INCROYABLE : Hommages de la France à l’homme qui a banni la langue française et démoli le Centre culturel français.
Introduction
La France et le Rwanda ont longtemps vécu à couteaux tirés depuis la prise du pouvoir par le Front Patriotique Rwandais (FPR), en juillet 1994. Le régime du FPR accusait la France, considérée par lui coupable d’avoir coopéré avec le régime du président Juvénal HABYARIMANA, de participation directe au génocide qui venait d’être commis au Rwanda.
La tension persistait entre les deux Etats, jusque début 2008. Le dégel se dessinait à l’initiative des autorités françaises, en particulier du ministre des Affaires Étrangères de l’époque avec, en guise de cadeau de mariage, le torpillage des conclusions du juge Jean Louis BRUGUIERE sur l’attentat détonateur du génocide. Enfin autorisé à fouler du pied le sol rwandais, le président Nicolas SARKOZY atterrissait à Kigali le 25 février 2009. Depuis, la lune de miel continue avec son lot de cadeaux à Paul KAGAME. Le dernier en date, sa décoration à l’Ordre de la Pléiade, la plus haute distinction décernée par la Francophonie.
Bras de fer franco-rwandais de 1994 à 2008
D’entrée de jeu, les relations franco-rwandaises sentaient le roussi dès la prise du pouvoir par le FPR. La France devait être punie pour sa proximité avec l’ancien régime déchu. Et pourtant, seule contre tous, avec un mandat des Nations Unies, la France a dépêchée une mission, « La Mission Turquoise », pour sauver les survivants du génocide. Le FPR lui reprochera d’avoir, à la même occasion, facilité le passage de la frontière congolaise (zaïroise) à ceux qu’il considère globalement, femmes et enfants compris, comme les auteurs du génocide.
En 1998, le juge antiterroriste français, Jean-Louis BRUGUIERE, était saisi d'une plainte des parents des pilotes français de l'avion détruit au moment de l’attentat. Rappelons que dans cet acte terroriste sont morts, outre les Français membres de l’équipage, les présidents Juvénal HABYARIMANA du Rwanda et Cyprien NTARYAMIRA du Burundi, et leurs suites.
En juin 2006 le juge lance neuf mandats d'arrêt internationaux à l'encontre de personnalités civiles et militaires proches du président Paul KAGAME, responsables présumés de l’attentat. La relation entre les deux pays passait brutalement de froide à glaciale. En novembre 2006 la brouille culmine en rupture de relations diplomatiques à l’initiative du Rwanda. Sur commande du président Paul KAGAME, un rapport[1] est rédigé par une commission expressément mise en place pour « rassembler les preuves montrant l’implication de l’Etat français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994». Ce rapport accuse les militaires français de Turquoise d’avoir embarqué des tutsi dans des hélicoptères, pour les jeter ensuite dans la forêt de NYUNGWE.
En novembre survenait l’arrestation à Francfort (Allemagne) puis le transfert à Paris du Lieutenant-Colonel Rose KABUYE[2], responsable du protocole de Paul KAGAME. Cet officier était une des neuf proches de KAGAME mis en cause par le juge français dans l’attentat détonateur du génocide. Elle est suspectée d’avoir hébergé le commando auteur de l’attentat.
C’était plus que ne pouvait supporter le courroux de Paul KAGAME. Dès cet instant débutait le démontage de tout ce qui symbolise la France au Rwanda. A commencer par la langue française, du jour au lendemain supprimée de l’enseignement, depuis l’école primaire jusqu’à l’université[3]. En conséquence, des milliers d’enseignants francophones seront renvoyés, ils ne répondent plus à la norme. Sur six promotions scolaires au moins, du jour au lendemain les élèves francophones passeront du français à l’anglais. Ils recevront leurs cours soit de professeurs anglophones, soit de francophones rescapés de la grande purge, qui dispensent leurs cours en anglais tout en se formant eux-mêmes à cette nouvelle langue.
C’est aussi à ce moment que KAGAME tourne le dos à la Francophonie et adhère au Commonwealth.
La même année, en réaction à sa mise en cause et à celle de ses proches dans l’attentat par le juge Jean Louis BRUGUIERE, le gouvernement rwandais dressait une liste de 33 personnalités françaises[4], civiles et militaires, menaçant d’émettre contre elles des mandats d’arrêts internationaux.
Attitude paradoxale des autorités françaises à partir de 2008.
Paul KAGAME a de quoi se réjouir, sa tactique s’avère payante. Plus il menace et détruit les symboles, plus les autorités françaises font le dos rond. Elles ne font aucune économie de cadeaux, dont des réfugiés rwandais accusés collectivement de participation au génocide ou de négationnisme par KAGAME et son régime. La plupart sont sacrifiés dans cette realpolitik.
A la fin de cette année 2008 émaillée de tant de remous s’amorce le rapprochement tant souhaité, ainsi que la reprise des relations diplomatiques qui avaient été rompues par le Rwanda. La reprise passe outre les violations criantes des Droits de l’Homme, de liberté d’opinion et de pluralisme politique. Les preuves de ces transgressions de droits fondamentaux ne manquent pourtant pas, telle la détention de l’Avocat Américain Peter ERLINDER[5], inculpé pour « négation du génocide » alors qu’il venait au Rwanda défendre l’opposante Victoire INGABIRE, incarcérée pour avoir voulu faire concurrence à Paul KAGAME à la candidature à la présidence de la République.
Peter Erlinder en tenue rose de prisonnier avec un de ses Avocats
sous surveillance de policiers rwandais, se rendant au tribunal à Kigali.
Cette reprise de relations sans condition est surprenante, s’agissant du pays berceau des Droits de l’Homme. Pour autant, cela ne calmait même pas pas la soif haineuse de Paul KAGAME.
Le 02 juillet 2014, il s’attaquait au Centre culturel français de Kigali, démoli à coups de bulldozers. Dernier symbole de la présence française au Rwanda, ce centre fut rasé[1] en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Paul KAGAME vient de jouer son dernier (?) acte pour mettre la France à genou.
La suite se raconte comme un conte de fée. Le dossier judiciaire ouvert par Jean Louis BRUGUIERE est particulièrement dérangeant pour le président KAGAME. Qu’à cela ne tienne, il marchandera jusqu’à ce qu’à son tour ce dossier soit « démoli » de la même façon que l’avait été le centre culturel.
A la même occasion KAGAME engrange d’autres avantages contre la France, dont la nomination de sa ministre des Affaires Etrangères, Louise MUSHIKIWABO, à la tête de la Francophonie[2]. Le soutien de cette candidature par la France était tellement évident que la sortante Michaëlle Jean, également candidate, dénonçait «les petits arrangements entre États». L’accès à ce poste de MUSHIKIWABO, candidate d’un pays, le Rwanda, qui a gommé le français des bancs de son école, reste suspecte. D’autant que, concomitamment Paul KAGAME obtenait du parquet une réquisition de non-lieu dans l’affaire de l’attentat contre l’avion de son prédécesseur. La coïncidence des calendriers est telle qu’il est légitime de se poser des questions.
On ignore cependant l’intérêt de la France dans cette transaction. Le but serait, simple supposition, sa volonté de relations « plus assainies » avec le Rwanda, que d’aucuns considèrent comme le tremplin vers les riches gisements miniers de la République Démocratique du Congo (RDC). Cela semble avéré depuis le rapport DUCLERT[3], commandé par le Président de la République française avec la volonté de faire la paix avec l’un des acteurs majeurs de « cette entreprise terrifiante de destruction humaine ». Dans sa lettre de remise du rapport, le professeur DUCLERT déclarait que celui-ci « servira à l’apaisement des mémoires ».
La RDC est régulièrement attaquée par des milices téléguidées par le Rwanda. Les multiples appels du Dr Denis MUKWEGE, Prix Nobel de la Paix, restent inaudibles, surtout en France. Le silence des autorités françaises sur le martyr du peuple congolais semble confirmer les craintes maintes fois exprimées, que la France pardonne et offre tout au Rwanda en raison du chantage sur le génocide et de son rôle de commissionnaire dans la région des Grands Lacs Africains.
Les cadeaux au régime rwandais, notamment la nomination à la Francophonie, le voile sur le dossier de l’attentat et la mort des pilotes français, le silence sur le rôle du FPR dans l’assassinat des gendarmes français (le couple Gilda et Alain DIDOT ainsi que l’Adjudant René MAIER)[4] étaient-ils les prémices du rapport DUCLERT qui a scellé le réconciliation? L’avenir nous le dira.
C’est la même Francophonie, actuellement dirigée par Louise MUSHIKIWABO qui était Ministre des Affaires Etrangères du Rwanda au moment où le français est supprimé et le Centre culturel français démoli, qui vient de décerner « La plus haute Distinction» au président rwandais pour « sa contribution à l’évolution de la langue française[5] ».
Le 06 juillet 2014, Démolition du Centre culturel français de Kigali
Le 09 juillet 2022, Décoration du président KAGAME à l’Ordre de la Pléiade
Non, vous ne rêvez pas, c’est la justification invoquée à la remise de cette « récompense », portée et remise à Paul KAGAME en main propre à Kigali.
La conclusion tient en une seule ligne : Petits arrangements entre amis fait écho à petits arrangements entre Etats, et vice-versa. Reste à se poser la question : Dans quel monde vivons-nous ? A chacun de trouver la réponse.
[1] Rwanda : Destruction du Centre culturel français de Kigali-Kagamé, Demolition Man, L’Observateur du 6 juillet 2014
[2] https://www.letemps.ch/monde/rwandaise-louise-mushikiwabo-nommee-tete-francophonie
[3] La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994) Rapport Duclert remis au Président de la République le 26 mars 2021, p.5 et 9.
[4] Michel ROBARDEY : Le triple assassinat de Gendarmes français au Rwanda en 1994, https://blogs.mediapart.fr/ du 10 JANV. 2022
[5] Job KAKULE : « Rwanda: Paul Kagame décoré de l'Ordre de la Pléiade par l'Assemblée parlementaire de la Francophonie, 10 juillet 2022, https://www.grandslacsnews.com/posts.
[1] Rapport MUCYO, du nom du président de la commission.
[2] Matt MOORE : « Kagame dénonce l’arrestation « politique » de Rose Kabuye », Associated Press du 11 nov.2008, www.lapresse.ca.
[3] https://www.lapresse.ca/international/afrique/200810/16/01-29842-le-rwanda-remplace-le-francais-par-langlais
[4] 33 personnalités françaises pointées du doigt pour leur rôle dans le génocide, 05 August 2008 by ARI-RNA
[5] Pierre BOISSELET : «Peter Erlinder, l’homme qui agace Kigali, Jeune Afrique du 08 juin 2010