Une opinion de Johan Swinnen, ancien ambassadeur de Belgique à Kigali (1990-94).

La mort du chanteur gospel rwandais Kizito Mihigo nous rappelle à quel point l’injustice et le non-respect des droits humains sont toujours légion au Rwanda.

Pour les medias belges, à quelques rares exceptions près, la mort du chanteur gospel rwandais Kizito Mihigo n’est décidément pas digne de mention et encore moins de commentaires ou de sympathie. Quant aux réactions du monde politique belge, on les attend encore.

Kizito, un Tutsi catholique qui a survécu au génocide contre les Tutsis, où il a perdu certains de ses proches, dont son père, nous est connu comme auteur et interprète de plus de 300 chansons d’inspiration religieuse. Sa popularité était énorme. Le président Kagame le tenait en haute estime ; il lui avait même octroyé une bourse pour parachever sa formation musicale aux observatoires de Bruxelles et de Paris.

En 2014, dans une chanson d’une beauté émouvante, Kizito s’évertuait à attirer également l’attention sur les souffrances vécues par les Hutus : "Le génocide m’a rendu orphelin. Mais cela ne devrait pas me faire oublier ce que les autres ont enduré ; ils sont victimes d’une haine qui n’a pas été qualifiée de génocide. Ces frères et sœurs sont également des êtres humains. Je prie pour eux, je les soutiens, je pense à eux." (traduit du kinyarwanda)

Suicide ou assassinat ?

Ce type de réflexions n’avaient pas leur place dans l’histoire officielle du Rwanda. Celle-ci ne souffre aucune contestation, elle écarte même les interrogations les plus légitimes. Toute question risque d’être disqualifiée d’emblée pour négationnisme ou révisionnisme supposés. Comme si cela ne suffisait pas, Kizito était soupçonné d’avoir fomenté des plans subversifs avec l’opposition extérieure armée. Il fut condamné à 10 ans de prison mais a pu bénéficier de la grâce présidentielle après quelques années de détention. La mesure était assortie d’une interdiction de voyage international.

Il y a trois seghmaines, il a été arrêté à quelques kilomètres de la frontière. On l’accusait d’avoir voulu fuir au Burundi, afin d’y rejoindre l’opposition armée. Certaines conversations enregistrées laissent toutefois entendre qu’il était menacé de mort s’il ne se conformait pas strictement à la doctrine officielle du pouvoir en place. Quelques jours après sa nouvelle incarcération, le 17 février, il a été retrouvé mort dans sa cellule. Selon la version officielle, il se serait suicidé. Pour beaucoup, il ne fait cependant aucun doute qu’il a été assassiné. Même s’il s’agit d’un suicide, il n’est pas interdit de se demander pourquoi les autorités ne l’ont pas protégé de cet acte de désespoir… La confrontation avec la dépouille a été refusée à la famille alors que le corps montrait des traces de torture.

Sous silence