Rwanda : Atteintes à la vie et arrestations des journalistes pendant l’état d’urgence sanitaire.
Déclaration de l'ODHR en format PDF.
Déclaration N°2/2020 de l'Observatoire des Droits de l'Homme au Rwanda, en sigle ODHR
Paris, 22 avril 2020
L’ODHR est inquiet des atteintes continues aux libertés fondamentales au Rwanda aussi bien avant que durant la période d’état d’urgence sanitaire décidé par le gouvernement le 21 mars 2020. Les gens sont tuées à bout portant par les services de police, les logements dits précaires des pauvres détruits dans les quartiers populaires sans indemnisations adéquates par les autorités, les viols des femmes (victimes aussi de ces destructions) par les services de patrouilles militaires, les journalistes emprisonnées pour éviter des faits fabriqués , les fonctionnaires contraints d’abandonner leurs salaires, les citoyens crient de faim sous le confinement pendant que les autorités pensent en profiter pour se remplir les poches.
Atteintes au droit à la vie et impunité
Le 24 mars 2020, dans le village de Nyamitobu, Cellule de Kabuga, secteur Nyagisozi dans le District de Nyanza Province du Sud, des policiers en patrouille pour faire respecter les mesures de confinement en rapport avec le Covid 19 ont tiré sur deux jeunes gens qui sont morts sur le coup. Il s’agit de Nyiramana Jean Claude qui conduisait une moto et de Nyandwi Emmanuel qui était son passager. Les autorités interrogées au départ esquivaient de répondre[1] par peur et le porte-parole de la police a répondu plus tard que les victimes ont voulu désarmer les policiers qui les ont abattus. C’est devenu une tradition, la police rwandaise, à chaque fois qu’elle tire sur des personnes, la justification données pour se couvrir est que les victimes se retournent contre eux pour leur prendre les armes. Aucune enquête indépendante n’est faite pour établir la vérité, créant un doute parmi la population et l’impunité des policiers responsable de ce genre de meurtre.
Le porte-parole de la police dans la Province de l’Ouest[2] CIP Karekezi Bonaventure affirme que la police a abattu vers 01H00 du matin Niyonzima Jean Damascène qui avait été arrêté pour suspicion de vol d’ordinateur lorsqu’il voulait attaquer un des policier avec un fer à béton. Il habitait dans la cellule Gihundwe/ secteur Kamembe dans le District de Rusizi. La police affirme qu’il avait été arrêté dans le village de Nyakayonga / cellule de Kamashangi/ secteur Kamembe. Une information rapportée par le journal en ligne indique que la famille de la victime a été surprise d’apprendre sa mort par les journaux alors qu’il avait été plutôt le 15 avril 2020. Sa famille et les voisins affirmeraient qu’ils ont appris sa mort quatre jours après son arrestation sur la route par la police. Ils ne comprennent pas comment Niyonzima Jean Damascène aux mains de la police aurait été arrêté et abattu pour vol le 19 avril 2020. Aucune enquête indépendante n’a été faite pour clarifier ce décès qui apparait comme un meurtre prémédité par la police.
Ces deux cas de meurtre commis par les services de la police rwandaise font suite à plusieurs autres restés jusqu’ici impunis. Ici nous citons notamment les cas du Médecin Gasakure Emmanuel, abattu dans les locaux de Police à la station de Remera dans la Ville de Kigali.
Une autre justification donnée souvent par les policiers pour abattre les personnes sous leur garde en toute impunité est la tentative d’évasion. Ici nous citons entre autres les cas déjà dénoncés de François Nsengiyumva abattu à la station de police de Kibungo[5] le 19 avril 2018; le soir, de retour des toilettes ; de l’Imam Mugemangango Muhamad abattu par la police le 23 janvier 2016 lorsqu’il était amené dans une enquête (à 21H00 !) ; Il était détenu à la station de police de Kanombe ; de Sengimana Alfred, ancien secrétaire exécutif du secteur Cyuve dans le district de Musanze , abattu menotté par un surveillant de prison dans l’après-midi du 16 mai 2014 lorsqu’il était emmené sur les lieux d’enquêtes dans le secteur Gashaki. Il était détenu à la prison de Musanze ; de Mahoro Jean Bosco abattu pour tentative d’évasion (selon la police ) à la station de police de Kamembe dans le district de Rusizi le matin du 20 avril 2017 par des policiers ; il avait refusé que sa maison soit détruite le 19 avril 2017 par la sécurité pour avoir été construite illégalement ; d’Eric Hashakimana abattu par la police dans le District de Gicumbi. Selon la police il aurait tenté de s’échapper en sautant du véhicule lorsqu’il était emmené sur les lieux d’enquête dimanche 15 juin 2014, il aurait tenté d’empoisonner un général du nom de RUVUSHA Emmanuel dans un restaurant où il travaillait.
Comme dans les cas du chanteur Kizito Mihigo, de l’Avocat Donat Mutunzi et plusieurs autres personnes tués par les services de sécurité dans les locaux de la police, pour toutes ces personnes aucune enquête indépendante n’a été faite jusque maintenant, pour ramener la confiance des rwandais dans les services de sécurité.
Conséquences des destructions des logements qans les quartiers populaires de kigali pendant le confinement
Fin 2019, les quartiers pauvres de Kigali ont commencé à être détruite soi-disant pour protéger la population des catastrophes naturelles du au pluies torrentielles alors que tous ces quartiers n’étaient pas dans les vallées ou sur des collines escarpées. Ce système controversé d’expropriation précarise ces personnes qui avaient pris des crédits bancaires ou tout dépensé pour la construction d’un logement. Les propriétaires de ces logements détruits sont chassés sans indemnisation d’expropriation préalable (donc sans protection légale) conformément aux dispositions de la loi rwandaise N° 32/2015 du 11/06/2015 qui détermine les procédures d’expropriation pour cause d’utilité publique[3]. Ce système qui détruit sans juste et préalable indemnisation a été dénoncé à travers les médias internationaux. Les habitants de ces quartiers n’ont eu qu’un petit répit de janvier-février 2020. Ils avaient espéré une décision de l’autorité présidentielle clémente mais ils n’ont reçu qu’une douche froide.
Mi-mars 2020 alors que le monde s’inquiétait des ravages faits par la pandémie Covid 19, les autorités de la Ville de Kigali ont repris les destructions controversées des quartiers populaires. Les habitants du quartier populaire de Bannyahe à Nyarutarama ont vu leurs maisons détruites sans expropriation par le gouvernement rwandais. Plusieurs personnes dont les femmes qui s’opposaient à la destruction de leurs maisons ont été brutalisées.
Les habitants des quartiers détruites vivent le calvaire sans abris pendant le confinement. Pendant que la presse officielle et les associations nationales porte- voix des citoyens étaient silencieuses, les journalistes et blogueurs onlines, au risque de leur vie, ont couvert ces événements tristes et c’est par eux que le monde connait ces tristes réalités d’un Rwanda propre, développé et bien géré, où règne la discipline. Les autorités ont ordonné les destructions dans le cadre de protéger la dite population contre les inondations sans préalablement prévoir les abris durant la période de confinement et de pluie.
Violences et viol des femmes commis par les services de sécurité à Kigali
Fin mars et début avril 2020, durant le confinement dans le quartier populaire de Bannyahe détruit de manière violente, des militaires de patrouille, ont violé plusieurs dizaines de femmes, tabassé des hommes et pillé des biens du quartier des personnes qu’ils étaient censés protéger. Certains médias rapportent que 19 femmes ont été violées.
Plusieurs médias locaux en ligne et internationaux rapportent des témoignages des femmes victimes de viol et des pillages des biens des populations de ce quartier populaire victime de destructions de logement sans expropriation. Des témoignages rapportés soulignent que ces militaires tabassaient les hommes pour ensuite violer leurs épouses. L’impression apparaissant dans ses témoignages est que ces viols et violences seraient organisés et prémédités contre les populations de ces quartiers.
La police et les autorités administratives auraient tentés de couvrir les services de sécurité en niant les faits. L’arrestation de cinq militaires accusés de ces viols plusieurs jours après les faits rapportés par certains médias locaux a été médiatisée. Cette médiatisation apparait néanmoins comme une tentative de brouiller les pistes pour noyer l’objectif et l’étendue de l’opération des services de sécurité ainsi que les dégâts causés sous la sanction d’indiscipline des militaires. Certains des journalistes arrêtés avaient enquêtés sur ces populations.
Arrestations des journalistes pour le seul mois d’avril 2020.
Durant ce confinement, les médias internationaux et les associations de la diaspora rwandaise rapportent et condamnent l’arrestation des journalistes pour avoir osé interroger les populations des zones rurales et des quartiers populaires urbaines détruits sur leur situation durant cette période de confinement.
Pour le seul mois d’avril, le RIB (Rwanda investigation board) a arrêté plus de cinq journalistes pour des faits liés à leurs activités professionnelles. Le 08 avril, le RIB a déclaré avoir arrêté pour violations des mesures de confinement : Yvan Mugisha du journal The East African et correspondant de l’Agence France-Presse, John Gahamanyi du journal The New Times et Saul Butera de Bloomberg, Valentin Muhirwa et David Byiringiro d’AFRIMAX TV. Saul Butera et John Gahamanyi accusés aussi de conduite en état d’ivresse ainsi que Ivan Mugisha seraient relâchés.
Le 12 avril, le RIB a annoncé avoir arrêté Nsengimana Théoneste journaliste d’Umubavu TV accusé de soudoyer les habitants pour de fausses informations sur l’aide alimentaire.
Le 15 avril , il a annoncé l’arrestation de Dieudonné Niyonsenga alias Cyuma Hassan d’Ishema TV pour violation des mesures de confinement.
Mais selon d’autres informations, le problème est le flou entretenu autour de ces arrestations. Ces journalistes auraient été arrêtés pour avoir interrogé les personnes sur la précarité causée par les mesures de confinement suite au Covid 19, sur les destructions controversées des maisons dans certains quartiers de la ville de Kigali parmi lesquels le quartier de Bannyahe, sur les viols des femmes et les violences subies par les personnes précarisées les destructions et le confinement. Ces violences et viols ont été commis par les services de sécurité comme indiqués plus haut.
Ces menaces, harcèlement et intimidations policiers et judiciaires des journalistes sont des méthodes habituellement utilisées par des autorités de Kigali pour museler et contrôler les médias qui se débattent pour leur indépendance.
Cession forcée des salaires par les fonctionnaires, le secteur privé également touché
Le communiqué du premier ministre rwandais annonce le renoncement aux salaires d’avril 2020 par les ministres et hauts fonctionnaires dans le cadre de la lutte contre le Covid 19. Le gouvernement a décidé que ces fonctionnaires renoncent à leurs salaires. Ce n’est pas une décision individuelle mais plutôt du gouvernement obligeant les concernés à renoncer aux salaires. On ne sait pas encore ce que sera la contribution forcée du petit fonctionnaire et l’employé du secteur privé ou de l’autoentrepreneur. L’on sait déjà par des sources concordantes que les loyers des maisons et bureaux des privés ne sont pas payés, que les petits fonctionnaires craignent pour leurs salaires. La contribution en soi ne pose pas de questionnement si elle volontaire dans un cadre de solidarité. Mais rappelons que ces actes de cession forcé du salaire son interdite par les conventions de l’OIT[4].
Une gestion transparente des fonds reçus du FMI et d’autres donateurs, concentrée sur l’aide des populations plus démunies et les entreprises à faibles revenus permettrait de gérer l’évolution de la pandémie. Mais aussi la gestion de l’évolution de la pandémie doit être transparente pour permettre aux citoyens d’adopter sereinement des comportements demandés dont la solidarité. Personne n’ose parler des chiffres évolutifs réels sur le coronavirus dans le pays. Aucune information par province ou district n’est donnée par les autorités. Des informations concordantes indiquent que dans le district de Gicumbi, dans la province du nord, des personnes ont été contaminés.
Il est simplement dit qu’elle est gérée. Les quelques informations qui apparaissent dans les médias sur la distribution des vivres aux démunis montrent des populations insatisfaites et désorganisée par cette activité de petite ampleur alors que les gens en ville crient à la faim. Une image d’un jeune homme affamé à Gikondo fait le tour des médias sur les réseaux. Tout cela ne rassure pas la population sur les mesures prises pour aider les plus démunis ou et les personnes précarisées par cette situation.
L’ODHR condamne ces atteintes aux libertés fondamentales que sont le droit de tout un chacun à la vie et la liberté d’expression.
L’ODHR demande au gouvernement rwandais de libérer les journalistes et d’arrêter de fabriquer des faits contre eux qui ne concordent pas alors qu’ils exerçaient leurs activités professionnelles pour que l’Etat soit informé de la situation sociale précaire que traversent ses citoyens pendant le confinement. Il demande enfin la poursuite des membres des services de sécurité responsable des meurtres, des viols et autres violences dénoncés et rapportés par des citoyens et ces journalistes.
Pour l’ODHR
Laurent Munyandilikirwa, Président
[1] Voir http://www.intyoza.com/nyanza-abasore-babiri-barashwe-na-polisi-barapfa/?fbclid=IwAR0C50U3KFGVYXxsCAbORX2l5ERe2CAK6ABSyDJC2TS6Wwd0N2McdSx6fwY- ;
[2] voir aussi https://igihe.com/amakuru/u-rwanda/article/rusizi-umupolisi-yarashe-ukekwaho-ubujura-washakaga-kumukubita-fer-a-beton. (article en ligne en langue rwandaise)
[3] Les dispositions de l’article 3 de la loi rwandaise N° 32/2015 du 11/06/2015 qui détermine les procédures d’expropriation pour cause d’utilité publique : « Seul l'Etat est habilité à ordonner l’expropriation pour cause d’utilité publique. L’expropriation prévue par la présente loi n’a lieu qu’aux seules fins d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnisation. Nul ne peut se prévaloir de ses propres intérêts pour compromettre la mise en œuvre du programme d’expropriation pour cause d’utilité publique. Nul ne peut s’opposer à l’exploitation du sous-sol ou de la partie superficielle de son terrain pour cause d’utilité publique. Lorsque l’exploitation lui est préjudiciable, il en reçoit une juste indemnisation.