République Démocratique du Congo : L'autre génocide africain?
Vendredi 27 août 2010
Le massacre de dizaine de milliers de Hutus en République démocratique du Congo (RDC) entre 1993 et 2003 par l'armée rwandaise et les rebelles congolais aujourd'hui au pouvoir à Kinshasa peut être qualifié de génocide, conclut un rapport quasi définitif du Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations unies.
Le rapport de 545 pages, d'abord publié par le quotidien français Le Monde, montre du doigt des soldats de huit pays, mais plus particulièrement l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), dirigée à l'époque par Laurent-Désiré Kabila, père de l'actuel président Joseph Kabila, et l'Armée patriotique rwandaise (APR).
L'APR, une force armée tutsie dirigée par Paul Kagamé, aujourd'hui président du Rwanda, aurait commis des exactions après être entrée en RDC, où elle poursuivait officiellement des génocidaires hutus ayant quitté le Rwanda après le génocide d'environ 800 000 Tutsis et Hutus modérés en 1994.
L'APR s'était alliée à l'époque à l'AFDL. Les troupes de Laurent-Désiré Kabila avaient profité de l'appui des nouveaux voisins rwandais pour entreprendre une rébellion contre le dictateur Mobutu Sese Seko. Partis de l'est, près de la frontière rwandaise, les insurgés avaient réussi à se rendre jusqu'à Kinshasa, à l'extrémité ouest du pays, et prendre le pouvoir.
Le rapport décrit « la nature systématique, méthodologique et préméditée des attaques contre les Hutus [qui] se sont déroulées dans chaque localité où des réfugiés ont été dépistés par l'AFDL/APR sur une très vaste étendue du territoire ». Plus d'un million de Hutus du Rwanda s'étaient réfugiés en RDC, connue à l'époque sous le nom de Zaïre.
« L'ampleur des crimes et le nombre important de victimes, probablement plusieurs dizaines de milliers, sont démontrés par les nombreux incidents répertoriés dans le rapport. L'usage extensif d'armes blanches [principalement des marteaux] et les massacres systématiques de survivants après la prise des camps démontrent que les nombreux décès ne sont pas imputables aux aléas de la guerre », poursuit le rapport.
Toujours selon ce rapport, « les attaques systématiques et généralisées [contre les Hutus] révèlent plusieurs éléments accablants qui, s'ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide ».
Un porte-parole du Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU, Rupert Colville, s'est dit « extrêmement déçu » de la publication de ce rapport par le quotidien Le Monde. « C'était un projet. Pas la version finale. Nous avons dit au journal que la version finale, officielle, serait publiée très rapidement. [Ils] savaient que ce n'étaient pas la version définitive ».
Le rapport causerait aussi de sérieux remous à Kigali, où le président Kagamé vient tout juste d'être élu avec 93 % des suffrages. Des sources indiquent que le chef de l'État a menacé de retirer les troupes qu'il a envoyées au Darfour dans le cadre d'une force de maintien de la paix hybride ONU/Union africaine si le rapport était publié comme tel.
Sur les ondes de la BBC, le ministre rwandais de la Justice Tharcisse Karagurama a qualifié le rapport de « déchet ». « C'est un rapport d'organisations non gouvernementales qui n'a aucun fondement [...] C'est pourquoi il a été rejeté d'emblée, n'a aucune valeur et a d'ailleurs été rejeté par tous les pays qui sont visés. »
Le Congo a été déchiré par deux guerres distinctes. La première, celle de 1996-1997, a permis l'installation de Laurent-Désiré Kabila au pouvoir. La seconde, qui s'est étalée de 1998 à 2003, s'est produite après que Kabila eut tenté de s'affranchir de ses alliés rwandais, qui se sont alors retournés contre lui.
L'Angola, le Zimbabwe et l'Ouganda, notamment, ont également participé à ce conflit, aussi appelé première guerre mondiale africaine, qui a fait des millions de morts et de déplacés, sans compter les estropiés et les femmes violées. Les violences qui déchirent encore aujourd'hui le Nord-Kivu découlent en bonne partie de ces précédents conflits.
Radio-Canada.ca avec Agence France Presse, Reuters et BBC