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Publié par La Tribune Franco-Rwandaise

Quelques jours avant l'opération Turquoise au Rwanda

(MISE À JOUR : )

Questions à Indigo Ellis, étudiante en sciences politiques à la London School of Economics et auteure en 2016 d’un mémoire de fin d’études sur le génocide du Rwanda dans le département d’Histoire de King’s College London sous la direction de Vincent Hiribarren.

Pourquoi ce sujet ?

On a beaucoup écrit sur le génocide rwandais et sur l’implication réelle ou supposée de la France mais peu de recherches ont été faites sur la façon dont les divisions du gouvernement français ont affecté la prise de décision, les modalités et le calendrier de l’opération Turquoise en charge, en théorie, de préserver la paix au Rwanda. Par conséquent, j’ai commencé en septembre 2015 mes recherches pour écrire un mémoire.

En avril 2015, François Hollande a déclassifié une petite partie des documents présents dans les archives Mitterrand relatifs aux semaines précédant Turquoise. J’avais espéré que ces documents révéleraient plus les motivations et détails concernant les raisons derrière Turquoise, mais en fait, tout ce que ces documents montraient, c’était un gouvernement divisé et désuni. Les divisions de la droite en particulier sur l’opération Turquoise avant les élections présidentielles de 1995 ont commencé à me fasciner. Voici les conclusions de mes recherches.

Quelle est la situation politique en 1994 ?

En 1994, le gouvernement français était dans une impasse politique. Le conseil des ministres avait été bouleversé et reconstitué après les élections législatives de 1993. En vertu de la cohabitation François Mitterrand- Édouard Balladur, la gauche et la droite avaient été contraintes de travailler ensemble, et la coalition du Rassemblement pour la République (RPR) et l’Union pour la Démocratie Française (UDF) de centre-droit qui avait si bien réussi à gagner des sièges en 1993, commençait à se désagréger.

Il s’agissait d’un moment crucial ; les élections présidentielles se profilaient et le Parti Socialiste devait trouver un remplaçant pour François Mitterrand, qui finissait une présidence à deux mandats relativement réussie et qui avait été diagnostiqué avec un cancer des testicules. Le RPR et l’UDF se battaient pour le contrôle de la droite en France.

Pendant ce temps, dans un petit pays d’Afrique de l’Est de la taille du Pays de Galles, un génocide commençait. Le 6 avril 1994, le petit avion offert par l’État français portant deux présidents hutus, le Président Juvénal Habyarimana du Rwanda et le Président Cyprien Ntaryamira du Burundi, a été abattu au-dessus de Kigali. Dans les cent jours qui ont suivi, autour de 800 000 - 850 000 Tutsis et Hutus modérés ont été tués - environ 11% de la population rwandaise.

Quelle a été la réaction française ?

La réaction automatique de la France à ces massacres aurait été d’intervenir militairement - comme ils l’avaient fait en 1990 avec l’opération Noroît, lors de l’invasion du Front Patriotique Rwandais, marquant le début d’une guerre civile de trois ans. Mais le paysage politique en France en 1994 avait changé : les querelles entre le PS, le RPR et l’UDF étaient rudes et ont atteint leur point critique sur la question du Rwanda.

Les partis politiques ont réussi à se mettre d’accord sur le principe d’une intervention «humanitaire» au Rwanda, mais n’ont surtout pas su se mettre d’accord sur la composition de la mission retardant ainsi le déploiement de l’opération Turquoise. Les divisions existantes au sein du gouvernement de cohabitation ont été exacerbées par la formalisation des négociations sur la politique africaine au sein du conseil restreint. Cette période a été marquée par le transfert des décisions-clés prises habituellement depuis la cellule diplomatique et la cellule africaine vers les «sujets diplomatico-militaires» traités par le conseil restreint dans le bureau du Premier ministre le mardi après-midi. Ceci a préparé la scène pour le jeu des egos qui s’en est suivi.

Quels documents ont pu être utilisés pour ce mémoire ?

J’ai analysé chronologiquement quatre documents de juin 1994 sélectionnés parmi les archives Mitterrand déclassifiés par Hollande en avril 2015. Je les ai trouvés sur le site de Jacques Morel (qui a fermé mais depuis disponible ici) FranceRwandaGenocide.org. À voir la liste des membres de FranceRwandaGenocide ainsi que leurs publications, il était évident que leur principale - et peut-être seule - préoccupation était la dénonciation de la politique étrangère française au Rwanda, appelant à rendre compte de l’échec de la France pour empêcher ou arrêter le génocide rwandais. Par conséquent, j’ai trouvé pertinent d’aborder ces sources avec une certaine prudence.

Ces sources, prises conjointement avec la transcription d’une conférence duUnited States Holocaust Memorial Museum (qui m’a été donnée par Linda Melvern), tenue à La Haye en juin 2014, m’ont conduit à la conclusion que les divisions entre les factions du RPR (plus que les divisions au sein de la coalition de droite et de gauche dans le gouvernement de coalition) ont influencé la composition, et donc, la chronologie de Turquoise.

Quelles sont les principales conclusions de ce mémoire ?

Jusqu’en juin 1994, le PS était dirigé par Michel Rocard, mais après les très mauvais résultats du parti aux élections européennes à la mi-juin, Rocard a été remplacé par Henri Emmanuelli. Le président Mitterrand était visiblement malade et ne pouvait pas se présenter de nouveau aux élections et tentait de finir son deuxième septennat sur une note morale. Pendant ce temps, le PS cherchait laborieusement au sein de ses factions un candidat potentiel pour les élections en avril et mai de l’année suivante.

Après la défaite de Jacques Chirac face à Mitterrand pour la deuxième fois en 1988, l’UDF et le RPR avaient décidé de choisir un seul candidat de centre-droit pour les élections de 1995, dans l’espoir qu’un front uni attirerait plus d’électeurs. Les opinions ont cependant évolué et en juin 1994, l’UDF et le RPR avaient lentement dérivé à part, se rendant compte que leur politique d’union ne serait pas nécessairement la meilleure stratégie. D’un côté, il y avait Balladur, et de l’autre il y avait François Léotard, le ministre UDF de la Défense. Deuxièmement, l’UDF était divisée. Une faction, dirigée par Léotard, menaçait de faire sécession de l’UDF pour éviter que Valéry Giscard d’Estaing ne soit de nouveau candidat aux élections. Léotard qui avait lui même des visées présidentielles était de ce fait distrait de ses responsabilités ministérielles.

Globalement, le conseil des ministres était divisé et éparpillé à un moment crucial pour les négociations sur l’intervention rwandaise. Selon des articles de journaux que j’ai consultés, au moment où la décision d’entrer au Rwanda avec Turquoise a été prise, des journaux comme le Financial Times (22 juin 1994) ont décrit comment les divisions au sein du cabinet français étaient aggravées par le fait que Balladur, Léotard, Juppé et Védrine soutenaient tous des candidats différents pour la présidentielle. Les résultats des élections européennes du 14 juin ont aussi contribué à briser la structure fragile des partis puisque «les principaux partis de gauche et de droite ont gagné seulement 40% des voix».

Les divisions au sein des plus hauts échelons du gouvernement de cohabitation Mitterrand-Balladur dans une année électorale importante ont conduit à la lenteur de l’opération Turquoise. Quand l’opération a finalement commencé le 22 juin, elle a été en proie à l’incertitude et l’hésitation en particulier sur ceux qui prendraient part. La France était réticente à faire cavalier seul. Ces divisions politiques selon moi ont également eu une incidence directe sur la composition de la force et sur la nature précise de l’opération. L’implosion du PS après les élections législatives de 1993 est en partie responsable pour cette situation. Mitterrand qui était malade avait les mains liées. Qui plus est, plus l’échéance des élections présidentielles de 1995 se rapprochait, plus l’union UMP-RPR était menacée et plus les divisions au sein du RPR étaient accentuées. Il est important de ne pas négliger ces divisions entre les partis et au sein du gouvernement pour comprendre la composition et le calendrier de l’opération Turquoise. En particulier, mes recherches montrent que la composition de l’opération Turquoise a été retardée à cause des divisions entre les principaux acteurs politiques comme l’insistance de Balladur d’envoyer une force multinationale au Rwanda.

En réalité, l’intervention de la France au Rwanda reste un sujet important toujours responsable de divisions et ceci particulièrement dans un contexte où Juppé se positionne comme candidat pour les présidentielles de 2017.

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Mitterrand’s cohabitation and the Rwandan Genocide

Why did you choose this topic?

Much has been written on the Rwandan genocide, and France’s involvement in it, however little research has been done on how France’s internal governmental divisions affected their decision to enter Rwanda with the alleged peacekeeping Opération Turquoise, when, and how, they did. Therefore, I began in earnest in September 2015 to try and find this out, presenting my findings in a long essay format.

In April 2015 Hollande declassified a small part of the documents relating to the weeks leading up to Turquoise from the Mitterrand archives. I had hoped these documents would reveal more of the thinking behind why exactly Turquoise occurred how and when it did, but in fact all that they pointed to was a divided and disunited government. How the divisions, particularly on the right leading up to the 1995 presidential elections, affected Turquoise began to fascinate me. I will try to outline some of the conclusions I came to.

What was the political situation in 1994?

In 1994, the French government was at a political impasse. Its Conseil des ministres had been upended and reconstituted after the 1993 legislative elections. Under the François Mitterrand- Edouard Balladur cohabitation, the left and the right had been forced to work together, and theRassemblement pour la république (RPR) and Union pour la Démocratie française (UDF) centre-right coalition, that had been so successful in winning seats in 1993, began to unravel.

It was a crucial time; presidential elections were looming and the Parti Socaliste had to find a replacement for François Mitterrand, who was ending a relatively successful two-term presidency and had been diagnosed with testicular cancer. The RPR and UDF were battling for control of the political Right in France.

Meanwhile, in a tiny East African country the size of Wales, a genocide was beginning. On April 6th 1994, the light aircraft that had been a gift from the French state, carrying two Hutu presidents, President Juvénal Habyarimana of Rwanda, and President Cyprien Ntaryamira of Burundi, was shot down over Kigali. In the hundred days that ensued around 800,000 to 850,000 Tutsi and Hutu moderates were killed - approximately 11% of the Rwandan population.

What was the French reaction?

The automatic reaction from France to these burgeoning massacres would have been to intervene militarily – as they had done in 1990 with Opération Noroît, when the RPF invaded, marking the start of a three-year civil war. But the political landscape in France in 1994 had shifted: squabbling between the PS, and the RPR and the UDF was rife and came to a head over the Rwandan genocide.

The parties managed to agree on a ‘humanitarian’ intervention in Rwanda, but, crucially, could not agree on the mission’s constitution, and thereby delaying Opération Turquoise’s deployment. The existing divisions in thecohabitation government were exacerbated by the formalisation of negotiations over African policy in the Conseil restreint, marking a transferral of key decision-making from the separate offices of the Cellule Diplomatique, and the Cellule Africaine, to large ‘sujets diplomatico-militaires’ being treated by the Conseil restreint in the Prime Minister’s office on Tuesday afternoons. This set the scene for the game of egos that ensued.

Which sources did you use?

I chronologically analysed four selected documents, all from June 1994, from the Hollande declassification of parts of the Mitterrand archives in April 2015, found on Jacques Morel’s website (that has since closed down), FranceRwandaGenocide.org. It was obvious from the list of members of FranceRwandaGenocide, and their publications, that their main - and possibly only - concern was the denunciation of French foreign policy in Rwanda, calling to account France’s failure to prevent or stop the Rwandan genocide. Therefore, I found it pertinent to approach these sources with a degree of caution.

These sources, taken in conjunction with the transcript of a United States Holocaust Memorial Museum conference (given to me by Linda Melvern), held in The Hague in June 2014, led to the conclusion that it was in fact the divisions between the factions of the Rassemblement de la république party, rather than divisions between the coalition of the right and left in thecohabitation government, that served to affect the constitution, and hence, the timing of Turquoise.

What are your main conclusions?

The Parti socialiste had, until June 1994, been led by Michel Rocard, but after a dismal showing for the party at the European elections in mid-June, they replaced him with Henri Emmanuelli. President Mitterrand was visibly ill and could not stand for election again, so he was seeking a moral high note on which to end his two-septennat presidency, while the PS were scrabbling through the factions for a potential candidate to field in April and May of the following year.

After Jacques Chirac’s defeat at the hands of Mitterrand for the second time in 1988, the UDF and the RPR had decided to field a single centre-right candidate in the 1995 elections, in the hope that a united front would appeal to a broader demographic. But, opinions changed and by June 1994 the UDF and RPR had slowly drifted apart, realising that maybe their policy of ‘stronger together’ would not necessarily be the best move. On the one hand there was Balladur, and on the other there was François Léotard, the UDF Minister of Defence.

Secondly, the UDF were divided. One faction, led by Léotard, were seceding from the UDF in order to avoid Valéry Giscard d’Estaing rerunning for president, instead putting forward the Minister of Defence himself. Léotard, therefore, it could be said, was distracted from his ministerial responsibilities and the situation at hand.

Overall this paints a picture that the Conseil des ministres was spread thin at a crucial time for the negotiations on Rwandan intervention. According to newspaper articles I consulted, I found that around the time of the decision to enter Rwanda with Turquoise, newspapers such as the Financial Times (22nd June 1994) were reporting that divisions within the French cabinet had been compounded, with Balladur, Léotard, Juppé, and Védrine all backing different presidential candidates. Adding to the political fray were the results of the June 14th Euro-elections, ‘in which mainstream parties of left and right gained only 40% of the vote... helped splinter an already fragile party structure’ for both sides.

Divisions within the top echelons of the Mitterrand-Balladur cohabitationgovernment in an important election year led to the tardiness of the FrenchOpération Turquoise. When it did finally begin on June 22nd it was plagued by uncertainty and hesitation particularly over who would take part. France was reluctant to go it alone. These political divisions, I would suggest, also had a direct bearing on the composition of the force and the precise nature of the operation. The implosion of the Parti Socialiste after the 1993 legislative elections has much to answer for, Mitterrand’s hands were tied on certain issues, he was ill, and the closer to the 1995 presidential elections it became, the more divided the UMP-RPR union became, the factions in the RPR were worsened. It would be neglectful to overlook these inter-party and inter-governmental divisions when discussing the constitution and timing ofOpération Turquoise, though the evidence that I have reviewed points more to the divisions causing an inability for the main political actors to decide on its constitution, particularly in Balladur’s insistence of a multinational force, and thereby delaying its timing.

In reality, French involvement in Rwanda remains a divisive and important issue, particularly with Alain Juppé’s vying for the presidency.

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