VICTOIRE INGABIRE UMUHOZA, UNE OPPOSANTE GÊNANTE POUR LE REGIME RWANDAIS
Par LAURENT D'ERSU
La Croix du 5 février 2010
Arrivée au Rwanda en janvier pour être candidate à la présidentielle, Victoire Ingabire fait l’objet d’intimidations
Elle est un caillou dans la chaussure du président Paul Kagame. Victoire Ingabire, présidente d’une coalition d’opposition rwandaise, a été agressée mercredi alors qu’elle venait effectuer une démarche administrative à Kinyinya, au nord de Kigali. La responsable politique n’a pas été blessée, mais elle affirme s’être fait arracher son sac à main, contenant son passeport et la carte d’identité qui lui avait été délivrée la veille. En revanche, un de ses accompagnateurs a été roué de coups, lui « causant des contusions graves aux côtes et aux jambes », selon les Forces démocratiques unifiées (FDU).
La coalition d’opposition a dénoncé « un acte imputable à l’État car organisé dans l’enceinte même des bâtiments de l’administration grâce à un guet-apens sciemment tendu par un officiel ». Le quotidien officiel rwandais, The New Times, a présenté l’incident comme une réaction spontanée de citoyens, contrariés que Victoire Ingabire les double dans la queue.
Un « harcèlement diffamatoire et incendiaire »
Le 22 janvier, celle qui souhaite être candidate à la présidentielle du 9 août avait dénoncé le « harcèlement diffamatoire et incendiaire » entretenu par la presse à son égard. Il faut dire que, dès son retour au Rwanda après seize ans d’exil, elle a brisé un tabou. Visitant le mémorial du génocide de Kigali, Victoire Ingabire a estimé qu’il honorait uniquement « les victimes tutsies du génocide » de 1994. « Il y a aussi des Hutus qui furent victimes de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, qui ne sont pas évoqués ni honorés ici », a-t-elle déclaré.
Aujourd’hui, les crimes commis à l’encontre de Hutus par le Front patriotique rwandais (FPR) après sa prise du pouvoir, au Rwanda et au Zaïre voisin (aujourd’hui RDCongo), restent un sujet brûlant.
D’où la réaction menaçante du gouvernement, par la voix du ministre de la sécurité intérieure : « Il n’y a personne qui soit au-dessus des lois et nous ne tolérons pas l’impunité, a déclaré Cheikh Moussa Fazil Harerimana. Si (Victoire Ingabire) croit que le fait d’espérer devenir candidate à la présidentielle lui donne le droit d’enfreindre la loi, alors elle s’est trompée d’endroit. »
Outre l’incident de mercredi, la candidate est soumise à des pressions : le 28 janvier, le gouvernement a fait savoir que sa mère avait été condamnée par contumace à trente ans de prison pour avoir participé au génocide, sans préciser la date ni le lieu de cette condamnation. À sept mois de la présidentielle, à laquelle la candidature du président Kagame fait peu de doute, Victoire Ingabire n’est pas au bout des embûches que le pouvoir lui réserve.