KOUCHNER DEVRAIT «SAVOIR PARTIR» (Amb. Jean-Christophe Rufin)
LA CHARGE DE RUFIN CONTRE UN QUAI D'ORSAY «COMPLÈTEMENT MARGINALISÉ ET SINISTRÉ»
(REUTERS/Johannes Eisele)
On les disait amis, ils semblent désormais sérieusement brouillés. L'écrivain Jean-Christophe Rufin, ex-ambassadeur de la France au Sénégal, se livre à une charge sévère contre Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères. Décrivant dans un entretien au «Monde» un Quai d'Orsay «complètement marginalisé et sinistré», des diplomates dans le «désarroi le plus total», Rufin regrette que le co-fondateur de Médecins sans frontières se laisse dicter sa politique africaine par Claude Guéant, secrétaire général de l'Élysée, et des «réseaux de lobbying».
Le fond de l'affaire n'est pas nouveau. L'impuissance de l'ancien french doctor aux Affaires étrangères a déjà été décrite, notamment par Libération. Kouchner lui-même a reconnu qu'il devait s'accommoder d'influences parfois contraires. Mais Jean-Christophe Rufin, nommé à Dakar en 2007 par Nicolas Sarkozy, et débarqué fin juin sur insistance du président Abdoulaye Wade, détaille par le menu cette diplomatie si paradoxale: «D'un côté, il y a un Quai d'Orsay qui sert de vitrine à la fois "people" et morale, et, de l'autre, une realpolitik faite par derrière et par d'autres.»
Invité de RTL ce matin, l'auteur de «Katiba» a évoqué «une politique africaine indiscutablement en crise». Selon lui, «le Quai d'Orsay ne pèse plus rien dans les affaires africaines». Celles-ci sont gérées par Claude Guéant. «Très influent», l'ancien préfet «agit d'autant plus librement qu'il n'en répond ni devant l'Assemblée ni devant le gouvernement». «Il dépend du seul président de la République, dont j'ignore s'il est complètement informé des initiatives de son collaborateur», s'inquiète Rufin.
L'ancien président d'Action contre la faim s'en prend aussi aux «intermédiaires officieux qui ont été remis en selle depuis trois ans». «Les réseaux se sont reconstitués», explique-t-il à RTL, «on a quelque chose de très opaque». «Absolument pas représentatifs de l'intérêt général», ces lobbyistes «sont payés» pour faire valoir leur point de vue. Construits «à l'inverse des réseaux Foccart», ces «visiteurs du soir» font inévitablement penser à l'avocat Robert Bourgi, conseiller de plusieurs chefs d'Etat africains.
Et Rufin, qui craint que la France ne perde une «chance historique» de rompre avec la Françafrique - engagement de Nicolas Sarkozy en 2007 -, d'enfoncer le clou: «Obligé d'avaliser beaucoup de décisions (...) à contrecœur», Kouchner devrait «savoir partir».
Le ministre a d'abord répondu par l'ironie aux critiques de l'ancien ambassadeur, jugeant que ce dernier «boudait» et qu'il avait su «s'alimenter à la bonne source» pour écrire son dernier livre. Puis, interrogé à l'Assemblée nationale ce mardi, il s'est fait plus offensif: «J'espère - on n'est jamais trahi que par les siens - que cet homme ne s'étouffera pas de haine.»
«Nous sommes fiers de la politique qui a été menée, aussi bien pour la Guinée qui vient de voter pour la première fois depuis 59 ans, pour le Rwanda (avec lequel la France a repris depuis six mois des relations diplomatiques)», a rétorqué le ministre. «Nous sommes fiers de ce que nous avons fait après les coups d'Etat en Mauritanie, au Niger, ou à Madagascar», a-t-il ajouté.
Mais les temps sont décidément compliqués pour Bernard Kouchner, puisque deux de ses prédécesseurs, Hubert Védrine et Alain Juppé, viennent de publier dans «Le Monde» une tribune dénonçant «l'affaiblissement sans précédent (des) réseaux diplomatiques et culturels de la France».