entre eux lui foncer dessus, complètement enragé. La bave aux lèvres, l’individu part de dix mètres vers un militaire armé. Facile à descendre, même pour un enfant de douze ans.
Mais notre héros est surpris, et quand il cherche son arme, celle-ci se coince dans son étui. Peste.
Comme dans un ralenti, le sicaire s’approche inexorablement, les yeux injectés de sang. Adrénaline.
Ouf, juste au moment où la machette va lui fendre le crane, notre héros au sourire si doux finit par dégainer mais, dans son infinie mansuétude, épargne son assaillant qui s’enfuit. Le coup passa si près que le chapeau tomba.
Avec tout ça, le lecteur n’est pas volé. On comprend que Guillaume Ancel, préfacé par Stéphane Audoin-Rouzeau, ait rejoint Churchill dans la collection Mémoires de guerre. C’est quasiment du même niveau.
Une petite dernière, pour se remettre un peu.
Envoyé pour protéger l’évèque de Cyangugu (p.98), il découvre un prélat décrit comme énorme et transpirant, plus soucieux du sort de sa collection de voitures que de celui des Tutsi. Feignant de vouloir prendre soin du joyau de ses automobiles, une grosse berline, il s’en fait remettre la clef mais la précipite malicieusement d’une falaise. Au bord de l’apoplexie, l’évêque s’entend dire que s’il lui prenait de nouveau l’envie de déranger notre héros pour un motif aussi futile, il pourrait bien être à bord du prochain véhicule en partance pour la falaise. L’auréole de Tartarin gagne tout à coup en intensité. Et puis, à défaut d’être fils d’évèque, Guillaume Ancel en est petit-neuveu, nous apprend-il. Il sait donc les remettre à leur place, si nécessaire.
Rappellons pour conclure, le point de vue du supérieur de Guillaume Ancel, dans un propos que ce dernier s’est bien gardé d’attaquer en justice.
Voilà pour l’homme d’action, tel qu’il ressort de ses mémoires de guerre. Et s’il fallait pointer aussi tous les propos bravaches, ceux qui témoignent d’une haute considération de sa propre personne et tous les coups de pied en vache à ceux qui l’entourent, la liste serait longue. Voyons maintenant plutôt comment cet homme trouve le chemin de l’écriture.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Guillaume Ancel décrit ensuite un cheminement moral et éditorial qui l’amène à rencontrer Patrick de Saint Exupéry. Il dépeint assez clairement une sorte d’adoubement (p.194 « jusqu’où es-tu prêt à aller ? »).
Malheureusement, et en dépit de ses qualités journalistiques passées, l’adoubeur Saint Exupéry se trouve être l’auteur de quelques magnifiques exemples de propos publics particulièrement douteux pour quelqu’un de sa profession. Ainsi, on a pu l’entendre au micro de Léa Salamé sur France-Inter jouer le rôle de l’homme qui a vu l’homme.
L’archive est ici:
https://www.dailymotion.com/video/x5rxfmb
Un des hauts-fonctionnaires chargé en 2015 d’inventorier les archives de l’Élysée devant être ouvertes au public aurait expliqué, dans une soirée privée, être tombé sur la preuve qu’Hubert Védrine avait personnellement demandé de réarmer les génocidaires pendant l’opération Turquoise. « C’est aussi simple que ça », explique-t-il avec aplomb à l’antenne. Sauf qu’immédiatement après ce propos ( à 5’10’’), la journaliste s’enquiert logiquement de l’existence d’une quelconque preuve, ce qui serait le minimum pour une accusation de cette importance. Saint-Exupéry explique alors « Je n’ai pas les preuves », avec un tel naturel qu’on est tout de même un peu saisi de vertige. Monsieur de Saint-Exupéry, se dit-on alors, qui vient parler en direct à une heure de grande écoute pour lâcher un scoop d’un magnitude cataclysmique, n’a pour toute preuve que sa bonne parole.
C’est bien connu, les hauts-fonctionnaires parlent beaucoup dans les dîners en ville, et surtout d’affaires confidentielles qui mettent en jeu leur responsabilité professionnelle et personnelle. Et comme le monde des dîners est petit, Patrick de Saint Exupéry en est rapidement informé.
En guise de contre-feu face à un constat de carence de preuves qui pourrait choquer l’auditeur, Saint-Exupéry explique alors que l’ouverture des archives sera le juge de paix. Mais, en toute bienveillance, Léa Salamé s’abstiendra pudiquement de remarquer que son interlocuteur a pulvérisé la déontologie journalistique.
Les grands journalistes partagent souvent le même ascenseur, il vaut donc mieux qu’il ne tombe pas en panne.
Autre fameux canular macabre, Saint-Exupéry est le seul et unique témoin d’un prétendu propos de François Mitterrand sur les génocides africains.Voici ce qu’il écrit le 12 Janvier 1998 dans Le Figaro, célèbre journal de gauche : «Tout se passe, en fait, comme si la France entière avait adopté le point de vue de François Mitterrand sur le Rwanda. “Dans ces pays-là, un génocide n’est pas trop important”, confiait le président à des proches au cours de l’été 94». Citation qu’il a toujours justifiée en se citant lui-même, conformément à la déontologie journalistique évoquée.
Pourquoi, dans ce cas, ne pas avoir ajouté que pour soigner son cancer, le chef de l’État, assisté de ses proches, se faisait transfuser du sang de nouveau-né égorgé à la pleine lune ?
On comprend alors que Gullaume Ancel ait trouvé chez Patrick de Saint Exupéry une sorte de maître spirituel, d’ailleurs condamné avant lui par deux fois pour diffamation envers des militaires.
Que les deux personnages aient dû subir l’horrible poids du spectacle d’un génocide, chose à laquelle rien ne peut préparer et dont on ne sort vraisemblablement pas indemne, peut expliquer une certaine outrance, il faut en convenir. Mais pas au point de piétiner ouvertement et sans vergogne la bonne foi la plus élémentaire. Lorsqu’on arrive à ce stade, c’est qu’on est forcément passé de l’indignation au fanatisme.
On ne cherche pas des causes, on cherche à désigner des coupables par tous les moyens. De là à penser qu’on incarne la justice et qu’il suffit de s’écouter parler pour faire preuve…
Il y a aussi une autre forme de transmission entre les deux hommes, et qui n’est pas négligeable : l’absence totale de point de vue sur le régime actuellement en place à Kigali.
Ce n’est tout bonnement pas leur problème. Ce qui les intéresse exclusivement, c’est la responsabilité de la France dans le génocide. On connaît cette logique : qui aime bien châtie bien. Le message de fraternité universelle qui nous a nourri depuis l’enfance est de la responsabilité impérative de chaque citoyen français. Al Qaeda peut bien menacer nos partenaires africains, et accessoirement enlever nos ressortissants, il importe avant tout de dénoncer notre histoire coloniale. Voilà notre responsabilité première. Paul Kagame peut bien être progressivement démasqué comme un féroce dictateur, lourdement soupçonné de crimes de masse avant, pendant et après le génocide de 1994, spolier les ressources de l’État congolais et avoir sous-entendu publiquement qu’il n’était pas étranger à l’attentat qui tua deux présidents Hutu et mit le feu aux poudres au Rwanda, le plus important est de déterminer l’étendue de la responsabilité de la France, pourtant absente lors du génocide.
Il n’est pas question d’éviter toute forme de bilan critique de notre pays, néanmoins on ne pourra plus dire que la France n’a pas rendu significativement des comptes de son action au Rwanda.
L’implication française a été successivement passée au crible par la mission parlementaire d’information, dite commission Quilès, et par la commission Duclert, tandis que le Tribunal Pénal International consacrait des milliers d’heures à démonter les mécanismes du génocide sans que jamais l’idée de complicité de la France ne soit le moins du monde évoquée. Et ce, alors même que Carla Del Ponte, exerçant la fonction de procureur, témoigne avoir été évincée après avoir voulu enquêter sur les crimes du FPR.
La commission Duclert admet clairement dans sa conclusion qu’il faudrait aussi avoir recours aux archives de la Belgique, de l’Allemagne, du Royaume-Uni, des États-Unis, du Saint-Siège et des pays africains dont, bien sûr, le Rwanda (p.966). On peut y ajouter l’Ouganda, l’ONU, et même Israël, où c’est la Cour suprême elle-même qui refuse de déclassifier les documents relatifs aux ventes d’armes aux belligérants.
Guillaume Ancel explique dans son blog que Patrick de Saint-Exupery, doublement condamné pour diffamation, n’en pose pas moins des questions auxquelles les politiques ne répondent pas. Il serait tout simplement victime de harcèlement judiciaire. Évidemment, quand on voit de quoi ce dernier est capable en direct à la radio ou dans les colonnes du Figaro, on se dit qu’il doit être assez difficile d’affronter sa créativité investigatrice.
Mais ni l’un ni l’autre n’explicite la position de Kigali sur le procès de l’attentat contre l’avion présidentiel à la veille du génocide. Guillaume Ancel, a répété inlassablement que l’expertise en deux temps démontrait la responsabilité du camp extrémiste hutu. Artilleur de métier, il a même invoqué sa propre autorité professionnelle en la matière et a indiqué avoir été consulté par le juge en charge du dossier pour donner son avis sur l’expertise. Voici d’ailleurs un autre point problématique pour lui, car l’intervention d’un expert ne peut en aucun cas se faire de façon informelle et, hormis les auditeurs de ses conférences, nul ne semble en avoir été averti. Mais, que voulez-vous, imagine-t-on James Bond se perdre dans la procédure pénale ?
Donc si pour lui l’affaire est limpide, puisque l’expertise démontre l’innocence du FPR et la culpabilité du camp extrémiste hutu, pourquoi Kigali n’a-t-il pas fait appel du non-lieu en exigeant qu’on poursuive les « vrais » coupables, les extrémistes hutu, ce qui n’aurait pas manqué de disculper définitivement le FPR ? Pourquoi les avocats de Kigali, les inénarrables Forster et Maingain, une fois ce non–lieu tant espéré obtenu par leurs clients, n’ont-ils pas mis à exécution leur menace de Janvier 2012 de porter plainte dans ce dossier pour « tentative d’escroquerie au jugement en bande organisée » ? Guillaume Ancel repète inlassablement que certaines questions restent sans réponse, ce qui ne mange pas de pain puisqu’il n’en fournit pas la liste, qu’il réponde donc à celle-ci.
Aujourd’hui un nouveau rapport dévastateur, après le rapport Mapping sur les crimes de masse en RDC, accable impitoyablement l’infâme gouvernance rwandaise:
La nature du pouvoir rwandais est décrite avec précision, notamment:
« L’espace démocratique est devenu inexistant au Rwanda et seules perdurent des formations politiques de façade. Ce qu’il reste de société civile et de l’opposition est étranglée par la répression.
Pour cela, le pouvoir en place n’hésite pas à recourir à un arsenal de mesures - surveillance, harcèlement, enlèvements mais également meurtres et assassinats déguisés en disparitions forcées - pratiqués à grande échelle par le régime contre des journalistes, youtubeur·es, musicien·nes, écrivain·es et citoyen·nes. Les libertés d’association, d’expression, d’opinion sont quasiment impossibles à exercer. Dans les rues, les violences perpétrées à l’encontre des personnes parachèvent le tableau d’un pays réduit au silence.»
Et pis encore, un rapport confidentiel de l’ONU, met en lumière l’implication du Rwanda en soutien au M23 contre l’armée de la RDC voisine.
Quand on sait la nature des crimes commis en RDC, massacres de masse et viols par milliers accompagnés de mutilations sexuelles, ce n’est pas peu de chose.
Mais curieusement, alors qu’il semble se réveiller souvent en pleine nuit en prononçant le nom d’Hubert Védrine, les atrocités commises par le FPR et ses alliés en RDC n’ont jamais donné lieu au moindre commentaire de la part de Guillaume Ancel. Rien, pas un mot.
Idem pour son mentor, Saint Exupéry, qui semble plutôt occupé à mettre sous le tapis les conclusion du Rapport Mapping dans son dernier ouvrage, La traversée. Malheureusement pour ce qu’il reste de sa réputation, son attitude scandaleuse est soigneusement pointée par MSF et critiquée par le Monde Diplomatique, ni l’un ni l’autre n’étant connu pour sa complaisance envers les génocidaires ou pour la politique africaine de la France :
https://www.msf.fr/actualites/une-reponse-a-saint-exupery-auteur-de-la-traversee
https://www.monde-diplomatique.fr/2021/09/PRUNIER/63463
Maintenant que le rapport Duclert, sur la base d’un volumineux contenu archivistique, a écarté la complicité de la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda, voici donc exposés quelques éléments susceptibles d’éclairer le contexte de la décision rendue par la XVIIe chambre correctionnelle condamnant Guillaume Ancel pour diffamation à la demande d’Hubert Védrine.
Nous verrons dans un prochain billet ce qu’il en est du contenu de la décision.
#Afrique des grands lacs, #BELGIQUE, #Diplomatie, #Droits de l'homme, #FRANCE, #France-Rwanda, #Justice, #Ancel, #Hubert Védrine