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Publié par JMV Ndagijimana

Extraits du compte-rendu d’audience du 9 mars 2006 dans l’affaire Bagosora...

 

 




M. LE PRÉSIDENT 

Quelle est la question suivante ?
Me ERLINDER :

Question (Q)  
Monsieur le Témoin, le Procureur a donné des éléments de preuve selon lesquels... c'était à travers le général Dallaire ; il a dit qu'il y a eu des assassinats à Kirambo, autour du 17 ou du 18 novembre, et également à Mutura, vers la fin de novembre, c'est‑à‑dire du 26 au 29. Est‑ce que vous avez des informations sur l'un quelconque de ces incidents ou alors est‑ce que vous contestez le fait qu'ils aient eu lieu ?


Réponse
(R)
Les assassinats ont été perpétrés dans la région de Kirambo et de Mutura, mais plus particulièrement à Kabatwa. Même si je ne suis pas certain à propos des dates, mais ces assassinats ont été perpétrés par les éléments de l'unité Charlie et ceux du bataillon 59. Je crois d'ailleurs avoir donné les noms dans ma déclaration — je veux dire les noms des personnes responsables de ces assassinats.


Q.      Je vous remercie, Monsieur le Témoin. On n'a pas besoin de rentrer dans ces détails‑là. Est‑ce que vous savez pourquoi ces individus ont été tués ; je crois que c'étaient des civils, n'est‑ce pas ?


R.      La raison est à placer dans le plan du FPR de créer des... un climat de violence pour la reprise des hostilités, et pour le cas de Mutura, c'est plutôt spécial parce que ce sont des Tutsis qui ont été assassinés, alors que d'habitude, ceux qui étaient ciblés étaient des Hutus.


Q.      Dois‑je comprendre que l'APR ciblait des Tutsis ; c'est ce que vous venez de dire ?


R.      Ce n'était pas systématique, mais j'ai pu apprendre certains incidents à l'occasion desquels des Tutsis ont été ciblés, sans que je puisse savoir exactement pourquoi ils étaient ciblés.


Q.      Est‑ce que vous savez si l'un de ces événements avait quelque chose à voir avec les élections locales qui devaient avoir lieu dans ces régions‑là ?


R.      Les élections étaient utilisées comme prétexte. Le FPR avait procédé au recrutement de certains membres et lorsque les populations civiles sont revenues dans leurs propriétés, ces membres de la population ont refusé d'élire les membres ou les éléments du FPR. Mais je ne pense pas qu'il y ait une relation quelconque entre ces élections et ces assassinats. Je place plutôt ces assassinats dans le contexte du plan de créer un climat de violence pour la reprise des hostilités.


Q.      Monsieur Ruzibiza, vous avez déclaré qu'une partie du... de la collecte des renseignements du FPR avait trait à l'infiltration et l'obtention d'informations militaires et politiques de l'autre côté, de l'adversaire. Alors, dites‑nous : Quelles étaient les institutions du Gouvernement rwandais qui avaient été infiltrées par le FPR, en ce qui concerne la collecte des renseignements et particulièrement le personnel des renseignements ? Par exemple, les gendarmes, les FAR, les partis politiques, etc.


R.      Je pense que cette question est, en quelque sorte, vague, et cela me demande de donner beaucoup de détails, parce que nous n'avions pas la capacité de pouvoir infiltrer les institutions gouvernementales. Nous pouvions cependant obtenir des informations « à » des personnes qui travaillaient au sein de ces institutions, que ce soient des Tutsis ou parfois même des Hutus.


Q.      Est‑ce que vous avez eu des informations... des sources d'information au niveau de la Gendarmerie et dans l'armée gouvernementale rwandaise ?


R.      Personnellement, je n'en connais pas, mais cela n'exclut pas l'éventualité que de tels éléments auraient pu exister.

 

Q.      Est‑ce que vos camarades de l'APR ont joué un rôle au niveau des Interahamwe ? Est‑ce qu'ils ont utilisé les Interahamwe, d'une façon ou d'une autre ? Et si tel est le cas, expliquez‑nous.


R.      Nous n'avons pas utilisé les Interahamwe, mais certains de mes collègues — et ici, je veux parler des membres de l'équipe qui était déployée à Kigali —, certains, donc, de mes collègues utilisaient les Interahamwe... acceptaient... plutôt, participaient aux activités des Interahamwe et se comportaient comme les Interahamwe eux‑mêmes, pour éviter d'être reconnus.


Q.      Savez‑vous si cette infiltration des Interahamwe par les... des membres de l'APR, est‑ce que vous savez si cela a eu lieu ailleurs qu'à Kigali, ou alors est‑ce que vous parlez uniquement de la ville de Kigali ?


R.      Je dois d'abord vous dire qu'il n'était pas facile d'infiltrer les Interahamwe, mais pour répondre à votre question, de telles infiltrations ont eu lieu ailleurs. Mais il était plus facile pour nous d'infiltrer les jeunesses des autres partis, telles que celles du PSD ou du PL.


Q.      Je crois qu'il y a quelques instants, vous avez déclaré que quelquefois elle était nécessaire pour que des personnes qui étaient habillées en civil... des personnes qui étaient habillées en civil étaient en réalité des combattants de l'APR ; et ce genre de personnes‑là s'impliquaient dans des actes de violence perpétrés par les Interahamwe ; est‑ce que je vous ai bien compris ?


R.      Oui, je l'ai dit.


Q.      Avec quelques illustrations, est‑ce que vous pouvez nous donner des informations sur ce que vous saviez ; par exemple, le fait qu'il y avait des barrages routiers avec des personnes en civil ?


M. LE PRÉSIDENT :
C'est là le problème. Posez la question en termes généraux, et vous n'avez pas besoin de donner des indications spécifiques.


Me ERLINDER :
Avec le respect, Monsieur le Président, si je donne plus d'une alternative au témoin et je lui demande des explications, ce n'est pas une question suggestive. Donc, arrêtez‑moi avec le premier... vous m'avez arrêté avec le premier exemple. Si j'avais pu continuer, je lui aurais donné deux ou trois exemples et j'aurais demandé une réponse générale. Ce n'est pas une question suggestive, mais je vais accepter votre décision en tant que Président du Tribunal.


M. LE PRÉSIDENT :

Q.      Est‑ce que vous pouvez maintenant répondre à la question formulée différemment ?


R.      Lorsque vous avez interrompu le Conseil de la Défense, je ne comprenais pas quelle nuance il voulait introduire, parce que je crois que j'avais déjà répondu à sa question.


Me ERLINDER :
Monsieur le Président, je vais essayer.

Q.      Je voulais quelques exemples sur le type de choses que les militaires de l'APR faisaient pour maintenir leur présence parmi les Interahamwe. Donc, qu'est‑ce que vous vouliez dire quand vous avez évoqué cela ?


R.      Il y a, par exemple, eu des manifestations qui se sont déroulées au stade de Nyamirambo en présence du Président du PL, Monsieur Mugenzi. Il y a également eu des manifestations qui se sont déroulées à Kimihurura la veille de la mise en place du gouvernement. Il s'agit là de deux cas où nous avons eu nos éléments qui étaient impliqués, et cela a causé une violence relative. Et avant l'assassinat du Président, il y a eu certains éléments de l'APR qui n'ont pas pu rentrer à leur poste d'attache à cause des barrages qui ne les laissaient pas passer, et certains de ces éléments ont dû attendre une occasion propice pour pouvoir passer à travers ces barrages et rejoindre leur poste d'attache.


Q.      Est‑ce que vous avez des informations sur le fait qu'il y a eu des infiltrés de l'APR sur certains des barrages routiers — tout au moins à certains endroits.


R.      Je vais répondre dans le cas de Kigali, surtout que je n'ai même pas pu me rendre à ces barrages routiers. Mais à Gikongo, cela s'est produit ; à Kimihurura aussi. Mais pour les autres barrages routiers, je pense qu'il y a eu une infiltration après la mort du Président Habyarimana. Sinon, je ne connais pas la situation des autres barrages routiers.


Q.      Quand on parle d'infiltrations, est‑ce qu'il s'agit d'infiltrations par des membres de l'APR — pour des raisons de clarté ?


R.      Mais entendons‑nous d'abord : Leur objectif final n'était pas d'aller à ces barrages routiers. Ce n'est donc pas le FPR qui décidait que ces éléments devaient se rendre à ces barrages routiers. Nous le faisions pour pouvoir avoir des informations de première main.


Q.      Je le comprends. Par rapport à la distinction que vous avez établie entre l'APR et le FPR, et les personnes qui ont reçu un entraînement à Mulindi et ont été renvoyées dans leur localité d'origine, est‑ce que vous savez quelles activités ces personnes entraînées par le FPR menaient pendant que vous faisiez ce que vous, vous faisiez avec l'APR ? Est‑ce que vous avez des informations là‑dessus ?


R.      Je dois d'abord préciser qu'il n'y a pas eu de formation de civils à Mulindi. Les seules formations qui ont eu lieu ont eu lieu à Karama et à Cyondo, ainsi qu'aux postes de commandement des différentes unités. Mais il n'y a pas eu de formation de civils à Mulindi. Quant au contenu de leur formation,
il s'agissait d'une formation de mobilisateur politique. Ils apprenaient aussi le maniement des armes. Ensuite, ils étaient envoyés à l'intérieur du pays pour sensibiliser les membres de la population à l'idéologie du FPR. Avant 1994, je ne leur connais pas d'autres missions.


Q.      Concentrons‑nous là‑dessus. Vous avez dit que la mission consistait à sensibiliser les populations par rapport aux positions du FPR. Donc, pourquoi, en fait, on essayait de former les gens pour ce travail politique‑là ?


R.      Si je devais répondre à cette question, je pense que je risque de spéculer. Mais dans tous les cas,
ils devaient pouvoir se protéger dans le cas où ils seraient attaqués ; et c'est dans ce cadre qu'ils devaient avoir un entraînement militaire, et certains d'entre eux ont reçu des pistolets ou des grenades pour leur propre défense. Mais dans certains cas, certaines de ces personnes qui avaient été formées jetaient des grenades par ci, par là, pour causer… justement… et rajouter à ce climat d'insécurité. Mais je dois préciser que ce n'était pas là l'objectif principal de leur formation, et c'étaient là des cas isolés.


Q.      Il s'agit de la période avant que l'avion présidentiel ait été abattu ?


R.      Oui. Parce que de tels actes n'auraient pas été possibles après que l'attentat contre l'avion présidentiel ait eu lieu, parce que c'était une situation de guerre.


Q.      Est‑ce que vous avez eu des contacts avec les membres ou les sympathisants du FPR pendant que vous travailliez au niveau de l'APR ? Je veux dire avant que l'avion présidentiel ait été abattu
— je parle des trois ou quatre mois précédant cet incident.


R.      Oui, j'avais des contacts fréquents avec eux, parce que même là où je me cachais, j'étais un agent, un cadre du FPR.


Q.      Où vous cachiez‑vous à ce moment‑là, globalement ?


R.      Pendant la période où je faisais mon travail de reconnaissance, je vivais dans une localité entre Kabeza et Giporoso, et c'est dans la zone de Remera.


Q.      Y êtes‑vous resté pendant tout le temps que vous avez passé à Kigali, ou alors est‑ce que vous vous êtes déplacé ?


R.      C'était là mon adresse permanente, mais il m'arrivait aussi de passer la nuit à Kicukiro ou à Kabuga, selon l'objet de ma mission ou selon qu'il avait plu.


Me ERLINDER :
Monsieur le Président, pour accélérer ceci, nous avons une carte des différents points, des endroits où ce témoin a été ; on a des gros cercles là‑dessus.

Q.      Monsieur le Témoin, regardez la carte et le point qui a un grand cercle noir là‑dessus. Je crois que vous avez déjà une copie, mais si cela est nécessaire, Madame Ben Salimo peut vous en procurer une autre.


M. LE PRÉSIDENT :
Est‑ce que vous versez cela en preuve ?


Me ERLINDER :
Oui, Monsieur le Président.


M. LE PRÉSIDENT :
Versons la pièce précédente.

Mme BEN SALIMO :
(Intervention inaudible : Microphone fermé)


L'INTERPRÈTE ANGLAIS‑FRANÇAIS :
Votre micro, Madame Ben Salimo.


Mme BEN SALIMO :

C'est la pièce D. NT 215, Monsieur le Président.


M. LE PRÉSIDENT :
Je vous remercie.

 

(Admission de la pièce à conviction D. NT 215)
Vous avez reçu ce deuxième document, Monsieur le Témoin, et voici la question.


Me ERLINDER :

Q.      Monsieur le Témoin, est‑ce que vous connaissez le document que vous avez sous les yeux ? Et dites‑nous en quoi il consiste, si vous le connaissez.


R.      Oui, c'est moi qui ai élaboré cette carte pour indiquer les différents endroits où j'ai été pendant ma carrière militaire et les périodes correspondant à chaque endroit.


Q.      Cette carte est élaborée pour éviter qu'on pose de trop nombreuses questions ; c'est juste pour établir votre expérience dans le pays. Je voudrais maintenant me concentrer sur la période juste avant que l'avion présidentiel a été abattu, les quatre mois que vous avez passés à Kigali. Est‑ce que vous savez si des membres du FPR ou si des sympathisants du FPR ont participé à la collecte de renseignements et dans les activités et les actions militaires du FPR ?


R.      Je vous demanderais de reprendre votre question, Maître, parce que je l'ai pas bien saisie.


Q.      Très bien. J'essaie d'établir un distinguo entre le rôle du FPR et de l'APR. Quand vous étiez à Kigali, nous avons compris votre rôle de collecte d'informations, et celui de votre collègue. Est‑ce que vous savez si des membres du FPR — mais pas de l'APR —, donc des gens du FPR étaient engagés dans les activités que vous venez d'évoquer ?


R.      En réalité, même si l'APR était la branche armée du FPR, mais c'était un même ensemble, et les éléments de l'APR faisaient que mettre en application les décisions qui avaient été adoptées par la structure politique, parce que celui qui dirigeait la branche armée était en même temps le vice‑président du FPR.


Q.      Et qui était‑ce ?


R.      Je veux parler du général major Paul Kagame, même si après l'envoi du bataillon du FPR au CND,
il a changé de poste et qu'il a laissé son poste à Patrick Mazimpaka. Mais sinon, avant pour… qu'il ne démissionne de ce poste, c'est lui qui était le vice‑président du FPR et c'est lui qui était en même temps le patron de la branche armée.


Q.      Je comprends qu'au niveau... Il y avait ces liens entre le FPR et l'APR en la personne de Monsieur Kagame, mais sur le terrain, est‑ce que vous et vos collègues de l'APR receviez un soutien ou l'assistance de personnes du FPR qui étaient à Kigali ? Et si c'est le cas, dites‑nous comment cela se passait.


R.      Je vais commencer par moi‑même. Je vous ai dit que j'étais hébergé par un cadre politique du FPR. Vous comprenez donc que c'était un civil qui travaillait pour le compte du FPR et j'étais hébergé chez lui ; et il est fort probable que mes autres collègues « aient été » le même cas que moi.


Q.      Savez‑vous si pendant la période avant le crash de l'avion présidentiel… — choisissez n'importe quelle période — est‑ce qu'il y a eu une formation continue de personnes qui venaient de Kigali, ou d'autres zones, des gens qui étaient formés et renvoyés dans leur localité ? Est‑ce que pendant cette période, il y a eu une telle formation ?


R.      J'ai dit que ces entraînements ou ces formations ont surtout eu lieu au milieu de l'année 1993, et que cela a continué jusqu'à la mort du Président Habyarimana. Mais après la mort du Président, cela n'était plus possible. Mais avant 1994, c'est... ou bien 1993 — plutôt — ces formations étaient la plupart du temps destinées aux éléments ressortissants des pays autres que le Rwanda.

A suivre

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