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Publié par JMV Ndagijimana

Par François Munyabagisha

 

La vie et la dignité de tout humain sont sacrées. Vivre, ce n’est pas un droit, ni un dû. C’est un acquis sacré, non cessible et inaliénable.  Nul n'a le droit de tuer, et rien ne peut justifier d'enlever la vie à qui que ce soit. Nul ne peut, soit-il faible, légitimer le pouvoir ou s’arroger le droit de supprimer une vie. Tuer est aussi lâche que barbare. Qu'il faille prévenir ou punir, corriger ou venger, redresser ou modeler, l'efficacité est mille fois mieux servie (par la communication) que par le sang. François Munyabagisha (Rwanda: Faces cachées de la tragédie, Head 1998, inédit).
Et, pendant qu'ici nous sommes occupés à élaborer des théories sur les horreurs de 94, au Rwanda chaque jour fait le lot de plusieurs milliers de victimes qui perdent la vie ou la dignité dans le déni absolu des droits, sous le joug de gouvernements criminels que notre silence cautionne à notre insu.

 


Les yeux de la justice humaine nous paraissent parfois similaires à ceux de l'amour. Ceux-ci sont mono, et aveugles à la réalité. Je ne saurais sûrement pas juger Munyaneza. Je ne saurais dire si oui ou non il a des crimes roulés dans ses manches. De même, je ne saurais me satisfaire du verdict rendu par le juge montréalais André Denis. Plutôt suis-je curieux de l'éclairage des sombres fonds des horreurs qui font des ravages au Rwanda depuis plus de 15ans, lequel éclairage devrait avoir guidé la lecture du magistrat André Denis.

Les allégations jugées remontent à 94. Le sang coulait telle une pluie torrentielle, sous l’œil de caméras. Est-ce que sans caméra le génocide n’en aurait pas été un? La violence était extrême, celle que montraient sélectivement ces caméras. Mais elle fut en réalité, beaucoup plus extrême, pour les victimes là où les caméras étaient interdites. Qui dira le contraire? La situation se serait améliorée, la justice s'est mise à l'œuvre pour permettre le deuil et faciliter la reconstruction. Indéniablement, ceci est juste et vrai pour ceux qui «devaient mourir parce que «Tutsi»». Mais qu’en est-il des autres qui devaient également mourir, non pas nécessairement parce que «Hutu», plutôt parce que l’appât du pouvoir devait valoir leur sang?

Hélas 94 baigne encore dans la noirceur, et sans y voir clair l’on ne saurait faire le vrai bilan de la suite du déluge, l’on ne saurait valider les jugements qui s’en font. Qui saurait dire si ces châtiments n’en sont pas le prolongement ? Je ne suis pas juriste, mais je sais que l’un des principes sacrés de la justice est la prévalence de la présomption d’innocence en cas de doute raisonnable. De quels crimes s’agit-il, et qu’en sait-on hors de tout doute raisonnable ? À ce jour, aucune instance n’a établi clairement ce qui s’est passé en 94 au Rwanda, encore moins les responsabilités impliquées. On se satisfait de citer «800 mille Tutsis et quelques Hutus », un constat théorique estimatif jamais confronté à l’autre triste réalité. Des Tutsis et des Hutus ont été tués en masse, il serait sans recensement hasardeux d’avancer des chiffres. Et Kigali en est conscient, raison pour laquelle il refonde les registres administratifs et démographiques, pour rendre l’exercice impossible. Seules les collines jadis verdoyantes et fourmillantes de cultivateurs en témoignent, aujourd’hui elles sont cruellement désertes.

Dans cette saga juridico-génocidaire, il serait tout à fait envisageable de juger un suspect pour meurtre ou toute autre accusation, mais non pour un crime de génocide. Il faudrait pour ce dernier crime en éclairer la mécanique, les causes, et le cadre des responsabilités. Or, 15 ans après, nous en sommes toujours dans un tunnel sans soleil. Le génocide est un fait indéniable. Il aurait été planifié, c’est très plausible. Par qui ? Depuis sa création en octobre 1994, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda, TPIR, s’est attelé à y répondre. À date, le tribunal semble faire du surplace, obstiné à juger les vaincus et à rechercher la lumière dans cette seule direction. Ces années n’auront pas été vaines, aujourd’hui le TPIR peut affirmer hors doute raisonnable que ses clients n’ont pas planifié le génocide. Pour y voir clair, d’aucuns dont les procureurs qui se sont succédé au TPIR jusqu’à la Suissesse Carla Del Ponte, sont d’avis qu’il est indispensable d’élucider le mystère du déclenchement des carnages et des crimes des vainqueurs, en l’occurrence le FPR. Hélas, la volonté d’investigation aura buté sur un muret de glace, empêchant tout regard dans la cour du FPR ou celle de ses parrains. À date, ni le TPIR, ni les juridictions nationales, ni les experts, personne ne saurait identifier formellement sans l’ombre d’un moindre doute, le ou les responsables de l’attentat déclencheur des tueries. Parmi les suspects de premier rang se trouvent les membres du FPR, actuellement au pouvoir.

Cependant, nous savons pertinemment qu’en 94 deux machines à tuer ont conjugué leurs folies meurtrières, dans leur lutte pour conquérir ou garder le pouvoir. Ce sont d’une part les tristement célèbres «interahamwe» et des extrémistes hutu, et les biens mal connus «inkotanyi» avec quelques extrémistes tutsis, d’autre part. Alors que plus d’un attribuent au président Habyarimana la paternité et le haut commandement de la milice Interahamwe, sa mort laisse un vide béant à la direction de cette milice. Il sied de se demander de qui elle reçut les ordres de foutre le bordel sur tout le territoire, sans que personne pût l’arrêter. Nous n’avons pas de réponse à ce sujet, ou plutôt des indices qui pointent vers le FPR.

Le FPR a systématiquement commis des massacres systématiques, qu’il voudrait de toute évidence minimiser, voire forfaitiser. Le FPR s’est opposé à tout secours extérieur qui aurait pu limiter l’étendue des carnages. Nous le savons, et nous ne l'aurons jamais décrié suffisamment, les tueries ont suivi ou précédé de très près la progression du FPR, à quelques rares exceptions. Le FPR avait infiltré à tous les niveaux les organes de la sécurité civile, voire l’état-major de l’armée. On le sait, nous le savons, le FPR ne donne pas de préavis à ces cibles, et ne revendique jamais ses crimes. De plus, on le sait, le régime en place gère toute l’information en provenance ou à destination du Rwanda, ne laisse aucun témoin libre de s’exprimer ni de survivre, aucun touriste libre de regarder, aucun enquêteur libre d’écouter… Ainsi, des massacres de famille tutsi, commis par le FPR, seront pendant des années portés sur le compte des interahamwe, avant d’être élucidés. C’est le cas des Ndasingwa (Landoald, Hélène et leurs enfants), des Nyungura (famille de Corneille), et plusieurs autres noyées dans l’anonymat. Sans nul besoin d’aveu ou d’enquête, on ne peut ignorer les massacres étendus de fugitifs tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Rwanda, à Kibeho ou à Kisangani notamment, ou les assassinats systématiques des témoins gênants tels des intellectuels, des religieux rwandais ou étrangers, des évêques à Gakurazo, des prêtres canadiens Simard et Pinard, des 9 coopérants espagnols, etc. Et je ne parle pas des destructions par l’emprisonnement, les acharnements judiciaires ou les diffamations préjudiciables réservés aux Rwandais, mais dont certains humanistes expatriés comme le père Guy Theunis, ont fait l’horrible expérience. On ne saurait non plus passer sous silence les horreurs d’une guerre exportée au Congo, le pillage des minerais et le cauchemar des populations des régions assiégées. Telle est l’esquisse du portrait-robot du FPR. Et c’est curieusement le même FPR qui instruit les poursuites et dicte les verdicts !

Si la thèse que le Rwanda est depuis 94 sous le joug de criminels masqués est sérieuse, et c’est hélas le cas, il devient évident qu'un doute s'impose quant à l'objectivité d'un jugement comme celui de Montréal basé sur l'autre thèse «officielle» d'un génocide de Tutsi planifié et exécuté par des Hutus. Il y a bien de solides raisons de douter de l'objectivité du jugement, entre autres que les criminels au pouvoir ont les moyens de noyer les poissons, de rééditer leurs forfaits, de se maintenir ad aeternam à l’abri de toute poursuite judiciaire. Ils ont mis le pays à sang et à feux, et ne s'en repentent pas. À défaut d'atteindre de balles ou de baïonnettes leurs cibles, ils leurs lancent des filets justiciers. Ils sont plus motivés que jamais à mener à bout leur diabolique plan. Lequel serait-il ? Semer le chaos, prendre et s’assurer de conserver le pouvoir par l’élimination de toute source potentielle de résistance ou de lumière sur les faces cachées du génocide, déjouer par tous les moyens la justice. Leurs lobbies sont partout, autant actifs que leurs épées. N’ont-ils pas induit en erreur bien de décideurs occidentaux et humanitaires qui auraient pu faire la différence en 94? N’ont-ils pas fait errer scientifiques et juristes? Que font-ils et où sont-ils à ce jour?

Dans ce contexte, où le Canada ne saurait clairement dire qui sont et où sont les acteurs masqués de la tragédie rwandaise.

Dans le contexte où la justice et la diplomatie canadienne sont muettes sur les assassinats de citoyens canadiens (Mme Hélène, Pères Simard et Pinard) par la junte au pouvoir à Kigali,

Dans le contexte d'une institutionnalisation de la fabrication de charges et de témoins à charge, et de la banalisation du faux et de la parjure,

Dans le contexte de saignées ininterrompues depuis 94, de guerres auto-entretenues, de massacres de civiles, d’assassinats ciblés, de prisons mouroirs, de crimes d’une justice de vainqueurs criminels dont les fameux Gacaca et la présomption de culpabilité constituent l’iceberg, etc., etc.

Saurait-on vraiment dire que la justice au Canada nous fait progresser? Ou plutôt risquerait-elle si elle n'allait pas plus loin, d’avaliser un génocide en cours à ciel couvert en plus d'aider des génocidaires au palais à reporter ad infinitum leur procès! Le pire étant évidemment que faillir de faire la lumière ne peut que trahir l’espoir des innocents, victimes par millions d'une criminalité institutionnalisée.

Je crois en la sagesse du Juge André et en l'imperméabilité de la justice canadienne. Un bon jugement n'est jamais une «vite». Tout en évitant de donner l'impression de s'endormir, la justice doit se donner le temps et les moyens de mâcher les «vérités» que les parties lui soumettent. Elle doit pouvoir mettre à l'épreuve du temps et de l'espace, les affirmations et les fabrications de témoignages. Ainsi, devrais-je attendre des prochains épisodes un éclairage solide sur ces horribles génocides. Afin que justice puisse être rendue, que le deuil puisse être permis, que les peuples et les acteurs puissent se réconcilier et réinventer un avenir serein

 

Francois Munyabagisha
Canada

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