"Pour qu’une démocratie tienne debout, il faut une presse et une justice indépendantes" (F. Bayrou)
04 avril 2013
François Bayrou a salué le travail des journalistes de Mediapart et de la justice dans l'affaire Cahuzac, jeudi sur France Info. Il appelle d'urgence à une loi de moralisation de la vie publique.
Ersin Leibowitch – Nous allons parler de la pétition que vous lancez pour une moralisation de la vie politique en France. D’abord, les conséquences immédiates des aveux de Jérôme Cahuzac. Est-ce que Pierre Moscovici, qui est de plus en plus accusé de complaisance, voire de protection, pour son ancien ministre du budget, doit partir ?
François Bayrou – Le rôle de Pierre Moscovici n’est pour l’instant pas absolument établi. On voit bien ce qu’il s’est passé. Il y a eu une demande d’enquête en Suisse pour savoir si, dans cette banque et à cette date, il y avait un compte. M. Moscovici a dit à l’Assemblée que la réponse avait été négative. Evidemment cela ne prouve rien, parce que comme nous avons compris depuis, le compte avait bougé de banque en banque, et la date n’est pas exactement la même. Est-ce qu’il y a eu protection ? Je ne le crois pas. Je pense qu’il s’est passé quelque chose d’absolument classique dans un gouvernement lorsqu’il y a des affaires de cet ordre. C’est que beaucoup de gens ont des doutes, mais les doutes ne sont pas des preuves. Ils ont attendu, j’imagine, que la justice apporte des preuves. Ce qu’elle a fait sans attendre, de manière très rapide, puisque c’est une perquisition qui a été menée en Suisse qui a permis de révéler l’existence du compte et donc d’entraîner les aveux de Jérôme Cahuzac.
Vous pensez donc que François Hollande et Jean-Marc Ayrault ne savaient pas, comme ils le disent ?
Je pense qu’ils avaient des doutes, je pense qu’il y avait des doutes dans l’univers gouvernemental, parce que les éléments avancés par Mediapart n’étaient pas minces. Il y avait des doutes et des interrogations. Mais devant les dénégations qui étaient tellement fortes de l’intéressé, ils ont attendu d’avoir des preuves. Nous avons vu dans des gouvernements précédents et pour des affaires précédentes le même mécanisme se mettre en place.
Vous avez donc lancé une pétition sur Internet pour la moralisation de la vie politique…
Pour obtenir une loi de moralisation.
Est-ce que, par une loi, on peut empêcher un ministre de mentir ?
Non, bien sûr que non. Mais, vous voyez bien, toutes les affaires depuis des années génèrent un sentiment extrêmement trouble. Il y a une vague d’affaires de plus en plus graves, des mises en cause de plus en plus importantes. Et les citoyens, ceux qui nous écoutent, se disent « Mais qu’est-ce qu’on peut faire ? ». Parce que ce sont eux qui se sentent les premiers blessés par tout cela, les premiers trompés, abusés, trahis. Ce ne sont pas les partis au pouvoir, ce n’est pas le gouvernement, ce n’est même pas le Président de la République, ce sont les Français. Et ils disent « Qu’est-ce qu’on peut faire ? ». Moi, je crois que nous pouvons faire deux choses. Nous pouvons préparer une loi générale de moralisation pour tous les problèmes qui trainent depuis des années. D’abord, le problème de financement de la vie politique. Il y a des scandales souterrains tous les jours avec des micro-partis dont nous ne savons pas en réalité quel est le rôle et qui les finance. Il y a aussi l’affaire du cumul des mandats. Il y a le fait que le gouvernement est pléthorique et que l’Assemblée Nationale et le Sénat également. Et le fait que des conflits d’intérêts sont tous les jours organisés avec des élus, des parlementaires qui, en même temps, ont des missions rémunérées auprès de grandes entreprises ou d’intérêts particuliers.
François Hollande a fait des annonces dans ce sens également.
Non, il a fait de petites annonces, de l’homéopathie. Mais, une maladie aussi grave, on ne la guérit pas avec de l’homéopathie, bien que j’aie naturellement tout le respect pour les praticiens qui font cela. Vous voyez bien qu’il ne s’agit pas de rustine pour une fuite aussi importante. Nous avons besoin d’une loi générale qui prenne tous les problèmes qui sont restés sans réponse et sans traitement depuis des années. Et, deuxième aspect, cela ne sera obtenu que si les citoyens s’engagent.
Par référendum.
Et donc, cela ne sera obtenu que si les citoyens s’engagent d’abord en signant sur ce site que nous avons ouvert – pas pour nous, pour tout le monde, ce n’est pas un site de parti – moralisation.fr. Sur ce site, avec la petite annonce que nous avons faite hier, nous avons déjà eu plus de 7.000 signatures. Je suis persuadé qu’il y en aura beaucoup d’autres dans la journée parce que c’est un moyen pour les citoyens de base de s’engager dans l’exigence.
Nous verrons effectivement s’ils vous suivent là-dessus. Les mises en examen dans le milieu politique, les affaires dont la justice, est-ce que ce n’est pas précisément le signe que la justice fait son travail ? Que les mensonges sont mis au jour et que les dossiers sont traités ?
Absolument. Pour qu’une démocratie tienne debout, pour que nous puissions avoir confiance, la confiance élémentaire, il faut deux choses. Il faut l’indépendance de la presse. La vérité oblige à dire que si le site Mediapart n’avait pas lancé ces affaires, les quatre dernières affaires importantes, aucune ne serait sortie. Donc, nous avons besoin de voix indépendantes dans la presse. Et nous avons besoin d’une justice indépendante. Au moins dans la séquence que nous venons de vivre, la justice a été indépendante et elle a pu faire avancer et sortir des vérités que l’on voulait jusque là dissimuler.
Ce qui n’a pas toujours été le cas selon les journalistes qui ont mené ces enquêtes.
Je pense que cela n’a pas été le cas dans toutes les époques, en effet.
Vous pensez qu’il y a eu clairement un changement entre la présidence de Nicolas Sarkozy et celle de François Hollande ?
J’espère qu’il y a eu un changement et j’espère encore plus que ce changement sera durable. C’est-à-dire que nous ne retrouverons pas les mauvaises habitudes d’autrefois. Des contre-pouvoirs sont nécessaires aux pouvoirs. Vous savez qu’en France nous manquons beaucoup plus de contre-pouvoirs que de pouvoirs. L’organisation de notre vie publique mérite qu’elle soit reprise de fond en comble pour que la moralisation soit un fait et pas des mots.
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