La France et les droits de l'homme : une question de stratégie
Propos recueillis par Daniel Vallot
Article publié le 10/12/2008 Dernière mise à jour le 10/12/2008 à 14:53 TU
Le politologue Nicolas Tenzer, directeur de la revue Le Banquet et auteur de Quand la France disparaît du monde (Grasset), commente les propos du ministre français des Affaires étrangères qui regrette la création du secrétariat d'Etat aux Droits de l'homme. En raison, dit Bernard Kouchner, de la contradiction permanente entre les droits de l'homme et la politique étrangère d'un Etat.
RFI : Comment expliquer ces propos de Bernard Kouchner ? Ils sont plutôt surprenants de la part d'un homme qui s'est voulu le champion de l'ingérence et du droit humanitaire ?
Nicolas Tenzer
DR
Nicolas Tenzer : Je crois tout simplement que Bernard Kouchner a découvert peut-être tardivement la réalité de la diplomatie telle qu’elle était conduite par la France, et qui est une diplomatie qui, de temps en temps, proclame les droits de l’homme, mais également parfois est conduite à, disons, prendre certains écarts par rapport à cette règle. Et finalement, il se dit que lui qui voulait conduire une politique étrangère marquée du sceau de l’unité, d’une continuité, il rencontre sans arrêt sur sa route cette question, qu’il ne peut pas avoir une conduite cohérente. Et il s’aperçoit aussi que Rama Yade, et évidemment elle-même n’est pas en cause, de temps en temps, a des positions divergentes par rapport aux siennes ou par rapport à celles du président de la République.
RFI : C’est en quelque sorte un aveu d’impuissance, c’est admettre au fond que l’on ne peut pas défendre les droits de l’homme…
NT : Ou bien, c’est admettre en tout cas qu’avoir quelqu’un au sein du même gouvernement qui est là comme une sorte de mouche du coche et qui dit : ce que vous faîtes, ce n’est pas bien, tenez compte davantage des droites de l’homme, etc. C’est quand même extrêmement inconfortable. Le vrai problème finalement, c’est un problème de stratégie. Nous n’avons pas défini de manière préalable la stratégie que nous voulions avoir envers les Etats qui ne pratiquaient pas les droits de l’homme. Alors de temps en temps, nous leur disons : ce que vous faîtes n’est pas bien, nous leur tapons dessus. Et puis, de temps en temps, nous considérons que de manière réaliste, il faut entretenir de bonnes relations avec eux. Que se soit d’ailleurs pour des raisons commerciales, qui à mon avis ne sont pas très valables, ou bien pour des raisons diplomatiques parce qu’on a besoin de ces Etats dans les contrepoids qu’ils peuvent apporter par rapport à d’autres Etats, etc. Mais en fait, on n’a pas défini préalablement ce que nous entendions faire avec ce grand sujet qu’est le sujet des droits de l’homme.
RFI : Est-ce un nouveau coup dur pour Rama Yade, dont la position au sein du gouvernement est fragilisée ?
NT : Je crois d’ailleurs que Rama Yade, évidemment, n’est pas en cause là-dedans, et qu’il ne faut pas, disons, y voir une déclaration à son encontre. Je pense que la vraie question, c’est celle effectivement de la pertinence d’un secrétariat d’Etat aux Droits de l’homme dans un gouvernement. Comme d’ailleurs de beaucoup de secrétariats d’Etat qui sont finalement relativement secondaires. Je pense que la préoccupation des droits de l’homme doit être « intégrée » en quelque sorte à la politique étrangère. Quant à Rama Yade, qui est quelqu’un d’une très très grande qualité, d’une très grande humanité, je pense qu’elle devrait aspirer à d’autres fonctions.
Propos recueillis par Daniel Vallot