RWANDA : UN PAYS MARQUE PAR LE GENOCIDE (La Croix)
25/02/2010 17:13
Sur le plan politique, judiciaire et ecclésial, le Rwanda reste fortement marqué par le génocide. Le contentieux franco-rwandais reste compliqué.
Le Rwanda, où une élection présidentielle doit se tenir en août 2010, est dirigé par Paul Kagame. Chef du Front patriotique rwandais (FPR), l’ancienne rébellion tutsie qui a pris le pouvoir au lendemain du génocide perpétré par des extrémistes hutus contre la population tutsie en 1994, il a été élu à la présidence en 2003. Le génocide a laissé de profondes fractures au sein de la population de plus de neuf millions d’habitants, composée d’une majorité de Hutus (84 %), d’une minorité de Tutsis (15 %) et de Twas (1 %). Le pouvoir actuel récuse toute mention concernant les ethnies.
Plusieurs organisations internationales ont dénoncé ces dernières années la mainmise du FPR sur les principaux leviers du pouvoir et son implication dans les conflits qui ont ensanglanté l’est de la République démocratique du Congo. La nouvelle Constitution autorise le multipartisme en encadrant l’activité des partis. L’opposition, essentiellement hutue, n’a pas droit au chapitre. Le Rwanda est un petit pays dont l’économie reste dominée par le secteur agricole et l’élevage qui occupe plus de 90 % de la population.
En quinze ans, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), basé à Arusha (Tanzanie), s’est concentré sur les « organisateurs » des massacres. Quarante-sept jugements ont été prononcés, 14 procès impliquant 27 accusés sont toujours en cours, trois sont en attente de jugement et onze accusés restent en fuite. En décembre 2009, le Conseil de sécurité de l’ONU a prolongé d’un an le mandat du TPIR. Le transfert des dossiers de certains accusés vers la justice rwandaise est une des questions en suspens. Les crimes de rétorsion commis par le FPR n’ont jamais eu de suite judiciaire à Arusha.
Au Rwanda, les 12 000 juridictions gacacas, inspirées des anciennes assemblées villageoises, ont permis de rendre plus d’un million de jugements. Le gouvernement estime qu’elles arrivent au bout de leur mission. Elles laissent « un nombre important de personnes insatisfaites, tant parmi les rescapés du génocide que parmi celles qui s’estiment injustement accusées d’actes de génocide », notait en 2009 Human Rights Watch. Aux yeux des rescapés tutsis, l’objectif des gacacas a surtout été de désengorger les prisons qui accueillaient en 2001 plus de 100 000 détenus.
L’Église catholique au Rwanda a été ébranlée mais elle reste l’institution la plus puissante du pays avec l’État. À l’époque du génocide, les catholiques représentaient 62 % des Rwandais et étaient donc majoritairement hutus, tandis que 70 % des 400 prêtres étaient tutsis (parmi eux, 130 environ ont été tués). Les évêques, dont sept sur neuf étaient hutus, étaient souvent proches de l’ancien président Juvénal Habyarimana ; trois d’entre eux ont été assassinés par le Front patriotique rwandais.
Dès la fin de 1994, l’Église a organisé une démarche synodale en annonçant un « mea culpa », démarche qui a abouti en février 2001 à une grande célébration dans le stade de Kigali. Mais, depuis, elle n’est pas allée plus loin et semble avoir du mal à reconnaître sa part de responsabilité dans certains massacres, notamment quand ceux-ci ont été perpétrés dans des églises.
Si bien qu’en 2010 les clivages persistent, dans l’Église, entre victimes, rescapés et bourreaux. « Dans les paroisses, malgré des discours généreux sur le pardon, des logiques de ressentiment dominent », témoigne un universitaire. D’autres observent toutefois que l’on met davantage en avant depuis quelque temps des figures exemplaires de prêtres et de religieuses, à l’instar de Sœur Felicita Niyitegeka, religieuse hutue tuée pour avoir refusé d’abandonner les Tutsis qui avait trouvé refuge auprès d’elle.
Le Rwanda avait rompu ses relations diplomatiques avec la France après l’émission par la justice française, fin 2006, de mandats d’arrêt internationaux à l’encontre de neuf proches du président Paul Kagame. Le juge Jean-Louis Bruguière les accusait d’être responsables de l’attentat qui visa l’avion du président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, avion dont l’équipage était français. Le 9 novembre 2008, l’une des personnes recherchées, Rose Kabuye, actuelle directrice du protocole d’État, était arrêtée en Allemagne, puis mise en examen à Paris pour « complicité d’assassinat ». Bien que deux témoins à charge se soient rétractés, la procédure reste en cours.
Du côté français, tandis que le tribunal aux armées instruit toujours des plaintes visant des militaires français de l’opération Turquoise, la justice a relancé les poursuites contre la quinzaine de Rwandais vivant en France qui sont soupçonnés d’avoir pris part au génocide de 1994. Quatre juges français se sont rendus ces derniers mois au Rwanda pour procéder à des auditions sur une partie des plaintes, désormais regroupées au sein d’un pôle « génocides et crimes contre l’humanité » au tribunal de grande instance de Paris.
Pierre COCHEZ, Laurent D’ERSU, Claire LESEGRETAIN et Agnès ROTIVEL