Rwanda : La vérité avance lentement mais inexorablement, même au TPIR!
TPIR/JURISPRUDENCE - LE PROCUREUR DU TPIR PRIE D'EQUILIBRER SES PREUVES
La Haye, 24 octobre 2008 (FH) - La sanction adressée au procureur du Tribunal pénal international pour avoir violé le droit d’Augustin Ndindiliyimana, ancien chef d’état major de la gendarmerie rwandaise pendant le génocide, est un pas important dans l’histoire des juridictions internationales.
Cette sanction a été délivrée le 22 septembre dans l’affaire « Militaires II». Le procureur a été sanctionné pour son « manque de diligence » dans l’exécution de son obligation de communication des pièces du dossier. Les juges ont en outre autorisé la Défense à rappeler des témoins.
Quelques mois auparavant, le 13 juin la Cour pénale internationale (CPI), a pour les mêmes raisons annulé les poursuites contre Thomas Lubanga et la chambre d’appel vient de lui donner raison.
Les juges ont été clairs en rappelant aux Procureurs que les textes de droit pénal international les obligent à communiquer à la Défense les informations qu’ils détiennent y compris celles qui pourraient avoir une incidence sur la culpabilité de l’accusé.
Les juges internationaux ont considéré que les accusés avaient subi un préjudice dans la préparation de leur défense explique à Hirondelle Maître Vincent Lurquin, avocat de Augustin Ndindiliyimana qui est un des accusés dans l’affaire « Militaires II ».
En effet, la présentation des éléments de preuve est close pour son client. Or, le Procureur détient depuis longtemps, depuis 2002 parfois, des éléments de défense, qui pourraient avoir une valeur disculpatoire, qu’il n’a pas communiqué aux équipes de défense. « L’accusé dans cette affaire a été privé de l’opportunité d’utiliser les éléments disculpatoires pour tester la crédibilité des témoins de l’Accusation» déplorent les juges.
La prise de position des juges internationaux est « courageuse » considère Me Lurquin. Il s’agit « d’une nouvelle conception du rôle du Procureur ». L’avocat travaille au sein du TPIR depuis 1999, il raconte qu’il était coutumier, puisque chaque partie fait son enquête de son côté, que le Procureur ne communique pas les informations à décharge. C’était à la Défense d’aller les récolter.
Pourtant, et c’est ce que les juges rappellent dans leurs décisions, cette manière de procéder n’est pas conforme à la règle. Celle-ci dicte que le Procureur enquête à charge ET à décharge.
Ainsi, l’article 68 A) du Règlement de procédure et de preuve (RPP) du TPIR dispose que le Procureur est continuellement obligé de communiquer "aussitot que possible à la Défense » tous les éléments dont il sait effectivement qu’ils sont de nature à disculper en tout ou en partie l’accusé ou à porter atteinte à la crédibilité de ses éléments de preuve à charge » et ce, jusqu’à la fin de la procédure d’appel.
Ce n’est que dans des conditions strictement énumérées par l’article 68 D) du RPP que le Procureur peut demander à être exonéré de cette obligation et donc obtenir que ces informations restent confidentielles.
La chambre de première instance énumère alors différents remèdes possibles qui sont à sa discrétion pour tenter de rétablir l'équité dans le procès. Tous n'ont pas les mêmes conséquences. «Rappeler les témoins pertinent de l’Accusation pour un contre-interrogatoire, autoriser la Défense à appeler des témoins supplémentaires, exclure des parties pertinentes de la preuve de l’accusation, tirer les interférences nécessaires des éléments disculpatoires, rejeter les charges touchant aux éléments disculpatoires, ordonner l’abandon des poursuites".
Pour déterminer la mesure adéquate, la Chambre explique qu’elle « doit prendre en compte la nature et l’importance des violations du Procureur à la lumière de l’état d’avancement des procédures, les droits de l’Accusé, la nécessité de préserver l’intégrité des procédures, et son obligation de découvrir la vérité sur les évènements qui se sont déroulés au Rwanda en 1994».
L’abandon des charges demandé par certaines équipes de défense est un remède sévère qui ne devrait être retenu que dans des circonstances exceptionnelles considèrent les juges. Lorsque le préjudice subi par l’accusé est « irréparable » explique Me Lurquin.
Le premier alinéa de l’article 68 dispose même que le Procureur doit s’exécuter « aussitôt que possible ». Dans cette affaire, l’Accusation est responsable non seulement de ne pas avoir divulgué certains documents mais cumule également un retard considérable dans la communication d’autres.
La Cour pénale internationale a jugé que le préjudice subi par Thomas Lubanga était irréparable. Dans cette affaire, le Procureur avait obtenu des informations, certaines disculpatoires, dans le cadre d’accords particuliers qui assurent la confidentialité de leur contenu et de leurs sources. Ces accords sont autorisés par l’article 54 3) du Statut de la CPI. Or, l’Accusation refuse toujours de communiquer ces éléments en se fondant sur ces accords et refuse de les montrer aux juges pour qu’ils puissent apprécier dans quelles mesures ils affecteraient les droits de l’accusé.
Dans l’affaire « Militaires II », la Chambre de première instance a estimé que d’autoriser la Défense à rappeler certains des témoins de l’Accusation ou des témoins supplémentaires à décharge de l’accusé qui ont un lien avec les déclarations que le Procureur aurait dû lui communiquer pourrait constituer un remède au tort causé. Vingt-huit témoins vont être rappelés ou entendus pour la première fois. Maître Lurquin n’est pas certain que cela suffise. Pour lui le mal est fait.
Le Procureur réprimandé pour son « manque de diligence dans la divulgation des éléments disculpatoires», est rappelé à l’ordre, il « doit toujours faire preuve des plus hauts standards d’intégrité et veiller à transmettre les éléments à décharge ».
La non-divulgation des informations détenues a aussi une incidence sur le travail des juges. Me Lurquin rappelle qu’ « il est difficile de juger l’histoire immédiate parce que nous n’avons pas tous les éléments mais cela le devient encore plus si ils sont cachés».
« On s’interroge sur des évidences factuelles qui sont maintenant battues en brèche». « Tout doucement nous nous approchons de la vérité » conclut-il avec bonhomie.
AV/PB
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