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Publié par JMV Ndagijimana

sARKO-AU-rW.jpgPaul Kagamé / WEF - Flickr - CC

Hubert Martin - Chroniqueur | Mercredi 10 Février 2010

Nicolas Sarkozy se rendra au Rwanda le 26 février. Mais pourquoi? Pour Hubert Martin, cette visite ne fera que cautionner un régime dictatorial qui ne cesse de jeter de fausses accusations sur l'implication de la France dans le génocide rwandais.
Il est annoncé que Nicolas Sarkozy doit se rendre en visite officielle au Rwanda le 26 février.

 

Pourquoi au Rwanda ?

Des 53 pays indépendants d’Afrique, l’actuel président, n’en a visité que 14, anciennement liés à la France comme le Sénégal ou particulièrement significatifs comme l’Afrique du Sud ou le Congo-Kinshasa. Neuf pays issus de l’Empire français attendent toujours sa visite. Le Rwanda n’a jamais été une colonie française. Il n’a que 9 millions d’habitants, tassés sur un très petit territoire. Il n’a aucune ressource naturelle et est un des pays les plus pauvres du monde.


Fausses accusations contre la France

Serait-il une démocratie exemplaire ? Au contraire, il a un des régimes les plus tyranniques du continent.  Il est probablement, avec la Libye et l’Erythrée, un de ceux qui se rapprochent le plus de l’Etat totalitaire. Le pouvoir, détenu par une très étroite minorité suffisamment redoutée pour dissuader tout remous, ne  se préoccupe même pas de s’y doter d’une façade  démocratique. 

Pourquoi un si grand honneur est-il donc fait à un si petit pays ? Parce que le chef de l’Etat, venu au pouvoir en 1994, Paul Kagame, couvre depuis lors la France de boue. Il accuse de complicité de génocide notre armée, qui était intervenue à la fin de la guerre civile dans le cadre de l’opération Turquoise, une opération  à caractère humanitaire décidée avec l’aval des Nations-Unies. 

Bien entendu, personne de sérieux sur la scène internationale, n’accorde le moindre crédit à cette accusation. Qu’elle trouve encore une oreille complaisante dans certains grands journaux français est une énigme.  Que Bernard Kouchner ait reconnu en 2008  que la France avait commis dans ce pays « une faute politique » n’a pu que remplir de colère les militaires français qui  y avaient passé des semaines à sauver des vies et évacuer des milliers de cadavres en décomposition.

Le génocide, bien réel, de la communauté des Tutsis à laquelle le président Kagamé appartient (et qui ne représente plus aujourd’hui qu’environ 1 % de la population) est consécutif à l’invasion du pays par ses  milices armées et surtout à l’assassinat de l’ancien président hutu dont l’hélicoptère avait été abattu.

Le juge Bruguière, à la demande de la famille des pilotes français morts dans l’attentat, a mis en cause  la responsabilité  de  Kagame et de son entourage, une procédure que le gouvernement français ne saurait interrompre tant qu’il y a des juges d’instruction indépendants et qui a abouti à la rupture des relations diplomatiques.

Les accusations portées contre la France ont été confortées par des commissions entièrement entre les mains du pouvoir rwandais dont la crédibilité est proche de zéro. Elles ont été démenties par les responsables gouvernementaux de l’époque : Balladur, Juppé.

Pourquoi donc un tel assaut de prévenances ?

Non content de cracher à jet continu sur la France, Kagamé a décidé de quitter la francophonie pour adhérer au Commonwealth, d’interdire le français et de le remplacer par l’anglais dans l’enseignement primaire et secondaire. Or malgré cela, M.Kagamé a droit au grand jeu : il a eu son « ami » Kouchner, il a eu même Claude Guéant en personne. Et maintenant le président.

Pourquoi donc un tel assaut de prévenances ? Faut-il se réconcilier à n’importe quel prix avec  un  pays  qui pèse aussi peu ? On n’a au demeurant  aucune assurance que la voyage de M.Sarkozy permettra de revenir sur l’interdiction du français, ni même que M.Kagamé cessera d’insulter la France.  

Le président français risque même d’exaspérer un peu plus Kagamé, par les familiarités indiscrètes dont il est coutumier. Le chef de l’Etat rwandais a beau être un tyran, il n’en est pas moins un pur produit de l’aristocratie tutsi, avec tout ce que cela suppose de distance et de dignité. 

Notre président a certes montré qu’il aimait s’encanailler avec  des chefs d’Etat de mauvaise réputation, croyant sans doute jouer à  plus malin qu’eux : Kagamé vient après Kadhafi.  Il y eut aussi  cette étrange complicité avec Chavez,dont le régime est cependant bien plus respectable.

Si M.Sarkozy sait deux sous de géopolitique africaine, que ne visite-t-il pas plutôt Madagascar ? Un jeune président de qualité et francophile, maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina, y a été porté au pouvoir par la foule excédée de la corruption de son prédécesseur. L’Union européenne ayant décidé de sanctionner cette irrégularité (alors qu’elle ne fait rien contre des régimes bien pires), ce pays, jadis fleuron de l’Empire colonial français  et dont le poids économique et démographique est bien autre que celui du Rwanda, ne reçoit aucune visite.

Pas de visite non plus au Cameroun. Paul Biya n’est sans doute pas un président exemplaire mais, à côté, de Paul Kagame, il apparait comme un humaniste ! 
Nicolas Sarkozy pourrait visiter le Nigeria, pays le plus peuplé du continent et riche en pétrole. Ou encore  l’Ethiopie,  empire vieux de 3000 ans, héritier de la plus ancienne civilisation africaine, très pauvre mais peuplé de 70 millions d’âmes. L’Ethiopie  n’est pas une ancienne colonie française mais elle est un vieil ami de la France. Le régime y est pro-américain  mais pas plus que celui du  Rwanda et sans que cela prenne  une  tournure antifrançaise.

Tony Blair, consultant de Kagamé

S’agit-il de remettre les pieds dans les Grands Lacs ? Mais que ne visite-t-on alors le Burundi, resté proche de nous, l’Ouganda ou la Tanzanie, amis de Kigali mais aux dirigeants autrement respectables ?

Certes le président Kagamé sait y faire : il a Tony Blair comme consultant. Il paye à prix d’or des cabinets londoniens pour poursuivre  systématiquement en justice  tous ceux qui en Europe s’avisent  de critiquer son régime.  Il est possible chez nous  de dire ce qu’on veut de n’importe quel chef d’Etat dans le monde, y compris du  notre,  sauf de M.Kagame. On peut soupçonner qu’avec l’argent qu’il  soutire à son peuple, il sait encore  jouer  sur d’autres cordes.

Mais si l’homme n’est pas négligeable, le pays pèse évidemment bien peu. Denis Sassou Nguesso, président du Congo ex-français, ancien marxiste mais devenu un ami de la France se demandait récemment combien de temps Paris  tolèrerait sans réagir les impertinences de M.Kagame. Il va être servi.

Rien, absolument rien, sinon l’incompétence, ne saurait justifier cet invraisemblable palinodie qui affaiblira  un peu plus et sans aucune contrepartie  notre autorité sur le continent et suscitera bien des amertumes de la part des pays  historiquement plus  proches et plus stratégiques que notre diplomatie délaisse.

Dans  un continent où  tout se sait  et où  le sens de la fierté n’est pas un vain mot, comment  la France n’apparaîtrait-elle pas profondément ridicule d’effectuer une telle démarche, sous prétexte d’apaisement.

Si le Rwanda  bénéficie d’un  honneur aussi insigne, comment n’y verrait-il pas la récompense des ses mauvaises manières ? Comment empêcher Kagame de penser, et le reste de l’Afrique avec lui : « Poignez vilain, il vous oindra »,  la France étant naturellement dans le rôle du vilain ?

 
Hubert Martin

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