Rwanda : tout finit par se savoir
Il n’y a rien de caché qui ne finisse par venir au grand jour, dit l’Écriture (Mc 4, 22). C’est ce que confirme le rapport annoncé du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme sur les crimes commis dans le Nord-Est de la République démocratique du Congo (ex-Zaïre) au cours de la décennie qui a suivi le génocide rwandais de 1994.
Le président Paul Kagamé, de l’ethnie tutsie, arrivé au pouvoir au Rwanda à ce moment-là par la force des armes, dispose de réseaux actifs de soutien en Europe et d’un sens aigu de la communication. Il a ainsi imposé à l’opinion une version canonique : il n’y a eu qu’un seul génocide, celui qu’avait commis le régime hutu qu’il avait glorieusement renversé. Ce génocide avait fait au moins 800 000 morts, chiffre donné par le nouveau régime et jamais vraiment critiqué.
Il y avait donc les bons et les méchants, les victimes et les bourreaux : d’un côté, les Hutus en bourreaux, de l’autre les Tutsis en victimes. Et tout finit bien puisque ces derniers prennent le pouvoir. Qu’ils ne représentent que moins de 15 % de la population, et que donc le nouveau régime n’ait pu se maintenir qu’au mépris de la démocratie, était perdu de vue.
Le tribunal spécial d’Arusha installé par les Nations unies poursuivait presque exclusivement les Hutus, au point que certains de ses membres ont dénoncé cette partialité.
Pour préserver sa réputation, le président Kagamé n’a pas lésiné sur les moyens : des avocats britanniques poursuivaient toute critique de son régime. Il prit Tony Blair pour conseiller. Prétendre que les torts pourraient être partagés, c’était du négationnisme. Évoquer le caractère ethnique des oppositions, du racisme.
Les faits sont en réalité beaucoup plus complexes. La fureur génocidaire des Hutus avait explosé après un attentat commis le 6 avril 1994 contre le président hutu, attentat dont le juge Bruguière pense que Kagamé est responsable. Elle faisait suite à l’invasion du pays par les Tutsis émigrés disposant d’un appui anglo-saxon occulte ; au fur à mesure que les forces d’invasion avançaient, les exécutions sommaires dans les zones conquises nourrirent la panique.
Quand les Tutsis venus du pays voisin prirent le pouvoir, ils ne se contentèrent pas d’imposer un régime de fer aux 85 % de Hutus qui composaient la population, ils allèrent massacrer dans le pays voisin, en théorie les auteurs du génocide, en fait tous les Hutus, y compris ceux qui résidaient depuis toujours au Congo. Cette poursuite systématique a certainement fait, elle aussi, des centaines de milliers de morts.
Ces massacres s’ajoutent à d’autres, plus anciens et oubliés, en 1972, 1988, 1993 où, dans le Burundi voisin, ce sont les Tutsis qui massacrèrent les Hutus. Sur le long terme, il est probable que les Tutsis ont tué autant de Hutus que l’inverse.
Le rapport des Nation unies n’apprend en fait rien aux initiés : le commissaire européen Emma Bonino avait, dès 1997, dénoncé les massacres qui avaient lieu au Congo, mais l’habileté du président Kagamé avait réussi à étouffer cette voix et même à remiser au placard plusieurs rapports des instances internationales.
Cette fois, Paul Kagamé n’est pas arrivé à étouffer la vérité. Dès le début, il avait tenu, au mépris des faits, la France, qui était intervenue en 1994 par l’opération Turquoise afin de limiter les dégâts, pour corespon sable des massacres. Il a même choisi, en représailles, à partir de la présente rentrée scolaire, de remplacer le français par l’anglais.
Mais sa réputation était si bonne aux yeux des non-initiés qu’il eut droit à des visites de “réconciliation” de Bernard Kouchner, de Claude Guéant et même, en février dernier, de Nicolas Sarkozy en personne – alors que bien d’authentiques amis de la France, tel le président actuel de Madagascar, Andry Rajoelina, à qui on reproche de ne pas avoir été élu dans les formes démocratiques, n’ont pas eu cet honneur. Le général Lafourcade, qui dirigea l’opération Turquoise, demande en vain depuis plusieurs années qu’une voix officielle française démente les allégations du dictateur rwandais, déshonorantes pour notre armée.
Il n’est pas nécessaire que la publication du rapport du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme aboutisse à une inculpation. Il suffit que la vérité soit connue. Toute la vérité.
Roland Hureaux est essayiste