France-Rwanda : les limites de la Realpolitik
Par Alain Juppé
Maire de Bordeaux
Ancien Premier Ministre
Ancien Ministre des Affaires Etrangères
Je comprends bien que la France veuille se réconcilier avec le Rwanda. Le réalisme politique le commande. C'est l'intérêt de notre pays.
Mais de là à tomber dans les amalgames de la repentance ou les compromissions de la "realpolitik", il y a un fossé.
On nous dit qu'au Rwanda, la France aurait commis une "faute politique".
C'est trop ou trop peu. De quelle faute s'agit-il? Il faut l'expliquer!
Aurions-nous, par exemple, pris systématiquement le parti d'un camp contre l'autre, des Hutus contre les Tutsis?
C'est une contre-vérité.
Pendant la période où j'ai conduit la diplomatie française (d'avril 1993 à mai 1995), nous avons fait tous les efforts possibles pour aider à la réconciliation des Rwandais. Ces efforts ont abouti aux accords d'Arusha II signés le 4 août 1993, qui ont enclenché un processus de transition vers l'union de toutes les parties (hélas! avorté après l'assassinat des Présidents rwandais et burundais en avril 1994).
En son temps, le Président du FPR (Front Patriotique Rwandais), M. Kagamé, avait officiellment adressé ses remerciements à la France pour la contribution qu'elle avait apportée à la conclusion de ces accords.
Aurions-nous "omis" de dénoncer le génocide dont les extrémistes Hutus se sont rendus coupables à partir d'avril 1994?
C'est une contre-vérité.
J'ai moi-même prononcé le mot de génocide le 15 mai 1994 au Conseil des Ministres de l'Union Européenne, et le 18 mai à la tribune de l'Assemblée Nationale française. Mes déclarations sont publiques.
Aurions-nous fait preuve de passivité alors que la communauté internationale aurait agi?
C'est une contre-vérité.
C'est même exactement l'inverse qui s'est passé: face à l'incapacité du Conseil de Sécurité des Nations Unies à déployer sur le terrain la force internationale que son secrétaire général, M. Boutros-Ghali, appelait des ses voeux, mais que bloquaient plusieurs grandes puissances, la France a pris l'initiative. Le chef du gouvernement français, M.Balladur, que j'accompagnais, s'est rendu personnellement à New-York pour obtenir mandat du Conseil de mettre sur pied une opération humanitaire internationale sous commandement français.
Ce fut l'opération Turquoise qui a parfaitement accompli la mission qui lui avait été assignée, dans les conditions de temps et de lieu prévues. La présence de l'armée française a permis de sauver des dizaines de milliers de vie et d'arrêter le flux de plusieurs millions de personnes qui fuyaient vers le Zaïre voisin (devenu République Démocratique du Congo). Son intervention est à l'honneur de la France.
Dès lors, de quelle faute nous parle-t-on?
Nous assistons depuis plusieurs années à une tentative insidieuse de réécriture de l'histoire. Elle vise à transformer la France d'acteur engagé en complice du génocide. C'est une falsification inacceptable.
La diplomatie française ne devrait pas s'écarter de la voie de la vérité et de la dignité.
Alain Juppé