10 janvier 2022, discours du pape François aux membres du Corps diplomatique.
Excellences, Mesdames et Messieurs !
Le temps liturgique de Noël s’est achevé hier, une période privilégiée pour cultiver les relations familiales que nous vivons parfois de façon distraite et lointaine, occupés - comme nous le sommes souvent tout au long de l’année - par de nombreux autres engagements. Aujourd’hui, nous voulons en poursuivre l’esprit en nous retrouvant comme une grande famille qui se rencontre et échange. Au fond, tel est le but de la diplomatie : aider à mettre de côté les désaccords dans la cohabitation humaine, favoriser la concorde et expérimenter combien, lorsque nous dépassons les sables mouvants du conflit, nous pouvons redécouvrir le sens de l’unité profonde de la réalité (1).
Je vous suis donc particulièrement reconnaissant d’avoir voulu prendre part aujourd’hui à notre “rencontre de famille” annuelle, une occasion propice pour nous formuler réciproquement les vœux pour la nouvelle année et pour regarder ensemble les lumières et les ombres de notre temps. J’adresse un remerciement particulier au Doyen, Son excellence Monsieur George Poulides, ambassadeur de Chypre, pour les aimables paroles qu’il m’a adressées au nom de tout le Corps diplomatique. À travers vous, je désire également faire parvenir mon salut et mon affection aux peuples que vous représentez.
Votre présence est toujours un signe tangible de l’attention que vos pays ont pour le Saint-Siège et pour son rôle dans la communauté internationale. Nombre d’entre vous sont venus d’autres capitales pour cet événement, rejoignant ainsi le nombre conséquent des ambassadeurs résidents à Rome, auquel s’ajoutera bientôt celui de la Confédération Helvétique.
Chers ambassadeurs,
Nous voyons ces jours-ci combien la lutte contre la pandémie exige encore un effort considérable de la part de tous, et aussi combien la nouvelle année s’annonce difficile. Le coronavirus continue à créer de l’isolement social et à faire des victimes et, parmi ceux qui ont perdu la vie, je voudrais rappeler ici le regretté Mgr Aldo Giordano, nonce apostolique bien connu et estimé au sein de la communauté diplomatique. En même temps, nous avons pu constater que là où une campagne de vaccination efficace a eu lieu, le risque d’une évolution grave de la maladie a diminué.
Il est donc important de poursuivre l’effort pour immuniser autant que possible la population. Cela exige un engagement multiple au niveau personnel, politique, et de la communauté internationale tout entière. Avant tout au niveau personnel. Nous avons tous la responsabilité de prendre soin de nous-mêmes et de notre santé, ce qui signifie également le respect de la santé de qui nous est proche. Le soin de la santé est une obligation morale. Malheureusement, nous constatons de plus en plus que nous vivons dans un monde aux forts contrastes idéologiques. On se laisse souvent conditionner par l’idéologie du moment, souvent construite sur des informations infondées ou sur des faits mal documentés. Toute affirmation idéologique rompt les liens de la raison humaine avec la réalité objective des choses. La pandémie, au contraire, nous impose précisément une sorte de “cure de réalité” qui exige de regarder le problème en face et d’adopter les solutions appropriées pour le résoudre. Les vaccins ne sont pas des outils magiques de guérison, mais ils représentent certainement, en plus des traitements qui doivent être développés, la solution la plus raisonnable pour la prévention de la maladie.
La politique doit aussi s’engager à poursuivre le bien de la population par des décisions de prévention et d’immunisation, qui interpellent également les citoyens pour qu’ils se sentent impliqués et responsables, par une communication transparente des problématiques et des mesures appropriées pour y faire face. Le manque de fermeté dans les décisions et de clarté dans la communication engendre la confusion, crée la méfiance et sape la cohésion sociale en alimentant de nouvelles tensions. Un “relativisme social”, qui blesse l’harmonie et l’unité, s’instaure.
Enfin, un engagement global de la communauté internationale est nécessaire pour que l’ensemble de la population mondiale ait un accès égal aux soins médicaux essentiels et aux vaccins. Malheureusement, il faut constater avec douleur que l’accès universel aux soins de santé reste un mirage dans de vastes régions du monde. À un moment aussi grave pour toute l’humanité, je réitère mon appel pour que les gouvernements et les organismes privés concernés fassent preuve de sens des responsabilités, en élaborant une réponse coordonnée à tous les niveaux (local, national, régional, mondial), à travers de nouveaux modèles de solidarité et par des instruments permettant de renforcer les capacités des pays qui en ont le plus besoin. J’exhorte en particulier les États, qui s’efforcent d’établir un instrument international de préparation et de réponse aux pandémies sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé, à adopter une politique de partage désintéressée, comme principe-clé pour garantir à tous l’accès aux outils de diagnostic, aux vaccins et aux médicaments. De même, il est souhaitable que des institutions telles que l’Organisation mondiale du commerce et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle ajustent leurs instruments juridiques, afin que les règles monopolistiques ne constituent pas de nouveaux obstacles à la production et à un accès organisé et cohérent aux soins au niveau mondial.
Chers ambassadeurs,
L’année dernière, grâce notamment à l’assouplissement des restrictions imposées en 2020, j’ai eu l’occasion de recevoir de nombreux chefs d’État et de gouvernement, ainsi que plusieurs autorités civiles et religieuses.
Parmi les multiples rencontres, je voudrais mentionner ici la journée du 1er juillet dernier, consacrée à la réflexion et à la prière pour le Liban. Au cher peuple libanais, aux prises avec une crise économique et politique qui peine à trouver des solutions, je désire aujourd’hui renouveler ma proximité et ma prière, tout en souhaitant que les réformes nécessaires et le soutien de la communauté internationale aident le pays à rester ferme dans son identité de modèle de coexistence pacifique et de fraternité entre les différentes religions qui y sont présentes.
Au cours de l’année 2021, j’ai pu reprendre également les voyages apostoliques. J’ai eu la joie de me rendre en Irak au mois de mars. La Providence a voulu qu’il ait lieu, comme un signe d’espérance après des années de guerre et de terrorisme. Le peuple irakien a le droit de retrouver la dignité qui lui revient et de vivre en paix. Ses racines religieuses et culturelles sont millénaires : la Mésopotamie est berceau de civilisation ; c’est de là que Dieu a appelé Abraham pour initier l’histoire du salut.
En septembre, je me suis ensuite rendu à Budapest pour la clôture du Congrès eucharistique international, puis en Slovaquie. Ce fut l’occasion de rencontrer les fidèles catholiques et d’autres confessions chrétiennes, ainsi que de dialoguer avec les juifs. De même, le voyage à Chypre et en Grèce, dont le souvenir en moi est encore vif, m’a permis d’approfondir les liens avec les frères orthodoxes et de faire l’expérience de la fraternité entre les différentes confessions chrétiennes.
Une partie émouvante de ce voyage a eu lieu sur l’île de Lesbos où j’ai pu me rendre compte de la générosité de tous ceux qui œuvrent pour fournir un accueil et un aide aux migrants, mais où j’ai surtout vu les visages des nombreux enfants et des adultes des centres d’accueil. Il y a dans leurs yeux la fatigue du voyage, la peur d’un avenir incertain, la douleur pour les êtres chers qu’ils ont laissés derrière eux et la nostalgie de la patrie qu’ils ont été contraints d’abandonner. Devant ces visages, nous ne pouvons pas rester indifférents et nous ne pouvons pas nous retrancher derrière des murs et des fils barbelés sous prétexte de défendre la sécurité ou un mode de vie.
Je remercie donc ceux qui, individus et gouvernements, œuvrent pour garantir un accueil et une protection aux migrants, en prenant également en charge leur promotion humaine et leur intégration dans les pays qui les ont accueillis. Je suis conscient des difficultés que rencontrent certains États face à des flux humains considérables. On ne peut demander à personne l’impossible, mais il y a une nette différence entre accueillir, même de façon limitée, et repousser totalement.
Il faut vaincre l’indifférence et rejeter la pensée selon laquelle les migrants seraient le problème des autres. Le résultat de cette approche se voit dans la déshumanisation même des migrants concentrés dans des hotspots, où ils finissent par être des proies faciles de la criminalité et des trafiquants d’êtres humains, ou par faire des tentatives désespérées de fuite qui se terminent parfois par la mort. Malheureusement, il faut également relever que les migrants eux-mêmes sont souvent transformés en arme de chantage politique, en une sorte de “marchandise de négociation” qui prive les personnes de leur dignité.
Je désire ici renouveler ma gratitude aux autorités italiennes, grâce auxquelles quelques personnes ont pu venir à Rome avec moi depuis Chypre et la Grèce. Ce fut un geste simple mais significatif. Je souhaite au peuple italien, qui a beaucoup souffert au début de la pandémie mais qui a également montré des signes encourageants de reprise, de maintenir toujours cet esprit d’ouverture généreuse et de solidarité qui le caractérise.
En même temps, je crois qu’il est d’une importance fondamentale que l’Union européenne trouve sa cohésion interne dans la gestion des migrations, comme elle a su la trouver face aux conséquences de la pandémie. Il est nécessaire de créer un système cohérent et complet de gestion des politiques d’immigration et d’asile, afin de partager les responsabilités en matière d’accueil des migrants, d’examen des demandes d’asile, de redistribution et d’intégration de ceux qui peuvent être accueillis. La capacité de négocier et de trouver des solutions communes est l’une des forces de l’Union européenne et constitue un modèle précieux pour relever à long terme les défis mondiaux à venir.
Cependant, les migrations ne concernent pas seulement l’Europe, bien qu’elle soit particulièrement touchée par les flux en provenance d’Afrique et d’Asie. Ces dernières années, nous avons assisté, entre autres, à l’exode des réfugiés syriens, rejoints ces derniers mois par ceux qui fuient l’Afghanistan. Nous ne devons pas non plus oublier les exodes massifs qui touchent le continent américain et se pressent à la frontière entre le Mexique et les États-Unis d’Amérique. Beaucoup de ces migrants sont des Haïtiens qui fuient les tragédies qui ont frappé leur pays ces dernières années.
La question migratoire, ainsi que la pandémie et le changement climatique, montrent clairement que personne ne peut se sauver tout seul, c’est-à-dire que les grands défis de notre époque sont toujours mondiaux. Il est donc inquiétant de constater que face à une plus grande interconnexion des problèmes, les solutions sont de plus en plus fragmentées. On rencontre souvent un manque de volonté d’ouvrir des fenêtres de dialogue et de fraternité, ce qui finit par alimenter de nouvelles tensions et divisions, ainsi qu’un sentiment général d’incertitude et d’instabilité. Au contraire, il convient de retrouver le sens de notre identité commune en tant qu’unique famille humaine. Toute autre alternative ne serait qu’un isolement croissant, marqué de verrouillages et de fermetures réciproques qui saperaient encore davantage le multilatéralisme, qui est pourtant le style diplomatique qui a caractérisé les relations internationales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
La diplomatie multilatérale traverse depuis quelque temps une crise de confiance, due à la baisse de crédibilité des systèmes sociaux, gouvernementaux et intergouvernementaux. Des résolutions, déclarations et décisions importantes sont souvent prises sans de véritables négociations dans lesquelles tous les pays ont voix au chapitre. Ce déséquilibre, qui est devenu dramatiquement évident aujourd’hui, cause une désaffection de la part de nombreux États à l’égard des organismes internationaux et affaiblit le système multilatéral dans son ensemble, le rendant toujours moins efficace pour relever les défis mondiaux.
Le manque d’efficacité de nombreuses organisations internationales est également dû à la vision différente qu’ont les différents membres des objectifs qu’ils devraient se fixer. Il n’est pas rare que le centre d’intérêt se déplace vers des questions qui, par nature, sont clivantes et ne sont pas strictement liées à l’objectif de l’organisation, avec en conséquence des agendas de plus en plus dictés par un mode de pensée qui nie les fondements naturels de l’humanité et les racines culturelles qui constituent l’identité de nombreux peuples. Comme j’ai eu l’occasion de le dire en d’autres occasions, je crois qu’il s’agit d’une forme de colonisation idéologique qui ne laisse pas de place à la liberté d’expression et qui, aujourd’hui, prend de plus en plus la forme de la cancel culture qui envahit de nombreux domaines et institutions publiques. Au nom de la protection de la diversité, on finit par effacer le sens de toute identité, avec le risque de faire taire les positions qui défendent une idée respectueuse et équilibrée des différentes sensibilités. On assiste à l’élaboration d’une pensée unique contrainte à nier l’histoire, ou pire encore, à la réécrire sur la base de catégories contemporaines, alors que toute situation historique doit être interprétée selon l’herméneutique de l’époque.
La diplomatie multilatérale est donc appelée à être véritablement inclusive, non pas en effaçant mais en valorisant les diversités et les sensibilités historiques qui distinguent les différents peuples. Elle regagnera ainsi en crédibilité et en efficacité pour relever les défis à venir qui demandent à l’humanité de se rassembler comme une grande famille qui, tout en partant de points de vue différents, doit être capable de trouver des solutions communes pour le bien de tous. Cela suppose une confiance réciproque et une disponibilité au dialogue, c’est-à-dire à « s’écouter, discuter, se mettre d’accord et cheminer ensemble » (2). De plus, « le dialogue est le chemin le plus adéquat pour parvenir à reconnaître ce qui doit toujours être affirmé et respecté, au-delà du consensus de circonstance » (3). Nous ne devons jamais oublier qu’ « existent des valeurs permanentes » (4). Il n’est pas toujours facile de les reconnaître, mais les accepter « donne solidité et stabilité à une éthique sociale. Même lorsque nous les avons reconnues et acceptées grâce au dialogue et au consensus, nous voyons que ces valeurs fondamentales sont au-dessus de tout consensus » (5). Je voudrais rappeler en particulier le droit à la vie, de la conception jusqu’à la fin naturelle, et le droit à la liberté religieuse.
Dans cette perspective, une prise de conscience collective s’est accrue, ces dernières années, de l’urgence de prendre soin de notre maison commune qui souffre d’une exploitation continue et aveugle des ressources. À cet égard, je pense en particulier aux Philippines, frappées ces dernières semaines par un typhon dévastateur, ainsi qu’à d’autres nations du Pacifique vulnérables aux effets négatifs du changement climatique qui mettent en péril la vie des habitants dont la plupart dépendent de l’agriculture, de la pêche et des ressources naturelles.
Un tel constat doit pousser la communauté internationale dans son ensemble à trouver des solutions communes et à les mettre en pratique. Personne ne peut s’exempter d’un tel effort parce que nous sommes tous concernés et engagés au même titre. Lors de la récente COP26 à Glasgow, un certain nombre de pas ont été faits dans la bonne direction, bien qu’ils soient plutôt limités par rapport à l’ampleur du problème à traiter. La route à parcourir pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris est complexe et semble être encore longue, alors que le temps à disposition se réduit. Il reste encore beaucoup à faire, et 2022 sera donc une autre année cruciale pour vérifier dans quelle mesure et comment ce qui a été décidé à Glasgow peut et doit être encore renforcé, dans la perspective de la COP27, prévue en Égypte en novembre prochain.
Excellences, Mesdames et Messieurs !
Le dialogue et la fraternité sont les deux foyers essentiels pour surmonter les crises du moment présent. Cependant, « malgré les multiples efforts visant à un dialogue constructif entre les nations, le bruit assourdissant des guerres et des conflits s’amplifie » (6), et l’ensemble de la communauté internationale doit s’interroger sur l’urgence de trouver des solutions à des conflits interminables qui prennent parfois l’allure de véritables guerres par procuration (proxy wars).
Je pense avant tout à la Syrie où l’on n’entrevoit toujours pas d’horizon clair pour la renaissance du pays. Aujourd’hui encore, le peuple syrien pleure ses morts, la perte de tout, et espère un avenir meilleur. Des réformes politiques et constitutionnelles sont nécessaires pour que le pays puisse renaître, mais il est aussi nécessaire que les sanctions appliquées n’affectent pas directement la vie quotidienne, offrant une lueur d’espoir à la population, de plus en plus prisonnière de la pauvreté.
Nous ne pouvons pas non plus oublier le conflit au Yémen, une tragédie humaine qui se déroule depuis des années en silence, loin des projecteurs médiatiques et dans une certaine indifférence de la part de la communauté internationale, et qui continue à faire de nombreuses victimes civiles, en particulier des femmes et des enfants.
Au cours de l’année écoulée, aucun pas en avant n’a été fait dans le processus de paix entre Israël et la Palestine. Je voudrais vraiment voir ces deux peuples reconstruire la confiance entre eux et recommencer à se parler directement afin de parvenir à vivre dans deux États côte à côte, dans la paix et la sécurité, sans haine ni ressentiment, mais guéris par le pardon mutuel.
Les tensions institutionnelles en Libye sont préoccupantes, tout comme les violents épisodes de terrorisme international dans la région du Sahel et les conflits internes au Soudan, au Sud-Soudan et en Éthiopie où il est nécessaire de « retrouver le chemin de la réconciliation et de la paix par une discussion sincère qui mette les besoins de la population au premier plan » (7).
Les profondes inégalités, les injustices et la corruption endémique, ainsi que les diverses formes de pauvreté qui offensent la dignité des personnes, continuent d’alimenter des conflits sociaux même sur le continent américain où les polarisations de plus en plus fortes ne contribuent pas à résoudre les problèmes réels et urgents des citoyens, en particulier des plus pauvres et des plus vulnérables.
La confiance réciproque et la disponibilité à un dialogue serein doivent animer toutes les parties concernées afin de trouver des solutions acceptables et durables en Ukraine et dans le Caucase méridional, ainsi que pour éviter que ne s’ouvrent de nouvelles crises dans les Balkans, en premier lieu en Bosnie-Herzégovine.
Le dialogue et la fraternité sont plus urgents que jamais pour faire face avec sagesse et efficacité à la crise qui touche le Myanmar depuis près d’un an, où les rues qui étaient autrefois des lieux de rencontre sont désormais le théâtre d’affrontements qui n’épargnent même pas les lieux de prière.
Naturellement, tous les conflits sont facilités par l’abondance des armes à disponibilité et le manque de scrupules de ceux qui s’affairent à les répandre. On a parfois l’illusion que les armements ne remplissent qu’un rôle dissuasif contre d’éventuels agresseurs. L’histoire, et malheureusement aussi l’actualité, nous enseignent que ce n’est pas le cas. Celui qui possède des armes finit tôt ou tard par les utiliser, car, comme le disait saint Paul VI, « on ne peut pas aimer avec des armes offensives dans les mains » (8). En outre, « quand nous nous livrons à la logique des armes et nous éloignons de la pratique du dialogue, nous oublions tragiquement que les armes, avant même de faire des victimes et des ruines, peuvent provoquer des cauchemars » (9). Ces préoccupations sont rendues encore plus concrètes aujourd’hui par la disponibilité et l’utilisation d’armements autonomes qui peuvent avoir des conséquences terribles et imprévisibles, alors qu’ils devraient être soumis à la responsabilité de la communauté internationale.
Parmi les armes que l’humanité a produites, les armes nucléaires sont particulièrement préoccupantes. La 10e Conférence d’examen du Traité de non-prolifération nucléaire, qui a été reportée à plusieurs reprises en raison de la pandémie, se déroule actuellement à New York. Le Saint-Siège continue de soutenir avec fermeté que les armes nucléaires sont des outils inadéquats et inappropriés pour répondre aux menaces contre la sécurité au XXIe siècle, et que leur possession est hautement immorale. Leur fabrication détourne des ressources aux perspectives d’un développement humain intégral et leur utilisation, en plus de produire des conséquences environnementales catastrophiques, menace l’existence même de l’humanité. En ce sens, le Saint-Siège considère qu’il est d’une importance vitale que la reprise à Vienne des négociations sur l’accord nucléaire avec l’Iran (Joint Comprehensive Plan of Action) puisse aboutir à des résultats positifs afin de garantir un monde plus sûr et plus fraternel.
Chers ambassadeurs !
Dans mon message pour la Journée mondiale de la paix célébrée le 1er janvier dernier, j’ai voulu mettre en évidence les éléments que je considère comme essentiels pour favoriser une culture du dialogue et de la fraternité.
Une place particulière est occupée par l’éducation, grâce à laquelle se forment les nouvelles générations, qui sont l’espérance et l’avenir du monde. Elle est le premier vecteur du développement humain intégral parce qu’elle rend la personne libre et responsable(10). Le processus éducatif est lent et laborieux, il peut parfois conduire au découragement, mais jamais on n’y peut y renoncer. Il est une expression éminente du dialogue car il n’y a pas de véritable éducation qui ne soit dialogique dans sa structure. L’éducation génère ensuite la culture et construit des ponts de rencontre entre les peuples. Le Saint-Siège a voulu en souligner la valeur en participant à l’Expo Dubaï 2021, aux Émirats arabes unis, avec l’installation d’un pavillon inspiré du thème de l’exposition : « Connecter les esprits, construire l’avenir ».
L’Église catholique a toujours reconnu et valorisé le rôle de l’éducation dans la croissance spirituelle, morale et sociale des jeunes générations. C’est donc d’autant plus pour moi une cause de douleur de constater que dans divers milieux éducatifs - paroisses et écoles - des abus sur mineurs ont eu lieu, avec de graves conséquences psychologiques et spirituelles pour les personnes qui les ont subis. Il s’agit de crimes sur lesquels il faut avoir la ferme volonté de faire la lumière en examinant les cas individuels, afin d’établir les responsabilités, de rendre justice aux victimes et d’empêcher que de telles atrocités ne se reproduisent à l’avenir.
Malgré la gravité de tels actes, aucune société ne peut jamais abdiquer sa responsabilité d’éduquer. Pourtant, il est douloureux de constater, comme souvent, que peu de ressources sont allouées à l’éducation dans les budgets des États. Celle-ci est d’abord considérée comme un coût, alors qu’il s’agit du meilleur investissement possible.
La pandémie a empêché de nombreux jeunes d’accéder aux établissements éducatifs, au détriment de leur processus de croissance personnelle et sociale. Nombreux sont ceux qui, grâce aux outils technologiques modernes, ont trouvé refuge dans des réalités virtuelles qui créent des liens psychologiques et émotionnels très forts, avec pour conséquence de les éloigner des autres et de la réalité environnante, et de modifier radicalement les relations sociales. Je n’entends certes pas nier par là l’utilité de la technologie et de ses produits qui nous permettent de nous connecter de plus en plus facilement et rapidement, mais je voudrais rappeler l’urgence de veiller à ce que ces outils ne remplacent pas les véritables relations humaines, au niveau interpersonnel, familial, social et international. Si l’on apprend à s’isoler dès le plus jeune âge, il sera plus difficile à l’avenir de construire des ponts de fraternité et de paix. Dans un univers où n’existe que le “je”, il peut difficilement y avoir de la place pour le “nous”.
Le deuxième élément que je voudrais rappeler brièvement est le travail, « facteur indispensable pour construire et préserver la paix. Il est expression de soi et de ses propres dons, mais aussi effort, fatigue, collaboration avec les autres, puisqu’on travaille toujours avec ou pour quelqu’un. Dans cette perspective fortement sociale, le travail est le lieu où nous apprenons à donner notre contribution pour un monde plus vivable et plus beau » (11).
Nous avons dû constater combien la pandémie a mis à rude épreuve l’économie mondiale, avec de graves répercussions sur les familles et les travailleurs qui connaissent des situations de détresse psychologique plus encore que des difficultés économiques. Elle a mis encore plus en évidence les inégalités persistantes dans divers domaines socio-économiques. Que l’on pense à l’accès à l’eau potable, à la nourriture, à l’instruction, aux soins médicaux. Le nombre de personnes classées dans la catégorie de l’extrême pauvreté est en forte augmentation. En outre, la crise sanitaire a conduit de nombreux travailleurs à changer d’emploi, et les a parfois obligés à entrer dans l’économie souterraine, les privant ainsi des systèmes de protection sociale prévus dans de nombreux pays.
Dans ce contexte, la prise de conscience de la valeur du travail revêt une importance accrue car il n’existe pas de développement économique sans travail, et l’on ne peut pas non plus penser que les technologies modernes puissent remplacer la valeur ajoutée apportée par le travail humain. Celui-ci est aussi une occasion de découverte de sa propre dignité, de rencontre et de croissance humaine, et un moyen privilégié par lequel chacun participe activement au bien commun et apporte une contribution concrète à la construction de la paix. Dans ce domaine également, il est donc nécessaire de renforcer la coopération entre tous les acteurs au niveau local, national, régional et mondial, surtout dans les temps à venir, en lien avec les défis posés par la très attendue conversion écologique. Les années à venir seront l’occasion de développer de nouveaux services et entreprises, d’adapter ceux qui existent déjà, de faciliter l’accès à un travail digne et d’œuvrer au respect des droits humains et à des niveaux adéquats de rémunération et de protection sociale.
Excellences, Mesdames et Messieurs !
Le prophète Jérémie nous rappelle que Dieu a pour nous « des pensées de paix et non de malheur, pour [nous] donner un avenir et une espérance » (29, 11). C’est pourquoi nous ne devons pas avoir peur de faire une place à la paix dans notre vie, en cultivant le dialogue et la fraternité entre nous. La paix est un bien “contagieux” qui se propage à partir du cœur de ceux qui la désirent et aspirent à la vivre, jusqu’à atteindre le monde entier. À chacun d’entre vous, à vos proches et à vos populations, je renouvelle ma bénédiction et mes vœux les plus sincères pour une année de sérénité et de paix.
Merci.
Salle des Bénédictions, Vatican
10 janvier 2022, salutations au pape François de M. Poulides, doyen du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège
Le 10 janvier 2022, lors de la traditionnelle rencontre des vœux de début d’année entre le pape François et le Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, salle des Bénédictions au Vatican, M. Georgios F. Poulides, ambassadeur de Chypre et doyen des diplomates, a prononcé un discours de salutation en début d’audience. Il a salué l’« œuvre infatigable » du pape François, cette « espérance pour de nombreux peuples, pour beaucoup d’hommes et de femmes ».
« L’année au cours de laquelle la pandémie s’est prolongée a vu votre personne se dépenser sans relâche en faveur de la paix, de la construction du dialogue, de la défense de l’environnement et de la protection de nos semblables les plus faibles et sans défense », a-t-il notamment déclaré. Après avoir rappelé l’importance de textes comme Fratelli tutti ou Laudato si’, associant fraternité et maison commune, le doyen du Corps diplomatique a relevé « la sensibilité » du pape François à l’égard de « la souffrance humaine » et de « l’instabilité sociale ». Une sensibilité visible dans ses textes comme dans ses actes lors de ses voyages en 2021, en Irak (la paix, mais aussi la place des femmes), en Slovaquie (la dignité du travail) ou encore à Chypre et en Grèce (les migrants).
Très Saint-Père,
Je suis profondément honoré de vous présenter, une fois encore, en qualité de doyen du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, nos meilleurs vœux de bonne santé et de poursuite fructueuse de votre mission apostolique.
Permettez-moi d’exprimer la joie de vivre ensemble ce moment habituel de rencontre qui remplit nos cœurs d’espérance et qui présente symboliquement au monde les représentants des États rassemblés autour du Saint-Père. L’année au cours de laquelle la pandémie s’est prolongée a vu votre personne se dépenser sans relâche en faveur de la paix, de la construction du dialogue, de la défense de l’environnement et de la protection de nos semblables les plus faibles et sans défense. De toutes les manières, à temps et à contretemps, vous avez inlassablement affirmé qu’on ne se sauve pas seul. Comme vous l’avez indiqué dans l’Encyclique Fratelli tutti(1), la pandémie est sans aucun doute l’épreuve de notre temps dans laquelle personne ne peut s’isoler, ni comme individu ni comme collectivité. Il n’est pas possible de sortir de la crise sanitaire due à la Covid-19 en retrouvant la normalité perdue, avec ses inégalités et ses souffrances, mais en cherchant des solutions nouvelles qui font changer nos styles de vie. Avec Fratelli tutti, vous avez proposé une profonde « révolution » de la fraternité dont nous pouvons tous être des acteurs : les individus comme les États.
Être frères veut dire avoir une maison commune. C’est un message que vous avez aussi explicité dans l’Encyclique Laudato si’, de 2015 (2). Et il y en avait besoin ! Votre message a contribué toutes ces années à préparer un terrain fertile pour un changement d’approche de la politique environnementale, thème dominant de la Conférence des parties de l’ONU, mieux connue sous le nom de COP26, qui s’est tenue à Glasgow au cours de l’année qui vient de s’achever. Conscient que le problème ne peut être résolu que par la collaboration de tous, vous avez lancé et signé au Vatican, le 4 octobre dernier, un Appel conjoint adressé aux participants de la COP26(3), avec de nombreuses autorités religieuses et scientifiques, dans lequel l’adoption d’une éducation à l’écologie intégrale qui favorise un modèle culturel centré sur la fraternité est demandée. Tous frères dans une maison commune ! C’est un message que chacun peut comprendre et qui a une haute valeur morale et politique. Saint-Père, vous demandez un changement de cap urgent en passant de la « culture du rejet » à une « culture du soin de la maison commune », puisque les jeunes « hériteront de la planète que nous choisissons de leur laisser. (…) Le moment est venu de prendre des décisions qui leur donnent un motif d’espérance dans l’avenir » (4).
Saint-Père, je voudrais rappeler ici vos paroles du Message pour le lancement du Pacte éducatif mondial de 2019 : « Chaque changement nécessite un parcours éducatif pour faire mûrir une nouvelle solidarité universelle et une société plus accueillante » (5). La force de ce message de paix retentit chaque année davantage. Devant l’apparition de nouvelles souffrances et l’aggravation de drames anciens, vous n’offrez pas de solutions simplistes à l’horizon limité mais vous nous invitez à édifier une paix durable. Chacun de nous est, et doit, se sentir protagoniste de la construction d’un monde pacifié en concentrant nos actions en trois axes que vous avez identifiés et bien définis : encourager le dialogue entre les générations en réalisant des projets partagés ; promouvoir l’éducation comme facteur de liberté, de responsabilité et de développement ; garantir des conditions de travail qui réalisent la dignité humaine (6).
Saint-Père, votre extraordinaire sensibilité à la souffrance humaine et à l’instabilité sociale est apparue avec force lors de votre voyage au cœur de l’Europe, en Slovaquie. Vous y avez défendu la dignité et le droit au travail avec des paroles que je me permets de partager : « De même que sans pain il n’y a pas de nourriture, sans travail il n’y a pas de dignité » (7). Vous invitez à construire des sociétés justes et solidaires fondées sur le travail afin que « personne ne se sente exclu et se voie forcé de quitter la famille et la terre d’origine en quête d’un plus grand bonheur » (8). Là où ces conditions sont encore à construire, il ne faut pas que le monde se détourne.
Saint-Père, votre appel en faveur de l’intégration des migrants, lancé durant votre « pèlerinage aux sources de la fraternité et de l’humanité » à Chypre et en Grèce, était fort : « La mer, qui embrasse de nombreux peuples, nous rappelle, par ses ports ouverts, que les sources de la coexistence résident dans l’accueil réciproque » (9). Votre Sainteté, à Chypre, vous avez exhorté la communauté internationale afin qu’elle fuie la tentation d’ériger des « murs de la peur » et vous avez souhaité que l’île, carrefour des civilisations, puisse devenir « un chantier de paix » (10). J’ai été un témoin direct de votre Voyage apostolique à Chypre, majoritairement orthodoxe, et j’ai pu constater comment votre présence, non seulement suscite l’enthousiasme, mais unit et donne l’espérance. En Grèce, vous avez focalisé l’attention sur l’importance de l’accueil parce que lorsqu’il s’agit de migrants, de réfugiés ou de personnes déplacées, des vies humaines sont en jeu, et vous avez souligné que « lorsque les pauvres sont rejetés, c’est la paix qui est rejetée » (11).
La paix et le dialogue ont été au centre de votre voyage historique en Irak où, dans le sillage de l’Encyclique Fratelli tutti, vous avez mis l’accent sur le concept et la pratique de la fraternité, en poursuivant contextuellement le parcours tracé par la Déclaration sur la Fraternité humaine signée à Abu Dhabi. Saint-Père, à l’occasion de la rencontre avec les autorités au Palais présidentiel de Bagdad en mars dernier, vous avez rappelé qu’« une société qui porte l’empreinte de l’unité fraternelle est une société dont les membres vivent dans la solidarité », mais vous avez aussi lancé un appel à la communauté internationale pour qu’ « elle ne retire pas la main tendue de l’amitié et de l’engagement constructif » pour le maintien de la paix (12).
Saint-Père, permettez-moi de reconnaître votre engagement en faveur de la valorisation des femmes et de la reconnaissance du rôle actif de la femme dans la société et dans la construction de l’histoire de l’humanité. Je fais miennes vos paroles : « Nous devons nous battre, lutter, pour la dignité des femmes. Ce sont elles qui font avancer l’histoire » (13).
Nous avons vu en vous, Saint-Père, un courage évangélique qui nous inspire. Devant le Colisée, le 7 octobre 2021, lors de la cérémonie interreligieuse organisée par la Communauté de Sant’Egidio, presque en regardant le monde à venir, vous avez dit : « Voilà le vrai courage, le courage de la compassion, qui fait aller au-delà d’une vie tranquille, au-delà du cela ne me regarde pas et du cela ne m’appartient pas. Afin de ne pas laisser la vie des peuples se réduire à un jeu entre puissants. Non, la vie des peuples n’est pas un jeu, elle est une chose sérieuse et concerne tout le monde » (14). Ce sont des paroles qui inspirent votre ministère, mais aussi notre action de diplomates et de famille diplomatique. Nous voulons tous partager votre courage, en témoignant que la vie des peuples est une chose sérieuse qui nous regarde tous.
Saint-Père, je vous prie d’accepter les vœux les plus fervents de bonne année et de bonne santé. Je tiens à vous remercier au nom de la famille diplomatique près le Saint-Siège que je représente en tant que doyen, pour la force que vous nous avez transmise durant l’année qui vient de s’écouler.
Merci, Saint-Père, pour votre œuvre infatigable, espérance pour de nombreux peuples, pour beaucoup d’hommes et de femmes.
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(*) Titre de La DC.
(1) Pape François, Lettre encyclique Fratelli tutti sur la fraternité et l’amitié sociale, 3 octobre 2020.
(2) Pape François, Lettre encyclique Laudato si’sur la sauvegarde de la maison commune, 24 mai 2015 ; DC 2015, n. 2519, p. 5-71.
(3) Appel conjoint du pape François et des religieux et scientifiques du monde entier aux participants de la COP26, 4 octobre 2021.
(4) Pape François, Message à M. Alok Sharma, président de la COP26, 29 octobre 2021.
(5) Pape François, Message pour le lancement du Pacte éducatif mondial, 12 septembre 2019.
(6) cf. Pape François, Message pour la 55e Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2022.
(7) Pape François, Rencontre avec les autorités, la société civile et le Corps diplomatique, Palais présidentiel, Bratislava, 13 septembre 2021.
(8) Ibid.
(9) Pape François, Message Vidéo à la veille du Voyage apostolique à Chypre et en Grèce, 27 novembre 2021.
(10) Pape François, Rencontre avec les autorités, la société civile et le Corps diplomatique, Palais présidentiel, Nicosie, 2 décembre 2021.
(11) Pape François, Visite aux réfugiés, Mytilène, Grèce, 5 décembre 2021.
(12) Pape François, Discours devant les autorités irakiennes, Bagdad, 5 mars 2021.
(13) Pape François, Conférence de presse, Voyage apostolique en Irak, 8 mars 2021.
(14) Pape François, Discours au terme de la Rencontre de prière pour la paix, organisée par la communauté de Sant’Egidio, Colisée, Rome, le 7 octobre 2021.