L'ONU a perdu le contact avec le général rebelle, Laurent Nkunda
(Le Soir 30/09/2008)
BLESSÉ, très malade, voire mort ? L'incertitude sur le sort de l'officier tutsi pèse sur tout l'Est du Congo. Où les combats ont repris avec leurs flots de réfugiés et d'enfants-soldats…
LAURENT NKUNDA, le général rebelle, dans son fief de Kachanga, en octobre dernier : une reprise des combats qui marque l’échec de la communauté internationale dans la pacification de l’Est du Congo. © LIONEL HEALING/ AFP
Où est passé Laurent Nkunda ? En dépit des combats qui, depuis le 28 août dernier, continuent à mettre aux prises les troupes rebelles du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) et les forces armées congolaises, la rumeur enfle à Goma et dans tout l'Est du Congo : le général réfractaire aux accords de paix, qui, en son temps, avait refusé d'être nommé dans l'armée nationale pour pouvoir défendre sur place les intérêts des Tutsis du Kivu et combattre les miliciens hutus ennemis du Rwanda, aurait été grièvement blessé ou serait très malade, et serait hospitalisé à Kigali après avoir tenté, en vain, d'être accueilli en Ouganda.
Ces rumeurs sont alimentées par le fait que, depuis le 9 juin dernier, les représentants de la « facilitation internationale » (ONU, Union européenne, Etats-Unis) présents à Goma n'ont plus eu de contact direct et personnel avec le général-pasteur qui, peu auparavant, avait abandonné sa tenue militaire et son badge « Rebelle pour le Christ » pour un costume cravate. Dans la capitale rwandaise, malgré le démenti laconique opposé par les « sources autorisées », on se rappelle cependant les propos tenus fin août par le président Kagame à l'occasion de l'interview accordée au Soir : « Même si, pour une raison ou pour une autre, Laurent Nkunda venait à disparaître, le problème du Nord Kivu ne serait pas résolu pour autant… »
A la tête des opérations se trouverait aujourd'hui Bosco Ntaganda, chef d'état-major de Nkunda, d'autant plus intransigeant qu'il fait l'objet d'un mandat délivré par la Cour pénale internationale, et Parient Mwandanga, un ancien gouverneur du Sud Kivu, longtemps réfugié en Belgique.
Quel que soit le sort de Nkunda lui-même, c'est depuis le 28 août dernier que la guerre a repris au Nord Kivu et que le programme « Amani » (paix en swahili), qui devait mettre en œuvre le désarmement des différents groupes armés, se trouve au point mort. En juin déjà, le CNDP avait suspendu sa participation à la commission militaire du programme « Amani », tandis que l'armée nationale renforçait ses effectifs sur le terrain.
Malgré les efforts déployés par l'abbé Malu Malu, proposé au Parlement européen pour le prix Sakharov et chargé de la mise en œuvre du programme « Amani », les parties en présence n'ont jamais pratiqué autre chose que l'ancienne devise de Museveni et Kagame, « talk and fight » (« Négociez et battez-vous en même temps »). En réponse à des attaques de l'armée congolaise, les hommes de Nkunda ont lancé, le 5 septembre, une contre-offensive sur les principaux axes routiers, en direction du Sud-Kivu, qui pourrait être pris en tenaille si des troubles éclataient au-dessus d'Uvira, sur la frontière burundaise, et du Nord, vers Kayabayonga, un nœud routier stratégique en direction de l'Ouganda.
Depuis lors, la Monuc – Mission des Nations unies au Congo – a stoppé l'offensive de Nkunda, prêché en faveur d'un cessez-le-feu et réussi… à s'attirer une hostilité quasi unanime ! Les partisans de Nkunda accusent l'ONU de partialité. Et les officiers gouvernementaux, qui veulent rétablir l'autorité de l'Etat sur tout le territoire, n'entendent pas être mis sur le même pied que des forces rebelles et acceptent mal que leurs troupes soient accusées, comme les insurgés, d'exactions telles que des pillages ou des violences sexuelles. A plusieurs reprises, la population civile, entre autres des femmes de militaires, a attaqué les véhicules de la Monuc, accusant les Casques bleus de faire le jeu de Nkunda.
Dans toute la région, l'opinion publique est persuadée du fait que Nkunda et les siens seraient sinon soutenus du moins approuvés par les Occidentaux dans le but d'affaiblir le pouvoir de Kinshasa, jugé trop « souverainiste » – un terme encore utilisé à la tribune de l'Assemblée générale de l'ONU par Karel De Gucht. A Bruxelles, relevant le contraste avec l'opération européenne « Artemis », qui était intervenue avec succès dans l'Ituri en 2003, le professeur Jean-Claude Willame dénonce lui aussi le « manque de volonté politique » de l'Union européenne et la « perte de crédibilité » de la Monuc.
Les organisations humanitaires, enfin, sonnent le tocsin : Amnesty assure que le recrutement forcé d'enfants soldats s'intensifie, que « pour deux enfants qui réussissent à être libérés des groupes armés, cinq sont enlevés », que des milliers de femmes sont violées et soumises à des formes d'esclavage sexuel. En outre, la reprise des combats et l'insécurité généralisée ont généré de nouveaux flux de déplacés : 100.000 personnes se seraient ajoutées au million de civils en fuite depuis l'an dernier. Dans des conditions de dénuement extrême, dépendant de l'assistance humanitaire, ces « réfugiés intérieurs » sont menacés par les épidémies, privés d'eau potable et de nourriture, alors que leurs champs, dont ils ont été chassés par les groupes armés, se trouvent à quelques kilomètres de là…
De l'avis de nombreux observateurs, le désastre humanitaire du Nord-Kivu, deux ans après les élections, représente autant un échec pour la communauté internationale que le talon d'Achille du régime de Kinshasa…
COLETTE BRAECKMAN
mardi 30 septembre 2008, 09:26
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