Le Rwanda, vingt ans après (Radio France Culture)
Par Thomas CLUZEL
Même si 20 ans ne suffisent sans doute pas à apaiser les rancœurs nées du génocide et de la difficulté à vivre dans un pays dévasté, qu'est-ce qui a changé au Rwanda en 20 ans ? A la veille de trois mois de commémorations, durant lesquels le pays cherchera une fois de plus, à exorciser coûte que coûte les démons de la haine, de nombreux journaux se sont posés la question et tous font, a priori, le même constat : depuis le génocide, le Rwanda a accompli des progrès spectaculaires.
En 20 ans, raconte ce matin LA LIBRE BELGIQUE, la manière de vivre, notamment, a beaucoup changé et en particulier dans la capitale Kigali. C'est là qu'une nouvelle classe moyenne est apparue, qui se fréquente désormais dans des restaurants où les prix n'ont rien à envier à ceux des pays européens, tandis que leurs enfants se donnent rendez-vous dans des fast-foods locaux, où ils écoutent de la musique, branchés sur leur téléphone portable. Loin des ternes vêtements de bonne sœur qui faisaient autrefois le quotidien des Rwandaises, sont apparus les boubous, les pagnes et les vêtements à la dernière mode occidentale. Et puis assez étonnamment, ce qui semble frapper le plus, en réalité, les journalistes de la presse étrangère sur place, c'est la propreté. Avec ses routes plantées de palmiers et ses pelouses tondues de frais, le voyageur qui débarque à Kigali est d’abord séduit par la propreté impeccable de la capitale rwandaise, peut-on lire notamment sur le site INFO SUD. Des routes en bonne état, des rues impeccables et des parcs aux pelouses bien tondues, c'est également ce qui a retenu en premier, visiblement, l'attention des journalistes de LA LIBRE BELGIQUE, lesquels notent aussi que d’élégants gratte-ciel ont poussé le long des avenues bordées d’arbres. Partout, des grues émergent des baraquements, signalant un énième chantier de construction.
Une revanche sur le destin pour ce petit pays enclavé et à l'économie dévastée après le génocide de 1994. Il faut dire que depuis 2001, le gouvernement du président Kagame a engagé des réformes, soutenues par une gestion rigoureuse des finances publiques, de sorte que les investissements étrangers ont été multipliés par dix entre 2004 et 2009, passant de 8 à 83 millions d’euros. Nouvelles technologies, commerce, banque, assurance. Le secteur des services contribue désormais pour moitié au produit intérieur brut du pays.
Autres progrès, relevés par la revue en ligne britannique AFRICAN ARGUMENTS, cité par le courrier international, depuis 1990, les revenus ont augmenté de près de 60 % ; les inégalités hommes-femmes ont été aplanies ; la corruption qui sévissait sous la présidence Habyarimana appartient désormais au passé ; enfin les infrastructures ont été renforcées, de sorte qu’une plus grande part de la population a désormais accès à l’eau et aux installations sanitaires.
La mortalité infantile, elle, est passée de 156 pour mille à 54 pour mille. C’est le progrès le plus important au monde en la matière, entre 2000 et 2011, estime le journal BRITISH MEDICAL. Et puis autre réussite exceptionnelle, rappelle LA LIBRE BELGIQUE, 90% des Rwandais sont aujourd'hui couverts par la sécurité sociale. Et c'est là sans doute, écrit le journal, la réalisation la plus remarquable de ces 20 dernières années.
Reste que si le Rwanda est aujourd'hui perçu comme le bon élève africain, il est une chose qui saute tout autant aux yeux, reprend la revue AFRICAN ARGUMENTS, c’est que le Rwanda est surpeuplé et que les risques que pose sa démographie menacent à présent de saper les progrès accomplis. Dans ce pays le plus peuplé d’Afrique centrale, on ne peut pas faire un pas sans croiser du monde. Toutes les collines sont cultivées jusqu’à la dernière parcelle des versants et des sommets, avec au kilomètre carré plus de 400 habitants. Le taux de fertilité, près de cinq enfants par femme, demeure élevé et les Nations Unies prévoient qu’en l’absence d’une hausse significative de l’émigration, la densité devrait doubler d’ici à 2050.
Or au cours de ces dernières années, rappelle toujours la revue britannique, la pression démographique, justement, a été un facteur déclenchant de conflits dans plusieurs pays africains et notamment parce que la rareté des ressources intensifie la concurrence et du même coup exacerbe les tensions entre ethnies, religions et régions. Voilà pourquoi, sa démographie rend aujourd'hui le Rwanda encore plus vulnérable à cette menace, estime le journal, avant de préciser que trois habitants sur cinq ont moins de 25 ans et que l’âge moyen de la population ne dépasse pas les 19 ans.
Bien sûr, avec leur dynamisme et leur esprit d’entreprise, les jeunes peuvent aider le pays à aller de l’avant, mais ils peuvent aussi être un ferment d’agitation sociale. De nombreux conflits africains (Sierra Leone, Liberia, Nigeria) ont d'ailleurs été alimentés par les mécontentements d’une jeunesse privée de perspectives d’avenir. Or au Rwanda, les inégalités continuent de se creuser, preuve que la croissance, certes impressionnante du PIB, n’a bénéficié en réalité qu’à une petite élite urbaine.
Tant que les gens s’entendent, les différences sont reléguées à l’arrière-plan. Mais avec l’augmentation de la population, le Rwanda sera encore plus vulnérable aux chocs, qu’ils proviennent du changement climatique, d’un conflit qui éclaterait dans un pays voisin ou d'un revers économiques. Or si l’un de ces chocs ou tout autre événement imprévu se produisait, le pays pourrait à nouveau éprouver le besoin de désigner un bouc émissaire et ses vieux démons enfouis risqueraient fort de refaire surface.