Le Dr Mukwege demande un soutien militaire à l'Europe pour sécuriser l'est du Congo.
C. Hick, F. Wallemacq
Depuis le début du mois de novembre, les massacres de civils s’enchaînent dans la région de Béni, dans le nord Kivu (à l’est de la République démocratique du Congo). Entre 60 et 70 personnes ont ainsi été assassinées ces trois dernières semaines, dont une vingtaine ce mardi dans deux attaques simultanées à Beni-ville et près d’Oïcha, 30 km plus au nord.
Derrière ces attaques : des miliciens ADF, les autoproclamées "Forces démocratiques alliées", un groupe armé parmi les plus violents dans l’est de la RDC. Il s’agit à l’origine d’un groupuscule de musulmans intégristes ougandais, dont l’idéologie religieuse est liée à des rites mystiques. Hostiles au président Yoweri Museveni, qui leur rend bien, ils se sont repliés dans l’est de l’actuelle RDC.
Les ADF sont accusés du massacre de centaines voire de plus d’un millier de civils dans la région de Beni depuis octobre 2014, même s’ils ne revendiquent pas leurs atrocités.
Cible d’une opération d’envergure de l’armée congolaise depuis fin octobre, c’est sur les civils qu’ils se vengent en les massacrant à l’arme blanche ou à feu, femmes et enfants compris.
Appel au secours
Face à cette situation, le docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018 et personnalité congolaise reconnue mondialement, ne veut pas se taire. Dans un communiqué, il explique, qu’on "ne peut plus présenter nos condoléances à cette population martyrisée sans agir : il faut arrêter ces crimes odieux et traduire les auteurs en justice". C’est pourquoi il lance un appel à l’action "aux autorités congolaises et à la communauté internationale pour enrayer la spirale de la violence et mettre un terme aux crimes de masse et à la souffrance énorme que subit la population de Beni et de ses environs".
Le célèbre gynécologue congolais appelle dès lors au déploiement "d’une opération inspirée du mandat de la mission Artémis, avec le soutien de l’armée française. Une opération militaire limitée dans le temps et dans l’espace pourrait en effet être très efficace pour protéger la population et sécuriser la région de Beni".
L’armée et l’ONU impuissants
Pour Bob Kamamba, professeur de politologie africaine à l’université de Liège, une aide extérieure est effectivement "plus que souhaitable". "Il y a déjà eu des précédents, par exemple l’opération Artemis, dans les années 2000, où la France était intervenue pour mettre fin à des massacres entre deux communautés. Ce déploiement avait permis d’y mettre fin. S’il y a une coordination entre les pays européens et africains, il est tout à fait possible de mettre fin à la présence des ADF. Mais cela passe aussi par le renforcement de l’armée congolaise."
Une armée vertement critiquée par la population civile, car elle n’est pas toujours positionnée dans des régions où sont présentes les ADF et qui se montre manifestement impuissante face aux attaques perpétrées par la milice ougandaise.
Les Nations unies, qui ont déployé sur place des casques bleus (via la Monusco) sont elles aussi pointées du doigt par une population terrorisée par les massacres. Aujourd’hui, des manifestants ont visé un camp de la Monusco à Beni, où la police a violemment dispersé leur mouvement de colère. Il faut dire que la situation est aberrante : ce camp se situe au cœur même de la région attaquée par les ADF. Mais, comme l’explique Bob Kamamba, "l’intervention de ces casques bleus dépend aussi des pays dont ils sont originaires. C’est pour cela qu’à plusieurs reprises, l’ONU n’est pas intervenue alors que des massacres étaient perpétrés contre des populations civiles".
Par ailleurs, l’armée congolaise n’a pas sollicité pour le moment le renfort des Casques bleus de la Monusco. La coopération onusienne se limite à des échanges de renseignements et des évacuations sanitaires.
Pourquoi les civils ?
Reste une question : pourquoi les rebelles ougandais s’en prennent-ils à des civils, des paysans désarmés ? Pour Bob Kamamba, cette stratégie est comparable à celle utilisée dans le sud Kivu, où là, les violences sont sexuelles. Le but des rebelles est de faire parler d’eux et d’exister. "Nous sommes dans une région particulière, qui fait l’objet de convoitises de plusieurs groupes rebelles", explique Bob Kamamba. "Le mode opératoire n’est pas de s’attaquer aux militaires, c’est de marquer les esprits en s’attaquant aux civils et de prouver qu’ils sont bien présents, de faire parler d’eux. Pour être pris en compte au niveau du Congo et de la région, pour avoir une place importante sur l’échiquier politique".
Et pour l’instant, leur stratégie semble malheureusement bien fonctionner…
Le Dr Mukwege demande un soutien militaire à l'Europe pour sécuriser l'est du Congo
Depuis le début du mois de novembre, les massacres de civils s'enchaînent dans la région de Béni, dans le nord Kivu (à l'est de la République démocratique du Congo). Entre 60 et 70 personnes...