Procès artificiel contre Pierre Péan (Séverin Buzinet)
Coup de boule /
mardi 30 septembre par Séverin Buzinet
Cette fois, nous y sommes. Au nom de l’antiracisme, dans un procès bien artificiel pour « diffamation raciale », un témoin de l’accusation, donc de SOS Racisme, a jugé utile de comparer le journaliste et auteur Pierre Péan à Hitler, puisque son livre sur le Rwanda, si l’on remplace les mots « tutsis » par « juifs », lui a paru ressembler comme deux gouttes d’eau à Mein Kampf…Ce qui est plus ou moins le cas de La Guerre des boutons, si on remplace « ceux de Longeverne » par « SS ». Une bêtise aussi monstrueuse donne envie de plier ses lunettes, d’aller au lit et de ne plus jamais donner de coup de boule contre rien. On est au bout du bout, à la verticale du vide, et SOS Racisme, qui déjà, ces derniers temps, ne se signalait pas par sa finesse, dégringole cette fois en bas de la falaise.
Je n’ai absolument pas d’avis sur la question de savoir qui, des hutus ou des tutsis, a raison ou tort. Je ne dirai pas que je m’en fous, mais il me semble que la réponse à cette question a moins d’importance éthique que politique : choisissez votre ethnie, choisissez votre camp, embrassez le pouvoir de Kigali ou tournez-lui le dos, c’est comme vous voulez. L’enjeu éthique, c’est de dire qu’un pays où l’on peut ainsi se massacrer est monstrueux. Du point où je suis (et nous sommes nombreux à être là !) je n’ai aperçu qu’une guerre terrible dans laquelle, si je me souviens bien, tout le monde donnait de la machette avec une énergie haineuse. Avec, de ci de là, des français, des américains, des anglais, quelques belges en retard d’une colonisation, bref, un de ces merdiers illisibles sur lesquels les commentaires à chaud tiennent lieu de vérité provisoire, jusqu’à ce qu’inévitablement ils soient mis en cause quelques années plus tard. Une seule chose est certaine : même sans le moindre blanc dans le potage, il y aurait eu du rififi au Rwanda. Le génocide couvait depuis belle lurette. Ca, tout le monde vous le dira. Parce que là où il y a des tribus, il y a des guerres tribales. Et c’est abominable. Faut-il, sur ce point, fermer sa gueule ?
Il y a des tas de choses qu’il ne faut jamais dire sur l’Afrique. Des choses simples. Par exemple, qu’on y pratique l’excision avec la bénédiction des imams. Que depuis la fin de la colonisation, ce continent a utilisé sept cent fois plus de balles que la seconde guerre mondiale. Que l’on y trouve des guerres de religion « à l’ancienne » absolument spectaculaires, avec famines, massacres, dévastations atroces et Dieu qui reconnaîtra les siens (je vous rappelle que nous devons nous repentir des Croisades). Que la corruption est généralisée, qu’on marie les filles (souvent très jeunes) contre leur gré et une liasse de billets, et qu’ici ou là, l’esclavage existe encore (oh pardon, il ne faut jamais dire non plus que l’esclavage existait en Afrique avant que les blancs s’en occupent). Que les Droits de l’Homme, que tout les bons esprits réclamaient avec des clochettes au Tibet et autour du stade Olympique, ne sont pas mieux connus dans une tripotée d’Etats africains qu’en Birmanie (dont on parle) ou au Turkménistan (dont on parle très peu). Mais je n’ai encore jamais vu personne nier totalement que le tribalisme engendrait des comportements inadmissibles, et nourrissait une culture potentiellement sanguinaire. Voilà dans quel contexte culturel un génocide a eu lieu. Est-ce que les pratiques politiques ont changé depuis lors ?
Voilà où est le drame, voilà où se joue le racisme ordinaire, et certainement pas dans un bouquin de Péan ou d’un autre journaliste essayant de décrire ce merdier. Lequel Péan, qui a tout de même de sacrées références humanistes et professionnelles, est accusé (avec une violence incompréhensible) de « diffamation raciale » (comment peut-elle être raciale, puisque les races n’existent pas ?) pour avoir écrit que les Tutsis avaient une « culture du mensonge ». Et les Siciliens, une culture de l’omerta. Et les Marseillais, une culture de l’anisette. Et les Sarkozy, une culture du bling-bling. On se demande pourquoi SOS Racisme mégote son soutien à ces groupes humains fragilisés par l’insulte et la discrimination. D’autant plus que la culture du mensonge, c’est très bien vu en politique, tout le monde vous le dira. Je ne donnerai pas d’exemple pour ne pas me prendre un procès dans la gueule.
Résultat des courses, l’association SOS Racisme s’est une fois de plus fourvoyée en envoyant à la barre ce fin connaisseur des écrits d’Hitler. Si pour plaider sa cause, elle en est réduite à cautionner de tels délires, qu’en sera-t-il demain ? Certains parlent d’un règlement de compte téléguidé par Kigali, que Kouchner courtise, et qui, dit-on, emploie les mêmes avocats que SOS-racisme. Ce serait abominable, je préfère ne pas y penser. Car ce qui attriste, c’est que des organisations fondamentalement utiles et nécessaires dans une démocratie semblent n’avoir désormais, pour raison d’exister, que la pratique du procès. Leur cadre de vie, c’est le prétoire. Leur pensée, c’est l’incrimination. Avec quels résultats ? Combien de procès ridicules, combien de non-lieu, combien d’échecs cuisants ? Après Morin, son chien ? Après Siné, son chat ? Après Péan, qui ? Et pendant qu’on traque le penseur, le dessinateur, le journaliste, l’Afrique fabrique des dictateurs… qu’on ne jugera sans doute jamais.