Le Rwanda de Kagame est devenu l'avocat de la recolonisation de l'Afrique
« Je ne comprenais pas pourquoi l’Europe, qui prône la défense des droits humains et de la démocratie, s’accommode tant du trucage des élections au Rwanda et en RDC et de la violation des droits de la personne dans ces deux pays. Je m’étonnais aussi du silence persistant en Europe sur le harcèlement des militants des droits humains et leur assassinat tant au Rwanda qu’en RDC. J’ai donc décidé d’enquêter dans « l’arrière-cuisine » de la diplomatie européenne »
- Charles Onana
« Pour les dirigeants de Bruxelles, les millions de morts du Congo ont nécessairement moins d’importance que les « 800.000 » victimes tutsi du Rwanda. Ces victimes congolaises ont d’autant moins d’importance que leurs bourreaux sont précisément des rebelles tutsi du Rwanda. C’est ce parti pris obscène qui choque aussi les Congolais. Une victime quelle que soit son origine ethnique, son appartenance religieuse ou sa couleur mérite d’être considérée et respectée. Ce n’est pas le cas actuellement dans les Grands Lacs. Les victimes congolaises et hutu ne sont pas traitées à égalité avec les victimes tutsi, et ce, depuis bientôt vingt ans. Cela est inacceptable, pervers et dangereux pour l’avenir et pour l’histoire. Le comportement des dirigeants européens et celui des organisations internationales est, dans cette tragédie, contraire aux principes d’équité, d’impartialité et d’égalité de traitement ». - Charles Onana
Retour sur la crise du Congo et de la région des grand lacs, et sur le régime Kagame qui en est l’acteur majeur, avec le livre de Charles Onana, journaliste d’investigation franco-camerounais.
Sujets traités : Congo, Rwanda, régime Kagame, régime Kabila, idéologie de l’UE, politique extérieure de l’UE, géopolitique des Grand Lacs
Dans ce livre riche en révélations et documents inédits, on découvre notamment :
-· Comment Joseph Kabila a été imposé à la tête de la République Démocratique du Congo (RDC) en 2006 par George Bush et de Jacques Chirac au moyen d’élections truquées et financées par l’Union Européenne (UE) ;
· que la condition exigée à Joseph Kabila pour rester au pouvoir était qu’il se taise sur les incursions rwandaises à l’Est de la RDC et sur les atrocités commises par les hommes de Kagame ;
Au terme de cette enquête délicate et dérangeante, qui nous mène des bureaux feutrés de Bruxelles, où l’on étouffe surtout les scrupules, aux dangereuses forêts de l’Est du Congo peuplées de réfugiés, de tortionnaires, d’enfants-soldats et de chercheurs de coltan, en passant par les salles de réunion de l’ONU, on mesure à quel point l’écart est grand entre les valeurs proclamées par l’Union Européenne et la réalité de ses interventions sur le terrain. Un tableau terrifiant qui met à mal le prestige des institutions européennes, qui pose questions sur l’idéologie de l’UE et qui peut légitimement inquiéter le contribuable européen quant au bien-fondé et aux véritables objectifs de la diplomatie de Bruxelles en Afrique et au Congo.
« L'Union Europeenne censure l'implication du Rwanda dans la crise congolaise »
Lors d’une interview exclusive accordée à JamboNews à Bruxelles (*), Charles Onana, a répondu aux questions autour de son nouveau livre consacré à la RDC. Il a notamment évoqué le rôle du Rwanda dans la crise congolaise ainsi que le silence de l’Union européenne au vu de tous les épisodes tragiques observés en République démocratique du Congo depuis le début des hostilités en 1996.
Charles Onana a confié les motivations qui l’ont poussé à écrire cet ouvrage qui fait couler beaucoup d’encre depuis sa sortie sur le marché du livre. Selon ses propres dires, son livre part d’une constatation simple selon laquelle l’Union européenne parle moins de l’implication du Rwanda dans les conflits armés qui secouent le Congo. Tout récemment, suite aux rapports des experts de l’ONU accusant le Rwanda de soutenir des rebellions en RDC, Charles Onana dit avoir constaté que le discours de l’Union européenne ménageait beaucoup Kigali et l’épargnait d’une interpellation directe sur son rôle dans la déstabilisation de la RDC. « C’est la raison pour laquelle j’ai enquêté sur les processus de décision au sein de l’Union européenne. Qui influence qui et dans quel but ? » a t-il notamment déclaré.
Dans le cadre de ses investigations, Charles Onana confie avoir obtenu plusieurs documents tenus secrets des institutions européennes, documents parfois issus des rapports des envoyés spéciaux de l’Union européenne dans la région des Grands Lacs. Sans doute des pièces à conviction. « En effet, ces documents n’étaient pas destinés à être rendu public. En ayant ces documents, j’ai pu reconstituer les pièces manquantes du puzzle. En outre, les témoignages des diplomates m’ont aidé », a indiqué Charles Onana. Ce dernier a également révélé l’échange qui a eu lieu en 2003 entre le président de la RDC Joseph Kabila et Javier Solana, Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne.
Selon Charles Onana, Joseph Kabila avait écrit à Javier Solana pour mettre en place une police intégrée en vue d’assurer la sécurité du processus électoral en RDC. Onana déplore que cette initiative ne fût guère pour l’intérêt de la population congolaise. Décriant par ailleurs la passivité et l’incompétence de Joseph Kabila, Charles Onana a affirmé que le président congolais est une émanation de l’AFDL et du Rwanda.
« Le Rwanda de Kagame est devenu l'avocat de la recolonisation de l'Afrique »
Charles Onana n’a pas non plus eu des mots tendres envers le régime de Paul Kagame. « Kagame mène une guerre économique au Congo. Aujourd’hui, on a la démonstration de cette assertion. Depuis longtemps, les gens avaient sous-estimé le rôle du Rwanda comme un sous-traitant des multinationales. Le Rwanda de Kagame est devenu l’avocat de la recolonisation de l’Afrique », déclare Charles Onana.
Charles Onana soutient que le Rwanda a des agents et des lobbies très actifs au sein des institutions européennes parmi lesquels, le non moins influent Louis Michel – leader libéral belge, ancien ministre et commissaire européen -, initiateur du groupe « les amis du Rwanda » au sein du parlement européen, pour vous dire le travail abattu en coulisses.
Dans une autre interview au journaliste Robert KONGO (**), Onana revient sur « Le rôle de Louis Michel, ancien ministre et commissaire européen », « majeur dans cette action de lobbying». Ces dernières années, ses prises de position aussi bien au sénat belge qu’au sein de la commission européenne ont été déterminantes. Par exemple, il s’est opposé à la proposition d’un diplomate allemand qui demandait l’adoption de sanctions économiques contre le Rwanda après la publication des rapports de l’ONU prouvant l’implication des troupes rwandaises dans le pillage et la déstabilisation de la RDC. Louis Michel a considéré qu’envisager des sanctions contre le Rwanda serait contre productif. Pour lui, « Kagame est un visionnaire » et son pays serait un « pôle de stabilité » dans les Grands Lacs. Louis Michel a ouvertement pris fait et cause pour le régime dictatorial de Kagame et s’échine à le défendre coûte que coûte au sein des institutions de Bruxelles ».
« Les compte-rendus du sénat belge sont à ce sujet édifiant, rappelle Onana. On y découvre un Louis Michel agissant et parlant non pas comme un ministre belge mais plutôt comme « un militant rwandais » plaidant la cause de son « visionnaire » de Kigali. Il a même osé créer une association des amis du Rwanda au lendemain de la publication du rapport mapping de l’ONU en 2010. Il était partout, courant et transpirant pour un utopique « dialogue entre Kinshasa et Kigali ». L’impartialité de cet ancien commissaire européen n’a jamais été de mise dans la crise des Grands Lacs. »
Repression et fraude électorale au Congo: le role honteux de l'UE
Sans toutefois entrer en profondeur sur la notion de stabilité, Onana justifie le soutien indéfectible de l’Union Européenne au Rwanda par la garantie qu’il offre sur la stabilité de leurs intérêts dans cette région. Raison pour laquelle selon lui, l’UE continue de se voiler la face sur la situation dans la région des Grands-Lacs. Malgré les violations des droits de l’Homme au Rwanda, l’Union européenne continue toujours à apporter son soutien à ce régime dictatorial. Eu égard à ce qui précède, l’UE ne respecte donc pas ses propres principes, a conclu Charles Onana.
Onana donne l’exemple de la participation de l’UE dans la répression et le truquage des élections au Congo : « le chef de la diplomatie européenne (Javier Solana) et Joseph Kabila ont eu plusieurs échanges téléphoniques et épistolaires. Le président congolais lui a adressé une requête le 20 octobre 2003, dans laquelle il demandait la création d’une unité de police intégrée chargée d’assurer la sécurité des institutions de la transition en RDC. Ce dispositif sera effectivement mis en place, appuyé et supervisé par EUPOL (la Mission Européenne de Police). Il aura pour objectif d’assurer la sécurité des bureaux de vote, la protection des urnes et celle des membres de la commission électorale indépendante.
En réalité, l’unité de police intégrée a servi à empêcher toute contestation des Congolais à la suite d’un scrutin qui devait donner Joseph Kabila gagnant. Celui-ci était, en effet, déjà soutenu et désigné par les Etats-Unis avant le scrutin. La demande de protection du processus électoral va également s’étendre au plan militaire. C’est ainsi qu’en 2006, Solana écrit à Kabila pour le rassurer de la possibilité d’un déploiement d’une force de l’Union Européenne en RDC dans le cadre des élections. Joseph Kabila répond immédiatement dans une lettre du 19 mai 2006 par laquelle il le remercie de cette initiative. Le chef de l’Etat congolais a donc pu ainsi bénéficier du soutien des Etats-Unis, des Nations Unies et de l’Union Européenne pour accéder au pouvoir. »
Un livre dérangeant donc sur un dossier soigneusement occulté à Bruxelles et New-York. Qui rejoint les préoccupations d’EODE sur le double langage des institutions européennes.
Karel HUYBRECHTS & Luc MICHEL