Sarkozy en Afrique: les murmures de Kin-la-rebelle
REUTERS/Philippe Wojazer
Nicolas Sarkozy accueille le président de la République Democratique du Congo, Joseph Kabila, à l'Elysée le 16 juillet 2008.
A Kinshasa, où est arrivé Nicolas Sarkozy, on ne pardonne pas au président français sa "nouvelle approche" des conflits qui enfièvrent les Grands Lacs: "Sarkozy le Rwandais" est accusé de vouloir dépecer le pays.
Dans le jargon diplomatique, on appelle cela un accueil "mitigé". Ou "contrasté". Mercredi en fin d'après-midi, lorsque le cortège de minibus, venu de l'aéroport N'Djili, rallie au prix d'un gymkhana chaotique le centre de Kinshasa, il suscite dans son sillage moins d'ovations que de lazzis. Le convoi n'achemine pourtant vers l'hôtel Memling que la piétaille: la délégation française, parlementaires ou hommes d'affaires, et les journalistes appelés à couvrir la tournée subsaharienne de Nicolas Sarkozy. Lequel ne débarque en République démocratique du Congo (RDC) que ce jeudi à l'aube.
Honte sur moi: je ne parle pas le lingala. Impossible donc de traduire les railleries et les quolibets, plus goguenards que hargneux, qui fusent le long de l'avenue Patrice-Lumumba. En revanche, le langage des gestes, cet espéranto planétaire, situe avec éloquence le taux de popularité local du chef de l'Etat. Ici, des index accusateurs, pointés; là, un pouce et un index unis en un ovale parfait pour former un "zéro" dénué d'ambiguïtés.
Pour un peu, on jurerait que le tenancier de la "Terrasse Saint-Nicolas", l'un des innombrables bars qui jalonnent le boulevard, s'apprête à débaptiser sa buvette. En revanche, implorons les proprios de "Ma mère avait raison" et de "La Femme vertueuse - Ustensiles de cuisine" de ne pas toucher à leur enseigne.
Soyons clairs: s'il prenait à Sarkozy l'envie d'un bain de foule kinois, peut-être faudrait-il l'en dissuader. Scénario improbable d'ailleurs, au vu du format des rallyes-raids élyséens. Trois pays – RDC, Congo Brazzaville et Niger – en 36 heures chrono ": l'exercice relève moins de l'immersion en terre africaine que du posé-décollé.
"Sarkozy le Rwandais"
Pourquoi diable une telle tiédeur envers Sarko, premier chef d'Etat hexagonal à fouler le sol de l'ex-Zaïre depuis François Mitterrand, accueilli -pas de quoi se vanter- par le défunt Maréchal Mobutu voilà un quart de siècle? L'hôte du jour paye, avec les intérêts, une formule malheureuse. Le 16 janvier, lors des vœux au corps diplomatique, il avait livré sa "nouvelle approche" des conflits et tensions qui enfièvrent les Grands Lacs, suggérant un « partage de l’espace des richesses » entre l'immense Congo et le petit Rwanda, voisin honni pour ses incursion militaires -1996 et 1998-, ses ingérences par milices interposées et sa contribution éminente au pillage du pactole minier maison.
Bref, la bourde. Aussitôt, la presse kinoise s'embrase. Voilà "Sarkozy le Rwandais" accusé de vouloir dépecer le pays. On hurle à la "balkanisation" de la RDC. Et, contrairement aux apparences, ceci n'a rien à voir avec la présence, dans la suite présidentielle, de Patrick Balkany, député-maire de Levallois-Perret, amateur de Havane, vieux pote de Nicolas et émissaire franc-tireur sur le continent.
Bien sûr, le locataire de L'Elysée a depuis lors tenté de corriger le tir, par le biais d'un entretien accordé -par écrit- à une demi-douzaine de quotidiens congolais, et publié un mois après sa sortie maladroite. "Mais pourquoi me parlez-vous de démembrement, s'insurge-t-il? Qui a dit cela? La souveraineté de la RDC et l'intangibilité de ses frontières sont des principes sacrés."
A l'évidence, la mise au point n'a pas suffi. "Les propos de Sarkozy n'engagent que lui, grince Jean-Py, un chômeur de 29 ans. De quoi se mêle-t-il? D'abord, ce n'est même pas la France, mais la Belgique, qui a colonisé ce pays. C'est à nous de décider de notre sort. Tous les maux de l'Afrique viennent de l'Occident." "Moi, j'aime Sarkozy!" objecte un "tchatcheur" installé devant le Memling. Il faut dire que lui vend des répliques peintes de la couverture de "Tintin au Congo".
Pacte secret
Le président français aura au moins échappé à un cauchemar protocolaire. La démission "sans débat ni vote", mercredi après-midi, du patron de l'Assemblée Nationale, Vital Kamerhe, lève in extremis une hypothèque sur le bel ordonnancement de son passage-éclair. Selon les usages, c'est audit Kamerhe qu'aurait dû échoir l'honneur de présider la séance du Congrès -députés et sénateurs réunis- au cours de laquelle Nicolas Sarkozy prononcera une allocution ce jeudi en fin de matinée. Or, voilà des semaines que les partisans du président Joseph Kabila somment l'intéressé, lui même issu des rangs de la mouvance majoritaire, de s'effacer. Le menaçant d'adopter à son encontre une "motion de déchéance".
Son forfait? Avoir dénoncé le "pacte secret" qui, au prix d'un audacieux renversement d'alliance, permit en janvier à l’armée rwandaise de pénétrer sur le territoire national, pour pourchasser les rebelles hutus du Front démocratique pour la libération du Rwanda (FDLR). Cet impair aura fourni le prétexte idéal pour évincer une figure de l'échiquier congolais, hier très proche de Kabila, mais qui, pour son malheur, a l'étoffe d'un rival.
"Vous verrez, tout se passera bien, prédit un copain de Jean-Py. Ce sera une belle visite." D'ailleurs, nul ne peut reprocher aux Kinois de ne pas y mettre du leur. L'un des restaurants du Memling s'appelle le Papageno. Papa-Guaino? Si ceci ne vaut pas absolution pour Henri Guaino, "plume" de Sarkozy et auteur de l’impérissable « discours de Dakar »... Ici, on croit au pardon des offenses.