Que le français soit surnommé "langue de Molière" est une reconnaissance du talent d'un auteur classique parmi les classiques, et agile dans le maniement de tous les registres.
"C'est depuis le XIXe siècle qu'on dit langue de Molière. On a inventé une tradition ininterrompue de l'esprit français, depuis les Gaulois, en passant par Rabelais, jusqu'à lui. Et au XVIIIe s'impose cette idée, autour de La Fontaine, Boileau, Racine et Molière, d'une génération de classiques", explique Georges Forestier, professeur de lettres.
Qu'a apporté ce génie de la comédie au français tel que nous le connaissons ? "Qu'il touche un public très large, encore aujourd'hui, fait de Molière un passeur d'une langue qui est partie intégrante de notre patrimoine", estime Céline Paringaux, agrégée de lettres.
"Mais s'il est une incarnation de la langue classique, en réalité la langue de ses pièces est extrêmement riche et s'écarte volontiers des normes en train de s'établir à son époque. On le voit dans 'Les Femmes savantes' : le personnage qui porte le bon sens est Martine, celle qui écorche le français du grand grammairien Vaugelas, celle qui fait des fautes partout", ajoute-t-elle.
Parodies
Molière n'a pas eu son pareil pour s'adresser à tous les publics, populaire dans des tournées partout en France, de Carcassonne à Grenoble et à Rouen, ou royal à la cour de Versailles. Son français est compris et fait rire dans toutes les couches de la société. "Il réconcilie la langue des bateleurs avec celle des aristocrates et bourgeois", souligne Martial Poirson, qui publie le 21 janvier "Molière, la fabrique d'une gloire nationale" (Seuil).
Une gloire qui, de plus, va rayonner au-delà des frontières : "Molière a servi très tôt, et de son vivant, d'outil d'ambassade. Le français va se diffuser dans toutes les cours d'Europe, jusqu'à celle de Russie. Sur le continent, cette langue de Molière va se positionner comme celle des classes dominantes, vecteur d'une distinction sociale", affirme ce professeur de lettres.
L'effet comique, chez lui, provient aussi de la parodie de certaines manières de s'exprimer qui complexifient inutilement ou défigurent la langue : pédantisme et affèterie, charabia, archaïsmes, emprunts étrangers mal maîtrisés... Le français le plus clair, dès lors, y apparaît en majesté.
"Inoxydable"
"Malgré les trois siècles et demi qui nous séparent de lui, il nous paraît contemporain. C'est un bricoleur de génie qui n'a jamais envisagé de devenir un classique. Il avait le talent pour épingler les snobs, les ambitieux, les hypocrites... Et nous en connaissons toujours !", selon Georges Forestier, biographe du plus célèbre des hommes de théâtre français.
Et "sa grande invention, c'est sa capacité à faire parler les personnages selon leur condition. Les gens du monde, les pédants à l'intérieur des gens du monde, le paysan, le médecin. Avec des mots, des tons, des accents différents".
Pour Martial Poirson, "Molière ignorait son génie : il était en train de l'inventer. Le caractère inoxydable de sa langue le distingue. Racine est complexe. Corneille peut paraître très vieillot. Molière reste vivace".
Le français aurait pu aussi être "la langue de Voltaire", encore plus proche de la nôtre. Mais, ajoute ce dramaturge, "alors que Voltaire fut un très grand auteur de théâtre, il n'a pas cette postérité. On retient ses contes. Dans ses pièces à succès, son ironie mordante a quelque chose de dégradant, et on la supporte mal".
Chez Molière, d'après Céline Paringaux, "on trouve aussi bien du familier que du soutenu, de la prose que des vers, même de l'occitan et du picard dans 'Monsieur de Pourceaugnac'. La palette est tellement large que les lecteurs et spectateurs de toutes les époques y ont trouvé leur bonheur".