Charniers oubliés : que s’est-il réellement passé à Masaka et Kabuga ?
Par Hubert Gatorano
Correspondant de TFR à Kigali
Rapportant la version gouvernementale, le journal KT Press (édition du 17 juillet 2018:https://www.kigalitoday.com/kwibuka/article/kabuga-mu-byobo-17-byajugunywemo-imibiri-y-abatutsi-hamaze-gutabururwa-11) a publié la nouvelle selon laquelle un vent favorable avait porté aux oreilles des services de sécurité que nombre d'habitants des secteurs Masaka et Kabuga avaient érigé des constructions sur plusieurs charniers humains.
Dans la foulée, les autorités annoncèrent qu'au cours de cette semaine certaines personnes incriminées avaient été identifiées parmi lesquelles Mr Hermenegilde Safali et Mme Emilienne Uwimana, cette dernière ayant été immédiatement arrêtée pour interrogatoire.
Enfin, elles apportèrent des précisions sur la localisation de ces charniers, entre autres, la localité de Gahoromani/ Secteur Rusororo et évaluèrent le nombre de victimes tutsies qui y avaient été enfuies à 3000. Pour la plupart, méconnaissables, car brûlées à l'essence ou carbonisées à l'acide.
Tenant compte de la propension bien connue des autorités rwandaises au travestissement de la vérité, on est en droit d'être dubitatif sur le récit des événements tel qu'elles l'ont rendu public. D'ailleurs plusieurs témoignages convergents reçus et dont certains émanent des personnes actuellement en train de vivre cruellement ce drame sur leurs personnes corroborent ces doutes.
Sur le plan factuel, soulignons qu'il en ressort principalement ce qui suit :
- Seules les familles hutues sont ciblées, parmi lesquelles celles qui habitaient à Cyimo et Ruyaga (près de la Paroisse de Masaka) avant l'année 1994 ;
- Une partie des charniers opportunément ''découvertes » ces jours-ci est incluse dans le périmètre sécurisé par l’APR/FPR depuis début mai 1994. Il sera immédiatement occupé et habité notamment par l'ex-Président Bizimungu, les militaires de la Garde présidentielle et des autres régiments, les agents des services secrets, les Abakada,..
- C'est pendant cette période en particulier que les maisons de deux personnes incriminées étaient squattées par les militaires. Ces derniers en savent donc plus long sur les restes des personnes trouvées dans ces charniers. L'organisation et l'ampleur des travaux d'excavation, le transport des milliers des corps, l'essence et l'acide utilisés dans la tentative des disparitions des corps suggèrent un défi logistique hors de portée d'un habitant isolée.
- Sans être exhaustif, parmi les personnes exécutées alors, on s'accorde sur les noms des victimes suivantes : Kanyabujinja, Munyabihara, Buregeya, Rwakibibi Said, et sa famille, Jean Sezibera, Butore, le commerçant Sylvain, Higiro, la famille de Paul Kimasa, Kampayana Télésphore et son frère Kabiligi.
- La situation créée par '' la découverte '' de ces fosses communes et la communication sous-jacente des autorités selon laquelle les Hutus de Kabuga et Masaka ont toujours su, mais se sont tu, ces derniers vivent depuis lors dans l'insécurité la plus totale, leur vies étant rythmées par des rafles incessantes. Ceux qui n'ont pas encore étaient capturés vivent en cachette ou s'exilent vers des pays voisins.
3. Les observateurs se posent toutefois la question de savoir pourquoi le FPR ressort le drame vécu par les Hutus de cette région en ce moment précis ou encore pourquoi l'armée s'en mêle. Sachant que les morts n'entrent pas normalement dans le cadre de sa mission, hallucinerait-elle peut-être à l'idée de les voir se relever, prendre les armes et animer un mouvement insurrectionnel conduisant à la chute de la dictature de Kagame ?
Hubert Gatorano, Kigali