Bernard Kouchner quitte le Quai d'Orsay sur un bilan décevant
15/11/2010 19:47
Trois ans après son arrivée au Quai d’Orsay, Bernard Kouchner est resté « French doctor », sans jamais devenir diplomate.
Comment exister en tant que ministre des affaires étrangères quand les dossiers les plus importants vous échappent, qu’ils sont traités au sommet de l’État, à l’Élysée ? Bernard Kouchner n’a pas trouvé la réponse en trois ans de présence au Quai d’Orsay. Ce qui explique son bilan très limité.
Au titre des points positifs, il a œuvré à la protection au Tchad des réfugiés du Darfour, a été l’artisan de la réconciliation avec le Rwanda, et il a poussé les militaires guinéens à la transition vers un régime civil après un massacre en septembre 2009. Dans le cadre d’une réorganisation de son ministère, il y a créé un « pôle religions » chargé d’appréhender le fait religieux dans le monde.
Les jugements ne sont pas tendres
Il laisse à son successeur, Michèle Alliot-Marie, un ministère lassé des « foucades » de son ministre et de son manque de connaissance des dossiers. Deux de ses prédécesseurs, le socialiste Hubert Védrine et l’UMP Alain Juppé, lui avaient porté le coup de grâce avec une tribune publiée en juillet dans le quotidien Le Monde , intitulée : « Cessez d’affaiblir le Qua
i d’Orsay », dans laquelle ils dénonçaient les « conséquences pour la France d’un affaiblissement sans précédent de ses réseaux diplomatiques et culturels ».
À l’heure du bilan, les jugements des spécialistes de la diplomatie ne sont pas tendres. « Il est dans le réactionnel et l’émotionnel, résume Dominique Moïsi, de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Kouchner n’avait pas été choisi pour sa meilleure compréhension du monde, mais parce que l’Élysée voulait faire une opération de politique politicienne. Les amis du président ont pensé qu’il ne poserait pas de problèmes, n’étant pas un homme de dossiers. » Pour les relations avec la Chine, la Russie, l’Inde, les relations transatlantiques, il n’« a pas été à la hauteur de la réflexion, de l’imagination », juge encore Dominique Moïsi.
"La fin du kouchnérisme"
Quant à l’Europe, « elle n’était pas sa tasse de thé ». Il a laissé ce dossier aux conseillers de Nicolas Sarkozy ou à ses secrétaires d’État successifs, renchérit Pascal Boniface, directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).
Son franc-parler, sa sincérité ont
parfois mis en difficulté la diplomatie française. Sur la relation algéro-française, il déclare qu’elle sera « peut-être plus simple » lorsque la génération de l’indépendance ne sera plus au pouvoir. En 2008, dans l’hebdomadaire américain Newsweek, il se vante d’avoir suggéré à la secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, de « remplacer » le premier ministre irakien Nouri Al Maliki.
Pour Pascal Boniface, le Quai d’Orsay « qui aurait dû être le bâton de maréchal de Bernard Kouchner, a plutôt été la fin du kouchnérisme, tant ce qu’il incarnait – droit d’ingérence, droits de l’homme – s’est brisé sur l’autel de la realpolitik ».
Agnès ROTIVEL