Histoire du Rwanda : La pendaison de Rukara fils de Bishingwe
Par Mwalimu MUREME Kubwimana,
Statisticien-historien-économiste et politologue rwandais, Centriste Gitériste-Kayibandiste, Représentant du modèle « Mgr Alexis Kagame et Mureme »
Les faits concernant le mouvement « insurrectionnel » ou « révolutionnaire » Ndungutse – Rukara – Basebya de 1912 et sa répression ont été bien décrits par le R.P. Delmas, père blanc de la mission de Rwaza en 1912. Il s’agit du texte publié dans le rapport annuel des missionnaires d’Afrique, n° 7 (1911-1912), mission de Rwaza, pp. 411 – 413. Son auteur, le père Delmas, se trouvait à Rwaza, « au milieu des révolutionnaires ». Il a écrit directement après les évènements, puisque le texte a été publié dans le rapport annuel 1911-1912 qui a été clôturé en principe au mois de juillet 1912. Au fait, ce document a le mérite de décrire la situation encore chaude, de ne pas emprunter beaucoup aux souvenirs et surtout de montrer une des perceptions de ce mouvement par un homme de l’époque qui était opposé « aux révolutionnaires » et qui de surcroit était très bien informé. C’est du moins l’avis général des historiens rwandais, y compris Ferdinand Nahimana. On va donc l’emprunter.
Voici ci-après la partie du texte concernant Ndungutse, Rukara et Basebya et le récit le plus précis se rapportant à la pendaison de Rukara fils de Bishingwe.
« De janvier à fin avril 1912, nous avons vécu au milieu des révolutionnaires. Un certain Ndungutse, se disant fils de feu Mibambwe et héritier du trône de son père, s’est posé en prétendant. (Mibambwe, fils de Rwabugili, fut tué par les partisans du roi actuel Musinga. Lui aussi est fils de Rwabugili, mais d’après le protocole, disent certains, il ne devrait pas être roi). Dans toute la région Nord-est du Rwanda, l’on ne parlait que de Ndungutse et de ses exploits. Avant même qu’il fut connu, le merveilleux se mêlait à la fable, pour faire de lui un héros. Il avait nombre d’expédients pour triompher de ses ennemis. Il possédait entre autres une courgette qui changeait en eau les balles des Européens. Il fit d’abord la guerre avec succès à la famille Tutsi des Batsobé, les meurtriers de son père. Il se proposait de marcher sur la résidence du roi actuel, quand le gouvernement y mit le holà, en lui barrant la route par des pelotons de soldats, échelonnés sur tout le parcours entre Kigali et la mission de Rwaza. Il essaya à trois reprises, mais en vain, d’avoir des relations avec nous et de nous envoyer des vaches en cadeau.
En dernier lieu, il faisait demander au père supérieur pourquoi il ne voulait pas être son ami. « Puis-je bien être l’ami de celui qui a chez lui Rukara, le meurtrier du P. Loupias ? lui fut-il répondu ». On pensait donner là une réponse sans réplique. Ndungutse prit la chose au sérieux. Quelques jours après, il saisissait chez lui Rukara et le faisait conduire à un petit poste de quatre soldats à deux heures de la mission. Malgré ce beau geste, la fortune devait être contraire à Ndungutse. Pendant que les soldats conduisaient Rukara à la résidence, une armée d’une centaine de soldats sous le commandement de M. le Résident intérimaire Oberleutnant Gudovius, renforcée de 2 à 3000 guerriers du roi Musinga, cernait de nuit les huttes du prétendant. Ndungutse fut tué, et un grand nombre des siens eurent le même sort. Les femmes furent faites prisonnières. C’était le 13 avril 1912.
Le 17 avril 1912, M. le Résident passa à la mission. Il avait avec lui Rukara, qu’il conduisait au camp de Ruhengeli, où le lendemain, le meurtrier devait être pendu. Il nous invita à assister à l’exécution et nous dûmes céder aux raisons qu’il nous donna. C’était à dessein que M. le Résident voulait exécuter Rukara en Muréra, pour donner une leçon exemplaire aux révoltés qui peuplent cette région. Il avait convoqué tous les chefs avec leurs sujets. Il nous invita à dire aux gens de la mission de venir voir. Nous ne pouvions pas être les seuls absents alors qu’il s’agissait de venger l’un des nôtres. Le 18 avril 1912, les PP Delmas et Van Baer prirent la route du camp suivis de 2 à 3000 hommes. On refit le procès de Rukara. M. le Résident assisté d’un officier et d’un vétérinaire constituaient le conseil des juges. Sept ou huit grands chefs servaient de jurés. Nous étions assistants. Durant deux heures, l’on entendit les dépositions de cinq témoins. Ils s’accordèrent tous à dire que Rukara avait excité ses gens à frapper le père Loupias de leurs lances. M. le Résident demanda aux jurés leur avis. Tous demandèrent la mort. Après quelques minutes de délibération, la sentence fut prononcée. Rukara essaya de se disculper. Il recommanda ses enfants à M. le Résident. Enfin grinçant des dents, il roula ses yeux de sauvage sur les soldats qui l’entouraient. Il essuya avec ses mains emmenottées l’une à côté de l’autre, la sueur qui perlait sur son front. Une autre chaîne reliait les poignets au cou, qui était enserré dans une cangue de fer. La potence était dressée à une centaine de mètres de là. Le cortège se mit en marche en silence : les Européens d’abord, suivi de quatre soldats le fusil sur l’épaule : puis un sergent conduisant Rukara par la chaîne ; venaient ensuite d’autres soldats. Arrivés à 30 mètres de la potence, quatre coups de fusils retentissent… Nous nous retournons et voyons à terre Rukara percé de balles, tandis que l’infortuné sergent allemand qui le conduisait s’affaisse sur le sol. Ce monstre, enchaîné comme j’ai dit plus haut, avait réussi à dégainer le coutelas du sergent allemand et le lui avait enfoncé dans les épaules jusqu’à la poignée. Quelques minutes après, tous deux étaient morts. Je ne vous dis pas combien fut piteux le reste de la journée et l’ahurissement dans lequel nous restâmes. Quant à Rukara, ce dernier exploit l’a rendu à jamais légendaire.
L’armée continua sa marche sur les révoltés, en Bushiru, en Buhoma, en Bumonyo, en Kibali. Quatre grands chefs, grands sorciers et même assez compromis, refusèrent et refusent encore de se soumettre. Un autre chef du Buberuka, du nom de Basebya, de race Mutwa (dernière classe de la société), avait su s’acquérir une réputation de brigand et de brave dans toute la partie Nord-est du Ruanda. En 1900, toute une compagnie, sous la conduite de cinq Européens, avait été dirigée contre lui, mais sans aucun succès. Il s’enfuyait la nuit et se cachait le jour, tenu qu’il était au courant de tout par ses émissaires. Ce Basebya était devenu le premier ministre et comme le tuteur de Ndungutse. Il lui prêtait ses guerriers et l’appuyait de son autorité en toute circonstance. Lorsque Ndungutse fut tué, Basebya parvint à s’échapper. Le 13 mai 1912, M le Résident envoya chez lui un chef Tutsi Rwubusisi, avec quelques soldats déguisés en marchands. Basebya, ne se doutant pas du piège, fut pris et enchaîné. Il appela bien ses gens au secours, mais les fusils des soldats les tinrent à distance. Le 15 mai 1912, il fut fusillé en Kibali. Après ce dernier exploit, M le Résident déclara la guerre terminée, congédia les troupes du roi Musinga et se dirigea vers notre mission »
Voilà les événements historiques tragiques que les Bakiga n’ont jamais oubliés et qui les ont marqués durablement.
En définitive, il est naturel de conclure que Ndungutse et Basebya étaient des bandits qui ne méritent aucun respect de l’Histoire du Rwanda. Il n’est même pas compréhensible qu’un historien rwandais aussi sérieux que Ferdinand Nahimana prenne les crimes de ces brigands pour des hauts faits. Il est vrai que l’imposteur Ndungutse, -de son vrai nom Birasisenge-, était un bas noble tutsi insurgé contre la noblesse tutsie, mais sa motivation était purement égoïste. Le fait d’avoir trahi et livré Rukara fils de Bishingwe prouve à suffisance qu’il prenait les gens pour ses instruments, à commencer par les Hutu. Ndungutse et Basebya étaient des vauriens. Par contre, effectivement, Rukara fils de Bishingwe est un personnage très digne de respect, qui mérite beaucoup de respect de l’Histoire du Rwanda. Il se battait pour le bien-être général de son groupe social et de son peuple. C’était un Mugabo. Il doit être considéré comme un héros national et un boulevard devrait lui être dédié (= Nyabagendwa ya Rukara rwa Bishingwe). Son jugement a été une mascarade de la Justice coloniale. L’Histoire du Rwanda a raison de retenir son nom. C’est un homme légendaire digne de l’être.
Au fait, à propos de Ndungutse Birasisenge, de Basebya et de Rukara, il importerait de nuancer quelque peu les commentaires des uns et des autres.
D’après Ferdinand Nahimana : « Pour Yuhi V Musinga, les officiers allemands et les pères blancs, ces trois hommes étaient des brigands et des insoumis qu’il fallait capturer, torturer et tuer, afin d’enrayer le mal dans le pays. Pour les populations du Nord et du Nord-ouest, ces hommes étaient devenus le symbole de la bravoure militaire : ils étaient des éléments mobilisateurs de l’élan guerrier. Partout, ils étaient considérés comme le symbole de la puissance et de l’indépendance. Se soustraire d’eux aurait signifié plier sans réactions sous le double joug colonial et Nyiginya. C’est pourquoi ils ont été écoutés partout et qu’on a qualifié avec raison le mouvement qu’ils ont déclenché de « révolutionnaire » ».
Par contre, notre interprétation et celle de Ferdinand Nahimana sur ce point divergent.D’après Mgr Alexis Kagame et donc d’après le modèle « Mgr Alexis Kagame et Mureme », Ndungutse Birasisenge et Basebya étaient bel et bien des brigands et des criminels. Seul Rukara fils de Bishingwe mérite d’être considéré comme un vrai révolutionnaire et un homme public vénérable. Les commentaires de Ferdinand Nahimana sont inadéquats. On doit reprocher au modèle Akazu de cacher que c’est Ndungutse en personne qui a trahi et livré Rukara fils de Bishingwe à la vengeance européenne. Ndungutse était un retors noble Tutsi et un vil félon que les Bakiga devraient éviter de vénérer. Inciter les gens à vénérer Basebya et Ndungutse Birasisenge est une hérésie regrettable. En aucun cas, Ndungutse ne peut être pris pour un symbole de la bravoure militaire, un élément mobilisateur de l’élan guerrier ou un symbole de la puissance et de l’indépendance, comme ose le dire Ferdinand Nahimana. Il est à faire remarquer qu’il n’était même pas fils de Mibambwe IV Rutalindwa puisqu’il était plus âgé que feu le Mwami Mibambwe IV Rutalindwa. C’était un homme prétentieux et un faux type. C’était un imposteur. Or, le mensonge n’est jamais un acte de héros. Il est donc très surprenant qu’un grand historien rwandais de la région de Ruhengeli dise tant de bien d’un traître monstrueux comme Ndungutse Birasisenge. C’est très critiquable.
Références bibliographiques
Mureme Kubwimana, Bonaventure, Manuel d’Histoire du Rwanda à l’époque coloniale suivant le modèle Mgr Alexis Kagame, L’Harmattan, Paris, 2010, pages 89-92
Fait à Paris, le 27 février 2014
Mwalimu MUREME Kubwimana,
Statisticien-historien-économiste et politologue rwandais, Centriste Gitériste-Kayibandiste,
Représentant du modèle « Mgr Alexis Kagame et Mureme »