La France a décidé d'annuler sa participation aux commémorations du 20e anniversaire du génocide rwandais, après les déclarations du président Paul Kagame l'accusant d'avoir participé aux massacres, a annoncé ce samedi 5 avril le ministère des Affaires étrangères.
Mise à jour 06/04/14 : La France sera représentée lundi à Kigali aux commémorations marquant le 20e anniversaire du génocide rwandais par son ambassadeur Michel Flesch, a-t-on appris dimanche au Quai d'Orsay.
« La France est surprise par les récentes accusations portées à son encontre par le président du Rwanda » qui « sont en contradiction avec le processus de dialogue et de réconciliation engagé depuis plusieurs années entre nos deux pays », a déclaré le porte-parole du Quai d'Orsay, Romain Nadal. « Dans ces conditions, Mme (Christiane) Taubira, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, ne se rendra pas ce lundi à Kigali », a-t-il ajouté. La France devait être représentée aux cérémonies organisées dans la capitale rwandaise, marquant le 20e anniversaire des massacres.
Dans une interview à l'hebdomadaire Jeune Afrique, à paraître ce dimanche 6 avril, Paul Kagame a dénoncé le « rôle direct » de la Belgique, ancienne puissance coloniale, et de la France « dans la préparation politique du génocide » et « la participation de cette dernière à son exécution même ». Il accuse les soldats français de l'opération militaro-humanitaire Turquoise, déployée en juin 1994 sous mandat de l'ONU dans le sud du pays, d'avoir été «complices » mais aussi « acteurs » des massacres qui ont fait, selon l'ONU, 800 000 morts, essentiellement tutsi, entre avril et juillet 1994.
Maintes fois démenties par Paris, les accusations du président Kagame, ancien chef de la rébellion tutsi à la tête du Rwanda depuis 1994, reprennent celles déjà formulées par Kigali à plusieurs reprises et notamment en août 2008 à l'occasion de la publication du rapport de la commission d'enquête rwandaise sur le rôle supposé de la France dans le génocide. En janvier dernier, les militaires français nommément cités par Kigali, et notamment le général Jean-Claude Lafourcade, patron de l'opération Turquoise, avaient jugé que « leur honneur était sauf », considérant que le gouvernement rwandais avait été «incapable d'apporter la moindre preuve » de ses accusations « infondées, indignes et inacceptables ».
Les nouvelles déclarations de Paul Kagame surviennent alors que les relations franco-rwandaises, rompues entre 2006 et 2009, semblaient s'être normalisées, surtout depuis la condamnation en mars à 25 ans de prison de Pascal Simbikangwa, premier Rwandais jugé en France pour génocide. Un procès dont Paul Kagame a également minimisé l'enjeu : «On nous présente cette sentence comme un geste, presque comme une faveur de la France à l'égard du Rwanda, alors que c'est le rôle de la France dans le génocide qu'il conviendrait d'examiner », a-t-il insisté.
Pourquoi Kagame attaque-t-il ?
Il y a quelque chose d’étonnant dans cette grosse poussée de fièvre. Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy et de Bernard Kouchner aux affaires en 2007, le climat était à l’apaisement. La France avait reconnu de graves erreurs d’appréciation en 1994 au Rwanda. Dans l’enquête sur l’attentat du président Habyarimana, le juge Jean-Louis Bruguière, très anti-FPR, avait laissé la place à Marc Trévidic, beaucoup plus circonspect. Surtout, après 15 ans d’immobilisme, la France était enfin décidée à poursuivre en justice les présumés génocidaires réfugiés sur son sol. Cela a été le cas de Pascal Simbikangwa, condamné en mars dernier.
Aujourd’hui, malgré tous ces gestes de Paris, Kigali attaque à nouveau. Quand le président Kagame accuse les militaires de l’opération Turquoise d’avoir participé à l’exécution du génocide sur le massif de Bisesero, il porte l’accusation la plus grave qui soit et le président Hollande peut difficilement rester sans réagir. Est-ce que le Rwanda se prépare à faire des révélations sur Turquoise ? Est-ce que ce pays s’agace de ne pas recevoir d’excuses officielles de la part de la France, vingt ans après les événements ? Ce qui est sûr, c’est que quelques semaines après la crise avec l’Afrique du Sud, le président Kagame ne craint pas d’ouvrir un nouveau front diplomatique, cette fois avec la France.
C'est le titre du dernier livre de l'Ambassadeur Jean-Marie NDAGIJIMANA*
Éditions la Pagaie, 184 pages ; ISBN : 9782916380124
Prix actuel : 15€
Contact : jeanmarie.ndagijimana@gmail.com
Résumé
De partout fusent des réquisitoires contre la France, l’accusant d’avoir fait et défait l’histoire dramatique du Rwanda. Les uns regrettent que la France n’ait pas agi assez vite et efficacement pour contrer le génocide de 1994, tandis que d’autres lui reprochent un engagement excessif. D’aucuns vont jusqu’à prétendre que son soutien militaire au Rwanda d'octobre 1990 à décembre 1993 aurait constitué un encouragement au génocide des Tutsi. D’autres affirment que ce génocide aurait pu se produire dès 1991, lorsque le FPR a lancé sa deuxième offensive et occupé les préfectures du Nord, si la France n'était pas alors intervenue.
Quel fut donc le rôle de la France dans cette guerre commencée le 1er octobre 1990, et qui se transforma en folie meurtrière collective à partir du 6 avril 1994 ? Que fit la France, mandatée par l'ONU, pour aider le Rwanda à éviter l’apocalypse ? Qu’aurait-elle dû faire qu’elle n’a pas fait ? Et les autres puissances occidentales ? Pourquoi, vingt ans plus tard, la France est-elle l’objet d’accusations de complicité de génocide de la part du gouvernement rwandais actuel et de ses alliés ? La France de Mitterrand et Balladur a-t-elle vraiment participé au génocide des Tutsi ?
L'auteur essaye de répondre à toutes ces questions, en se basant sur les informations auxquelles il a pu avoir accès durant sa mission de quatre ans à Paris.
L’auteur :
*Jean-Marie Ndagijimana était Ambassadeur du Rwanda à Paris d’octobre 1990 à avril 1994. Il a, à ce titre, suivi de près l’engagement de la France au Rwanda au cours de cette période.
M. Jean-Marie
NDAGIJIMANA est juriste de formation. Il a fait ses études dans les universités de Bujumbura et de Kinshasa. Diplomate de carrière, il a servi dans les postes de Bruxelles, Addis Abeba et Paris. C’est un observateur privilégié des conflits ethniques et politiques de son pays d’origine, le Rwanda, et de toute la région des Grands Lacs. Il anime aujourd’hui plusieurs organisations qui militent en faveur du respect des droits de l'homme et la réconciliation nationale/régionale basée sur une justice impartiale et le dialogue. Il est l'auteur de plusieurs livres.