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Publié par La Tribune Franco-Rwandaise

Président Melchior Ndadaye

Président Melchior Ndadaye

Abou-Bakr Abelard Mashimango

Abou-Bakr Abelard Mashimango

Par Abou-Bakr Abelard Mashimango, Docteur en sécurité internationale et défense

Melchior Ndadaye, outre le travail politique qui lui a mené à devenir le premier président élu au suffrage universel au Burundi avant son assassinat, était aussi un pionnier dans la lutte pour les droits humains: il était membre de l’une des premières ligues des droits humains Iteka.

A l'occasion de l'anniversaire de l'assassinat de Melchior Ndadaye, je tiens à souligner que j'ai un profond respect pour le premier président jusqu’ici démocratiquement élu du Burundi et dans les pays de la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL). J'étais encore jeune lors de son élection, je l'ai plus connu à travers les lectures des livres écrits sur lui après son assassinat, sur le Burundi et sur la conflictualité dans le région des Grands Lacs. J'ai toujours eu l'impression que, comme le Prince Rwagasore, il est parti trop tôt et mort incompris : non seulement, il n'a pas eu le temps de mettre en pratique ses idées et ses programmes, mais encore sa disparition a laissé un vide difficile à combler au sein de son parti FRODEBU. L’évidence est qu'il était tellement en avance sur son époque que ni son entourage ni ses adversaires n'ont pu comprendre le sens de son action : alors que son entourage a cru à un moment de revanche d'une ethnie sur une autre, l'occasion de faire subir la même injustice à ceux qui étaient considérés comme "oppresseurs" d'hier, ses adversaires, eux, ont interprété sa victoire inattendue comme une humiliation et une menace sur leur survie. Pourtant, il est surprenant de constater qu'à Arusha, certaines solutions imaginées en vue d'une gouvernance qui rassure tous les burundais se trouvaient déjà dans la pratique de gouvernement de Ndadaye. Les gens ont probablement oublié qu'il avait nommé un premier ministre ethniquement et politiquement différent de lui, que son gouvernement était composé de 60% de hutu et de 40% de tutsi, que son gouvernement comptait aussi bien des frodebistes que des upronistes. Il avait obtenu plus de 80% de sièges au parlement et aucun texte constitutionnel ne l'obligeait à partager une partie de son pouvoir avec son opposition. Aujourd'hui, les gens ont du mal à comprendre ce que NDADAYE avait retenu sans l'expérience d'une guerre civile et des négociations d'Arusha. 

J'ai également un profond respect envers lui en pensant au courage qui aura marqué son combat. S'il m'est tellement difficile de me battre aujourd'hui pour les droits de l'homme et la démocratie dans mon pays, le Rwanda, j'imagine ce que cela pouvait être à l'époque de la toute-puissance du parti unique UPRONA. Visionnaire qu'il était, il aurait craint l’inexpérience de ses lieutenants et auraient proposé une transition démocratique au régime de l'époque. Cela n'a pas jusqu’ici été confirmé par les dirigeants de l'époque. La confirmation suffirait à faire taire tous les détracteurs du Président NDADAYE et à démontrer la grandeur de cet homme d'Etat.

De ceux qui se cherchent des repères en politique au Burundi aujourd’hui, les uns se réclament de Ndadaye, leurs adversaires de Rwagasore. Ndadaye est-il l'anti Rwagasore? Ou Rwagasore et Ndadaye sont-ils complémentaires? Quand on compare les discours de nos deux héros, on est frappé par leurs ressemblances à bien d'égards, quoi qu'ils soient séparés de trois décennies. Leurs combats sont complémentaires. Les burundais se souviennent facilement de l'ambition de Rwagasore de libérer les burundais du joug colonial, mais ignorent souvent son combat contre l'injustice et sa passion pour ce qu'il appelait « une démocratie progressive ». Malheureusement, à sa mort, il a été impossible de trouver un homme de sa carrure pour le remplacer et son rêve a été noyé dans les ambitions personnelles et antagonistes de ses lieutenants. Trois décennies durant on a chanté son nom, on a affiché ses portraits dans les bureaux et sur les lieux des rassemblements publics, mais « l'esprit de Rwagasore » n'y était plus. Son rêve de démocratie a été remplacé par des dictatures militaires (Micombero, Bagaza, Buyoya), des injustices innommables ont été perpétués par l'élite dirigeante, des fils et filles du Burundi ont été contraints à fuir leur patrie, la masse paysanne a été complètement laissée à son sort, plus de 70% de la population est restée dans la nuit de l'analphabétisme, etc. Il va sans dire que cette situation ne pouvait déboucher qu'à une révolte. Un homme s'est levé, pensant qu'il était encore possible de mettre fin à ces injustices dans l'unité des hutu et des tutsi, sans effusion de sang. Un homme a pensé que la démocratie pouvait être la solution à cette situation. Il rêvait de construire une société burundaise « libérée des complexes d'infériorité et de supériorité ». Il s'appelait Melchior NDADAYE et il en est mort. Les complexes avaient de très longues racines, on ne pouvait pas les éliminer si rapidement. Oui les combats de Rwagasore et Ndadaye sont complémentaires. Ils partagent tous les deux une profonde confiance dans le peuple burundais et une même conviction que l'épanouissement de ce peuple passera par la fin des injustices sociales et la responsabilisation d'un peuple uni et maître de son destin.
On ne peut opposer Ndadaye à Rwagasore. D'ailleurs on finit par constater que ceux qui se réclament de Ndadaye sans reconnaitre Rwagasore, ceux qui se réclament de Rwagasore sans reconnaitre Ndadaye et ceux qui ne se reconnaissent ni de l'un ni de l'autre ont eu les mêmes comportements une fois au pouvoir: la cupidité, le mépris des masses paysannes, l'exclusion, la haine et l'injustice.

L’assassinat de Melchior Ndadaye a été suivi par une guerre civile qui a duré une dizaine d'années et emporté des centaines de milliers de Burundais. Mais ni les assassins du président Ndadaye, ni les criminels des citoyens innocents n'ont jamais été interpellés ou inquiétés. C’est l’équation la plus difficile et la plus facile à résoudre en Afrique des Grands Lacs. C’est comme celle du Rwanda concernant la mort des Présidents Habyarimana et Ntaryamira. Au Burundi comme au Rwanda Tout le monde connait plus ou moins les assassins de Ndadaye, de Habyarimana et de Ntaryamira sauf la justice burundaise, rwandaise et internationale.  Au niveau de la société civile, nous nous battons pour une mise en place rapide des mécanismes de justice qui permettrait de faire la lumière notamment sur l'assassinat de Melchior Ndadaye, de Habyarimana Juvénal et Cyprien Ntaryamira.  Au stade actuel, les assassins gagnent encore un gage d'impunité. 

Ce qui me révolte dans cette histoire, notamment en ce qui concerne le Burundi, est qu’à  la mort du Président Ndadaye, des gens sont allés en rébellion, ils se sont battus une décennie durant, des milliers de jeunes combattants sont morts défendant les idéaux de démocratie, de justice, de respect de la vie humaine du président assassiné. Ils se sont battus parce que la justice burundaise, soumise aux volontés de l'exécutif, ne pouvait pas faire justice à Ndadaye. Que remarque-t-on aujourd'hui? Ceux qui se sont battus sont finalement arrivés au pouvoir. Certains sont gênés quand on leur parle du dossier Ndadaye, ils esquivent vite la question. 
À dire vrai, Ndadaye a été assassiné deux fois: par ceux qui l'ont tué physiquement, mais aussi par les siens qui l'ont oublié et trahi son idéal.

Abou-Bakr Abelard Mashimango, docteur en sécurité internationale et défense.

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