Ouganda: Museveni réélu président, l'opposition dénonce une "parodie d'élections"
Réélu après un scrutin qui l'a vu afficher ses penchants autoritaires, le président ougandais Yoweri Museveni s'apprête à entamer une quatrième décennie au pouvoir, mais il lui faudra maintenant convaincre son peuple qu'il a d'autres projets que celui de simplement s'accrocher au pouvoir.
Le principal candidat d'opposition en Ouganda, Kizza Besigye, a déclaré samedi rejeter les résultats d'une "parodie d'élections", quelques minutes après l'annonce de la réélection du président sortant Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 30 ans, pour un cinquième mandat de cinq ans.
"Les résultats de l'élection présidentielle doivent être rejetés", a déclaré dans un communiqué M. Besigye, qui a obtenu 35,37% des voix, contre 60,75% à M. Museveni. "Je vous demande, au nom des courageux citoyens ougandais, de rejeter les résultats de cette parodie d'élections", a-t-il ajouté à l'attention de la communauté internationale.
"Nous avons juste été témoins de ce qui doit avoir (jamais) été le processus électoral le plus frauduleux en Ouganda", a repris M. Besigye, qui a affirmé avoir été placé en "résidence surveillée" et a adressé une longue liste de reproches au régime et aux organes de l'Etat.
"La Commission électorale n'est pas indépendante et tout le monde a pu observer son incompétence technique", a-t-il estimé, avant de dénoncer les gros retards enregistrés jeudi, le jour du vote, le blocage des réseaux sociaux, les restrictions à la liberté d'expression et les arrestations de ses partisans.
"Aujourd'hui, je suis en résidence surveillée. Ma maison est bouclée et je ne suis pas autorisé à partir. Personne n'est autorisé à rentrer dans ma maison", a-t-il repris, ajoutant ne pas avoir non plus accès à internet.
"Cela n'a pas été un processus électoral. C'est un coup d'Etat militaire masqué", a-t-il encore jugé, avant de réclamer la constitution d'une commission internationale pour rétablir ce qui à ses yeux est le vrai résultat des élections.
Son parti, le Forum pour le changement démocratique (FDC), avait déjà appelé samedi "les Ougandais et la communauté internationale à rejeter et condamner la fraude qui a été commise et à la révéler dans son intégralité".
L'impartialité de la Commission électorale a aussi été mise en cause par les observateurs de l'Union européenne et du Commonwealth.
Ces dirigeants africains qui "veulent rester trop longtemps au pouvoir"...
Plus jeune, l'ancien guérilléro, né en 1944, dénonçait ces dirigeants africains qui "veulent rester trop longtemps au pouvoir". Mais il passe à son tour aujourd'hui pour un dirigeant incapable de lâcher les rênes du pouvoir.
Ancien marxiste, il avait été placé dans les années 1990 par Washington au sein de la "nouvelle génération de dirigeants africains" censée remplacer les inamovibles potentats post-indépendances.
Vingt ans plus tard, il est en cinquième position des présidents en poste depuis le plus longtemps sur le continent, derrière Teodoro Obiang Nguema (Guinée équatoriale), Jose Eduardo Dos Santos (Angola), Robert Mugabe (Zimbabwe) et Paul Biya (Cameroun).
Personnage charismatique, n'hésitant pas à faire de l'humour en public, reconnaissable à son éternel chapeau rond à large bords, il s'est attiré la bienveillance de la communauté internationale en mettant en place une armée disciplinée, luttant contre la pandémie du VIH-sida et développant l'économie de son pays.
Revers de la médaille, l'Ouganda de Museveni est également frappé par une corruption endémique, une absence dans les faits de séparation des pouvoirs au profit de la présidence et des violations récurrentes des droits de l'Homme.
Acteur régional incontournable
Mais le chef de l'Etat semble n'avoir que faire des critiques de la communauté internationale, qu'il se plaît régulièrement à brocarder, d'autant qu'il s'est imposé au fil des ans comme un acteur régional incontournable.
Le contingent ougandais forme depuis 2007 la colonne vertébrale de la force de l'Union africaine en Somalie (Amisom), qui lutte contre les insurgés shebab, affiliés à Al-Qaïda.
Plus récemment, les troupes ougandaises ont joué un rôle-clé au Soudan du Sud, en guerre civile depuis plus de deux ans. Leur intervention fin 2013 a contribué à conforter le gouvernement du président Salva Kiir face aux rebelles.
Fils d'éleveurs de bétail issu de la tribu Ankole (ouest) et diplômé en sciences politiques et en économie à Dar es-Salaam (Tanzanie), Museveni a une carrière bien remplie de guérillero et d'homme politique.
Ancien combattant de la guérilla mozambicaine, il travaille brièvement aux services d'espionnage sous la première présidence ougandaise de Milton Obote (1966-1971).
Mais après le coup d'Etat du commandant de l'armée Idi Amin Dada, en 1971, il fuit en Tanzanie et participe à la création du Front pour le salut national (Fronasa), qui, allié à l'armée tanzanienne, reprend le pouvoir en 1979, mettant fin à huit années de terreur.
Museveni occupe les portefeuilles de la Défense et de la Coopération avant les élections de 1980, truquées selon lui et remportées par Milton Obote.
La jeunesse a perdu foi en lui
Début 1981, il créé l'Armée de résistance nationale (NRA), composée au départ de 27 hommes, et lance des raids victorieux sur des casernes militaires dans l'ouest du pays.
Après cinq ans de lutte contre le régime despotique d'Obote, la NRA prend Kampala. Museveni, investi président le 29 janvier 1986, entame son long règne.
Museveni interdit le multipartisme, estimant que les formations politiques sont à l'origine des violences qui ont ensanglanté l'Ouganda depuis son indépendance en 1962.
En 2005, tout en réintroduisant le multipartisme à la faveur d'un référendum, il modifie la Constitution pour abroger la limitation du nombre de mandats présidentiels, ce que bon nombre d'anciens alliés ne lui pardonneront pas.
Entretemps, il a défait des rébellions ou conclu des accords avec pas moins de quatorze mouvements rebelles et s'est finalement débarrassé de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), qui a fui le nord du pays il y a une dizaine d'années vers les pays voisins.
"Si je perds l'élection, je quitterai le pouvoir. J'ai du travail qui m'attend à la maison, des vaches à garder", disait-il avant ce scrutin présidentiel.
Il a finalement conservé le pouvoir, grâce surtout au soutien de la campagne ougandaise. Mais il aura du mal à se réconcilier les villes, en particulier Kampala, où la jeunesse, victime d'un chômage de masse, a depuis longtemps perdu foi en lui.