Rwanda : mépris, enfumage et... business
Par C Kami
Avril est là et nous voilà repartis pour un mois de larmes, les unes beaucoup plus sincères que les autres. En ce mois de deuil, humanistes compatissants et calculateurs hypocrites vont tous nous expliquer leur affliction par rapport à la longue nuit qui, cent jours durant, a enveloppé les collines rwandaises, faisant s'endormir pour toujours plus de 800 000 de nos frères et sœurs. (Que Imana veille sur leurs âmes.) Alors que les premiers n'ont presque plus de mots (ni de larmes) pour dire l'indicible et qu'ils n'ont que leur main à tendre aux survivants, les seconds sont repartis à l'assaut, nous abreuvant, chaque jour, de leurs pitoyables libelles qui cachent mal leur mesquinerie dans cette douleur rwandaise. Comme par enchantement, ils se mettent à reparler de l'élément déclencheur du génocide. Non pas pour nous en dire la vérité tant attendue, mais pour juste exonérer un des camps mis en cause dans ce malheur. De ce désormais classique prise de position se dégage aujourd'hui 3 considérations : mépris, enfumage et... business.
Le mépris tout d'abord.
Il est nettement illustré par les nombreux éditoriaux qui nous dépeignent un Rwanda étoile montante de l'Afrique. A l'heure où des énergies colossales ont été investies dans des guerres condamnées par tous ceux qui en ont découvert les vraies motivations, à l'heure où le kwashiorkor s'est de nouveau invité dans le quotidien des Rwandais, à l'heure où le gouvernement veut contrôler la pensée des tous les citoyens (emprisonnant, exilant et assassinant tous ceux qui ne l'applaudissent pas), à l'heure où ce même gouvernement s'auto congratule pour l’œuvre accomplie par ses syndicats de délateurs via un Gacaca qu'il faudra refaire un jour, à l'heure surtout où une cynique et inacceptable ségrégation a droit de cité concernant les morts, le moins que l'on puisse dire est qu'il y a un mépris à l'égard des tous les rescapés qui auront voulu un Rwanda autre. En paix et juste. C'est-à-dire tout simplement un pays dans la gestion duquel ils se reconnaissent sans devoir redouter que l'actuel akazu ne reproduise demain les mêmes effets néfastes que son clone d'avant 94. On en est malheureusement encore très loin.
Il y a ensuite toute l'entreprise d'enfumage qu'on nous exhibe à chaque anniversaire du génocide. L'amnésie qui s'était emparé de beaucoup d'intéressés disparaît comme par magie : ainsi ce colonel sénégalais qui se souvient subitement (dix-neuf ans après) qu'il connaît le(s) responsable(s) du crime le plus mystérieux de la région des Grands lacs. Poisson d'avril ou tentative de noyer le poisson ? Dans l'attente de cet énième scoop, ce sera désormais sa parole contre celle d'un général exilé quelque part en Afrique du sud et qui est devenu, il est vrai, tout aussi muet. L'enfumage ne pouvait cependant être bien rendu que par le titre d'un livre que seuls des naïfs qualifieront de « choc ». Comment en effet ne pas voir en « Rwanda, noirs et blancs menteurs » de Philippe Brewaeys un contre-feu de l'enquête menée des années plus tôt par Pierre Péan (Fureurs noires et blancs menteurs) ? Les Belges, on le sait bien, sont impliqués dans le drame rwandais ; qu'un des leurs s'y intéresse est donc tout à fait normal, ce qui l'est beaucoup moins ce sont par contre toutes les omissions dans leur démarche. Que faisaient par exemple le lieutenant Lotin et ses copains dans le parc d'Akagera la veille du « coup » de Masaka ? That is the question pour nos amis belges.
Tout cela est enfin révélateur du business qui se fait sur le dos des Rwandais : on voit bien à l’œuvre des Belges qui s'acharnent à démontrer que ce sont les Français qui doivent porter et le fardeau et le chapeau. On voit une partie de ces derniers tirer à boulets rouges sur leur propre armée, reprenant mot pour mot l'argumentaire d'un homme que toute cette polémique doit bien amuser : le général Kagame. Personne ne regarde du côté américain alors que certains prétendent justement que leur CIA emploierait Kagame (comme avant lui les Noriega, Mobutu, etc.) depuis au moins son stage de Leavenworth. Pendant donc que les Occidentaux se jettent les responsabilités, le président rwandais se la coule douce, lui qui a empêché les forces onusiennes de sauver des vies qu'elles pouvaient. Jusqu'il y a peu, quasi le monde entier lui courait après à cause d'un ultimatum de vingt-quatre heures qu'il a donné aux seuls acteurs qui pouvaient, sur le terrain, l'aider lui et son armée, à endiguer la marée des fous qui machettaient des innocents. Kagame tient une grande partie de sa force de ce déguerpissement qu'il a malicieusement transformé en abandon et non assistance à peuple en danger. Voilà son business à lui et tous ceux qui l'adulent...
Avec ce crime qu'il a réussi à coller sur le dos des puissants de ce monde, Kagame leur a imposé un silence assourdissant tout en devenant un champion incontesté dans ce que Fiona Terry appelle, dans Condemned to Repeat ?, le denial doctrine : imputer ses fautes et crimes aux autres. Sa première victime : la vérité. Celle-ci a été enterrée avec le rapport Gersony, enterrée avec les révocations de Louise Arbour et Carla del Ponte. Enterrée avec le « dépoussiérage » du Mapping report. Enterrée à coup de millions gagnés dans les mines congolaises et partagés avec des multinationales hyper influentes. Vérité enterrée. Celle qu'a dite Victoire Ingabire le jour de son retour au pays et qui lui a valu la geôle. Celle que cherchait à faire connaître le juge espagnol Andreu Merelles et qui nous présente Kagame (ainsi qu'une quarantaine de ses officiers) sous son autre facette : celle d'un génocidaire présumé. Voilà donc son business nauséabond.
Dans son livre « Paul Kagame a sacrifié les Tutsi », l'ambassadeur Jean Marie Vianney Ndagijimana rappelle le cynisme de nos « héros ». Evoquant les tractations engagées (en avril 1994 pour arrêter les tueries) entre lui-même, le colonel Marcel Gatsinzi d'une part et Patrick Mazimhaka et Jacques Bihozagara d'autre part, il parle d'une phrase-couperet de ce dernier : « monsieur l'ambassadeur, les Tutsi dont vous parlez sont sous votre entière responsabilité. Nos parents à nous autres réfugiés ont été assassinés en 59 ; les Tutsi qui sont restés au Rwanda ont de tout temps soutenu le régime de Habyarimana et ont ainsi choisi leur camp. Et puis, de toute façon, tous les Tutsi ont déjà été tués. Il n'y a plus personne à sauver ! » Lorsque ces propos qui font froid dans le dos sont tenus, nous ne sommes encore que le 17 avril 1994, c'est-à-dire dix jours sur les cents... Dix-neuf ans après, aucune excuse n'a été présentée, mais, à la place, une culpabilisation à outrance de l'Occident et une diabolisation globale de ceux qui ne parlent pas le galimatias du Fpr. Seule consolation : du mauve on passera au gris pour manifester son chagrin... Gris, couleur des cendres.
Un adage swahili met en garde contre certains dangers en disant usiyaruke majivu na kuukanyaga moto. Traduction : n'évites pas les cendres pour marcher sur le feu; exactement ce que la politique des « stoppeurs du génocide » fait craindre à beaucoup de leurs compatriotes. Plus jamais ça !
C Kami