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Publié par La Tribune Franco-Rwandaise

REVUE PLANÈTE PAIX, N°642 Mai 2019 http://data.over-blog-kiwi.com/1/18/92/70/20190720/ob_898136_fichier-pdf-revue-planete-paix-n-642.pdf

Rwanda : la paix et la réconciliation avancent -elles 25 ans après le génocide ?

Par Laurent Munyandilikirwa
Ccoordinateur de l'ODHR, Observatoire des Droits de l'Homme au Rwanda.

Laurent Munyandilikirwa est Rwandais, ancien avocat au Barreau du Rwanda, défenseur des droits de l’homme engagé dans les actions globales de paix et de réconciliation pour la dignité humaine. Il présente la situation du Rwanda vingt cinq ans après le génocide qui a suivi une guerre de quatre ans. Son article a été publié dans la revue PLANÈTE PAIX (N°642  Mai 2019), mensuel édité par le Mouvement de la Paix, joint à cet article.

Rwanda : la paix et la réconciliation avancent-elles 25 ans après le génocide ?

Après une guerre de quatre ans déclenchée le 1er octobre 1990 et qui a débouché sur un génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et d’autres violations massives des droits de l’homme, les Rwandais se souviennent des proches, des amis, des voisins et des centaines de milliers d’autres concitoyens victimes du génocide. 

Cette guerre et ces violations des droits fondamentaux sont la conséquence directe de la mauvaise gouvernance successive des différents régimes à la tête du pays des mille collines durant plusieurs décennies.   Elles sont aussi le résultat de la mauvaise gestion des crises et des migrations forcées qu’elles ont générées et qui ont bousculé toute la région ouvrant droit à une rébellion de réfugiés, soutenue par les pays limitrophes et parrainée par la communauté internationale. La gouvernance actuelle a-t-elle fait la différence pour rassurer la population rwandaise dans sa globalité dans la gestion des crises issues de la guerre pour la paix et la réconciliation ?

Gestion de l’après-guerre

Cette gestion concerne la reconstruction du pays et la justice pour le génocide centrée sur les questions mémorielles. Dans le domaine de la gestion de la reconstruction, des réformes ont été initiées dans le cadre administratif, législatif, judiciaire, foncier, sécuritaire, économique, des droits de l’homme  et d’ouverture régionale et internationale. Actuellement, même s’il y a des contestations des chiffres sur la pauvreté[1], sur le plan économique, le pays force l’admiration régionale et internationale par ses constructions d’immeubles, de routes et d’autres structures ainsi que par ses plans de développement, la place de la femme dans la gouvernance, l’assurance maladie pour tous etc. Le pays est présent partout avec sa diplomatie agressive dans les instances internationales notamment dans l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), East African Community, Union Africaine.

Domaine des droits de l’homme et de la justice

Le tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) créé en 1994 par la résolution 955 des Nations Unies a fonctionné de 1995 à 2015 à Arush en Tanzanie. Il a inculpé 93 personnes et seuls 80 accusés[2] ont été jugés. Ce tribunal s’est refusé de juger les crimes de masse et autres violations des droits de l’homme et humanitaires reprochés aux responsables du Parti FPR (Front patriotique rwandais), actuel parti au pouvoir dirigé par le Président Kagame, sa compétence se limitant aux personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du Droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et sur les territoires d’États voisins entre le 1er janvier 1994 et 31 décembre 1994.

Au niveau national, avec la loi organique du 30 août 1996 sur l'organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l'humanité, les chambres spécialisées auprès des tribunaux classiques pour juger les crimes contre le génocide et autres crimes commis contre les Tutsis couvraient toute la période de la guerre du 1er octobre 1990 au 31 décembre 1994, contrairement au TPIR. Elles ont été fonctionnelles jusqu’en 2002. Plusieurs personnes, assistées pour la plupart par des avocats non formés et intimidés par cette situation post-conflictuelle et organisée par une partie au conflit qui a gagné la guerre, seront jugées par des juges non formés. Vingt-deux personnes condamnées seront exécutées à l’issue de ces procès.

Justice dite transitionnelle ou populaire 

Pour assurer un règlement rapide du contentieux du génocide, ces juridictions Gacaca, comprenaient des personnes appelées juges intègres mais sans formation juridique, ayant juste reçu une formation ad hoc sur les procédures de ces juridictions 3.   Ces juges  pouvaient condamner à des peines allant des travaux d’intérêt général (TIG), à des réparations pour les crimes contre les personnes et les propriétés et à la prison à perpétuité.  Plus d’un million de personnes d’ethnie Hutu ont été jugées par ces tribunaux populaires sans assistance d’un avocat ou d’un conseil. Gacaca, dans la tradition rwandaise, était un mécanisme de résolution des conflits compétent pour juger des conflits entre membres de la communauté et maintenir l’ordre et l’harmonie sociale. C’était un mécanisme destiné à réconcilier.

La loi du 26 janvier 2001 créant les juridictions Gacaca et la situation contextuelle des crimes à juger vidaient le mécanisme de sa substance coutumière[3], car dans la tradition il n’y avait pas de condamnation à la prison. Mais dans le contexte de ces juridictions, de nombreuses pressions ont été exercées sur les juges et sur les parties en fonction de la personne à juger et non en fonction des crimes qu’elle aurait commis. Il faut souligner aussi le fait que, sans avocat et sans respect des principes de base d’un procès équitable, l’harmonie et la réconciliation ne peuvent être imaginées ! Les chambres spécialisées et les juridictions Gacaca n’ont jugé que les crimes commis par le côté hutu mais les crimes commis à grande échelle par le Front patriotique rwandais (FPR) et ses membres ont été occultés.

Une justice impartiale doit être rendue pour tous

Des lois de lutte contre le divisionnisme et le négationnisme ont été mises en place. Toute critique contre le système de justice est qualifiée de divisionnisme ou de négationnisme. Cela n’a pas permis l’expression de l’équité de la justice, d’autres questions de gouvernance, de réconciliation et des droits de l’homme.

Le Rwanda reconnait la Déclaration Universelle des Droits de l’homme et a souscrit à la plupart des instruments internationaux des droits de l’homme, avant le génocide (Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 1975, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en 1975, Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes en 1981, Convention relative aux droits de l’enfant en 1991) et après le génocide (deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et visant à abolir la peine de mort en 2008, Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en 2008). Mais il n’a pas ratifié la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Critiques vis-à-vis du gouvernement rwandais

Le Gouvernement rwandais a été très critiqué par des organisations internationales non gouvernementales et par certaines missions diplomatiques dans les rapports sur les gestions des violations des droits de l’homme commises durant ces 25 dernières années. Il lui est reproché de restreindre l’espace politique et l’espace de la société civile. L’opposition n’existe pratiquement pas malgré un multipartisme apparent. Toute personne qui a tenté de créer un parti d’opposition a été accusée de divisionnisme et de sectarisme, la justification invoquée étant le traumatisme subi par le pays du génocide et de la guerre. Le blocage de la création des partis indépendants pouvant s’exprimer librement dans un pays où les gens ont peur de s’exprimer constitue une violation des libertés d’expression et d’association garanties par les instruments internationaux des droits de l’homme que l’État Rwandais a ratifiés.

Il lui est également reproché de harceler, de faire disparaitre ou d’éliminer physiquement des opposants politiques, des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme. Durant ces 25 dernières années, plusieurs politiques, journalistes, défenseurs des droits de l’homme ont été arrêtés, assassinée ou portés disparus dans des conditions mystérieuses :  en 2010, assassinat du Vice-Président du parti Vert André Kagwa Rwisereka et du journaliste Jean Léonard Rugambage, en octobre 2018, disparition du vice-président du Parti FDU Inkingi Boniface Twagirimana et le 9 mars 2019, assassinat de l’Assistant de Mme Victoire Ingabire.

Ces situations combinées et placées dans le contexte régional conflictuel avec le contexte post- conflit ne contribuent pas ni à la sécurité ni à la paix dans le pays.

Question mémorielle inclusive et lutte contre l’impunité

 Il est vrai qu’un génocide, que des crimes contre l’humanité et que d’autres violations des droits de l’homme ont eu lieu. Il faudrait éviter à tout prix qu’ils ne se reproduisent. Il est aussi vrai que pour que les gens vivent, retrouvent l’harmonie et la réconciliation, il faut qu’une justice impartiale soit rendue en toute équité et pour tous. Le régime actuel, au départ et durant la rébellion, prônait le combat contre l’impunité et la corruption pour une bonne gouvernance et pour la dignité de la personne humaine. Mais le constat après 25 ans de pouvoir et les changements attendus sont loin d’être effectifs pour la paix dans le pays. Les causes tant décriées qui étaient à l’origine de la guerre n’ont pas disparu. D’autres se sont plutôt ajoutées. Notamment, les questions d’envergure nationale comme les questions mémorielles inclusives qui, en fait, ne le sont pas. Ces questions doivent être inclusives pour que toutes les composantes de la population rwandaise (hutu, twa et tutsi) se sentent protégées et comprises, chacun considéré comme citoyen à part entière et sans discrimination à tous les niveaux de la vie du pays.  La question mémorielle inclusive et celle de la lutte contre l’impunité sont aussi centrales pour la dignité de la personne humaine que pour la réconciliation et la paix dans un pays meurtri par la guerre et la région.  

                              Laurent MUNYANDILIKIRWA

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