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Publié par JMV Ndagijimana

 

Rwanda | 6.02.2008

 

Bien que le gouvernement s’en défende, la presse indépendante rwandaise est contrainte de vivre sous de fortes pressions venues du sommet de l’Etat. Dès le début de l’année, au cours d’une conférence de presse, le président Paul Kagame a violemment pris à partie Emmanuel Niyonteze, journaliste du bimensuel Umuseso, qui l’interrogeait sur son rapprochement avec le président ivoirien, Laurent Gbagbo. La presse gouvernementale a également fait preuve d’agressivité envers certains médias, notamment la radio publique américaine Voice of America (VOA). Un journaliste de l’hebdomadaire public Imvaho Nshya, a même demandé, lors d’une conférence de presse, le 2 février, la fermeture de VOA, accusée de favoriser l’opposition rwandaise. Après avoir expulsé sans explications la correspondante de la station publique française Radio France Internationale (RFI), Sonia Rolley, en juin 2006, le gouvernement rwandais avait ordonné la fermeture de l’émetteur de la chaîne française, en novembre, après avoir rompu ses relations diplomatiques avec Paris.

Un journal honni

Quelques mois plus tard, la pression sur Umuseso, bête noire du gouvernement, s’est accentuée au point que le groupe de presse propriétaire de l’hebdomadaire, menacé de procès à répétition et dont les journalistes sont régulièrement vilipendés par le pouvoir, a suspendu toutes ses publications. Dans une émission diffusée le 9 septembre par la station publique Radio Rwanda et la chaîne publique Télévision rwandaise (TVR), plusieurs ministres, ainsi que le porte-parole de l’armée et celui de la police ont tenu des propos très agressifs envers la presse privée. Le ministre de l’Intérieur a notamment annoncé que les autorités allaient prendre des "mesures" contre les journalistes qui cherchent à "renverser" le gouvernement. Selon lui, les forces de police ont le devoir d’arrêter tout journaliste ayant publié un document officiel, jusqu’à ce que celui-ci divulgue sa source, qui sera à son tour châtiée. Il s’agissait d’une claire allusion à l’hebdomadaire privé Umuseso, qui a récemment publié un document classifié du ministère de la Défense.

Témoin de ce climat exécrable, le rédacteur en chef d’Umuseso a été piégé, en août, et a passé quelques jours en prison pour une sombre histoire, au parfum de coup monté. Gérard Manzi a été arrêté à une station d’autobus, dans la soirée du 22 août, alors qu’il rentrait chez lui après avoir bu un verre avec des amis. Il se trouvait en compagnie d’une jeune fille mineure qu’il s’était inquiété de rencontrer, seule en pleine nuit, quelques instants plus tôt. Conduit au commissariat de police, Gérard Manzi a été accusé de viol. Niant l’accusation et demandant à être confronté à la jeune fille, le journaliste s’est vu opposer une fin de non-recevoir, la police prétextant avoir perdu la trace de la victime. Il a été libéré une semaine plus tard, après la présentation par son avocat de témoignages confirmant son alibi, dans cette affaire de mœurs dans laquelle la police, à l’évidence, avait tenté de l’impliquer.

Outre Umuseso, beaucoup de petits journaux paraissant à Kigali ont également fait l’objet de harcèlement. Ainsi, Jean-Bosco Gasasira, directeur de publication du bimensuel indépendant Umuvugizi, a été passé à tabac par plusieurs inconnus, le 9 février en fin de journée, à son domicile de Kigali. Admis dans un état critique à l’hôpital du roi Fayçal, le journaliste est finalement sorti du coma le 13 février. A partir d’août 2006, Jean-Bosco Gasasira avait fait l’objet d’intimidations téléphoniques répétées et d’une surveillance des agents du service de renseignements militaire lors de ses déplacements. “Certains appels passés de numéros privés me menacent d’être battu à mort”, avait-il alors déclaré à Reporters sans frontières. Il avait refusé de révéler aux autorités des informations sur la situation de Bonaventure Bizumuremyi, directeur de l’hebdomadaire privé Umuco, en fuite après avoir été, lui aussi, sérieusement menacé. Face à ces accusations, les services de renseignements avaient alors accusé Umuco et d’autres journaux privés de chercher une "publicité facile" ("cheap popularity"). Le journal Umuvugizi a par ailleurs été critiqué par les autorités rwandaises pour avoir, comme les autres publications indépendantes Umuco et Umuseso, dénoncé le favoritisme dans la gestion du ministre de l’Economie et des Finances, James Musoni.

Séquelles

Le génocide des Tutsis en 1994 a laissé de telles séquelles dans la société rwandaise que toute critique du gouvernement est rapidement réprimée, et de manière parfois radicale. Ainsi, Agnès Nkusi Uwimana, directrice du bimensuel privé Umurabyo, a été arrêtée le 12 janvier et accusée de "divisionnisme", "sectarisme"et "diffamation". Lors de son procès, elle avait reconnu les infractions qui lui étaient reprochées et plaidé coupable, en reconnaissant "la gravité de ses écrits" et promettant "de publier un rectificatif". Umurabyo, l’une des rares publications critiques paraissant à Kigali, avait été au centre d’une polémique pour avoir publié un article dans lequel était écrit : "Celui qui tue un tutsi a des problèmes, mais celui qui tue un hutu est libre". Le Haut Conseil de la presse, un organe de régulation des médias contrôlé par le pouvoir, avait requis trois mois de suspension pour le journal. La décision n’avait pas encore été validée par le ministre de l’Information, comme la loi le requiert, quand Agnès Uwimana Nkusi a été arrêtée. Elle purge actuellement sa peine à la prison centrale de Kigali.

De la même manière, l’universitaire congolais Idesbald Byabuze Katabaruka a été arrêté dans sa classe, le 16 février, alors qu’il donnait des cours à l’Université laïque adventiste de Kigali (UNILAK). Le procureur lui a signifié qu’il était poursuivi pour "atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat", "ségrégation" et "sectarisme". Il a été condamné par le tribunal de Kagarama, le 23 février, à trente jours de détention préventive, dans l’attente de son procès. Egalement professeur à l’Université catholique de Bukavu (Sud-Kivu), à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), il est à l’initiative de Mashariki News, un journal ayant fait paraître à l’époque deux numéros. Rédacteur depuis plusieurs années de rapports alarmants sur la situation humanitaire à la frontière rwando-congolaise, il avait été cosignataire, le 8 juin 2005, d’un texte intitulé "Alerte Rwanda" destiné à l’agence de presse des missionnaires catholiques, Missionary Service News Agency (MISNA). Les deux autres signataires étaient une soeur italienne et une soeur congolaise des Missions catholiques de l’est de la RDC. Le texte était une critique acerbe de la gestion du Rwanda par Paul Kagame et son parti, le Front patriotique rwandais (FPR), depuis son accession au pouvoir en 1994. Idesbald Byabuze Katabaruka a été relâché le 21 mars, expulsé du territoire puis déclaré "persona non grata".

Acquittée après onze ans

L’année s’est toutefois terminée sur une (somme toute relative) bonne nouvelle. Le 6 novembre 2007, après trois heures de délibération, un tribunal gacaca a acquitté Tatiana Mukakibibi, ancienne journaliste de Radio Rwanda, des chefs d’inculpation de "génocide", "planification et participation au génocide" et "distribution d’armes" dans le secteur de Kimegeri, entre avril et juillet 1994. Officiellement accusée d’avoir tué Eugène Bwanamudogo, qui réalisait des émissions pour le ministère de l’Agriculture, la journaliste niait les faits et affirmait qu’il s’agissait d’un coup monté. Elle a été libérée quelques jours plus tard... après onze ans de détention préventive. Tatiana Mukakibibi était animatrice et productrice de programmes à Radio Rwanda. Après le génocide, en août 1994, elle avait travaillé avec l’abbé André Sibomana (ancien directeur de Kinyamateka et lauréat 1994 du prix Reporters sans frontières - Fondation de France, décédé en mars 1998). Le 2 octobre 1996, elle avait été interpellée et aussitôt conduite au cachot communal, où elle a été détenue jusqu’en décembre 2006 dans des conditions très pénibles.

 

 

 

Reporters sans frontières défend les journalistes emprisonnés et la liberté de la presse dans le monde. L'organisation compte neuf sections nationales (Allemagne, Autriche, Belgique, Canada, Espagne, France, Italie, Suède et Suisse), des représentations à Bangkok, Londres, New York, Tokyo et Washington, et plus de 120 correspondants dans le monde.

 

 

 

© Reporters sans frontières 2008

 

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