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Publié par La Tribune Franco-Rwandaise

À huit jours d’intervalle, l’actuel patron des Républicains et l’ex-président de l’UMP se sont expliqués devant le juge Tournaire. Le JDD met à plat la somme de leurs désaccords.

 

Paru dans leJDD
Nicolas Sarkozy, samedi au Parc des Princes, assiste au match de Ligue 1 entre le PSG et le Stade de Reims. (DNphotography)

Deux versions. Deux défenses. Un match au sommet. Assis à la même place, devant le juge Tournaire, Jean-François Copé puis Nicolas Sarkozy se sont défendus bec et ongles… Mais entre eux, les dagues sont sorties. Le premier, contrit, assure qu'en tant que président de l'UMP, il a été tenu dans l'ignorance de tout par son propre bras droit, Jérôme Lavrilleux, et déplore que les coûts de la présidentielle aient pu déraper. Le second, offensif, soutient qu'il n'a jamais rien su des fausses factures de l'UMP, et que ce qui a dérapé, ce n'est pas sa campagne mais les prestations exorbitantes de l'équipe Bygmalion. Un point les réunit : ni l'un ni l'autre n'ont été au courant du système. Un point les divise : pour Copé, il s'agit "d'une spirale de dépenses astronomiques" qui a conduit "l'ensemble de l'équipe de campagne […] à la conclusion absurde de commettre cette illégalité". Pour Sarkozy, au contraire, les deux campagnes, de 2007 et de 2012, "aux mêmes endroits, dans les mêmes salles", n'ont pas pu coûter l'une 20 millions, l'autre 50… En revanche, selon lui, les hommes de Bygmalion "ont fait des fausses factures au seul bénéfice de la société [filiale] Event".

Différence de traitement 

Interrogé par le JDD vendredi, l'avocat de Jean-François Copé, Me Hervé Temime, constate "d'importants désaccords" entre son client et l'ancien président : "Ce que dit M. Sarkozy est très violent, mais Jean-François Copé n'est pas surpris et ne souhaite pas polémiquer." Me Thierry Herzog, l'avocat de Nicolas Sarkozy, se refuse à tout "commentaire". Quant à Me Patrick Maisonneuve, l'avocat de Guy Alvès, patron de Bygmalion, il renvoie tout le monde dos à dos : "Personne ne se souvient de rien, c'est l'amnésie générale, ce n'est plus un problème judiciaire, cela devient un problème médical." C'est dire si l'enquête Bygmalion, en s'attaquant à l'étage politique du dossier, a pris une autre tournure.

Les trois juges en charge de l'enquête, Serge Tournaire, Roger Le Loire et Renaud Van Ruymbeke, ont enclenché cet étage de la fusée fin décembre. Entre le 22 et le 29, deux convocations partent à quelques jours d'intervalle. Jean-François Copé est convoqué, "comme témoin assisté". Nicolas Sarkozy "aux fins de mise en examen", dans tous les volets de l'affaire, abus de confiance, escroquerie, usage de faux, et financement illégal.

Apparemment, comme l'affirme BFMTV, cette différence de traitement a divisé les trois magistrats, mais Serge Tournaire, premier juge désigné, a eu le dernier mot. "Depuis le début de l'instruction, Tournaire donne l'impression de ménager le camp Copé, et notamment Lavrilleux, qui est le seul à ce jour à reconnaître, même à demi-mot, les fausses factures", soutient un avocat du dossier, qui a déjà assisté à plusieurs confrontations avec Jérôme Lavrilleux.

"Tout cela m'a totalement été dissimulé", affirme Copé

Le 8 février, Jean-François Copé se retrouve face aux juges Tournaire et Le Loire. "Je suis heureux de pouvoir répondre à vos questions dans cette affaire qui a constitué pour moi une lourde épreuve, commence-t-il. On m'avait sciemment dissimulé ce qui était une illégalité absolue." Copé assure que Jérôme Lavrilleux avait pris sur lui de ne pas l'avertir du système "qui lui avait été présenté par les équipes de la campagne". "Son erreur avait été de ne pas s'y être opposé et, par ailleurs, et surtout, de ne pas m'en avoir parlé", ajoute-t-il.

Ainsi donc, selon Copé, le système des fausses conventions payées par l'UMP, pour un montant total de 18,5 millions d'euros, aurait été décidé "par l'ensemble des équipes, UMP et présidentielle", insiste-t-il, ménageant son ancien bras droit. Son récit est en ligne avec celui de Lavrilleux, qui affirme avoir été "informé" du pot-aux-roses seulement après le second tour, en mai 2012. Jean-François Copé certifie aussi qu'il n'a joué "aucun rôle" dans la désignation de Jérôme Lavrilleux comme directeur de campagne adjoint de la présidentielle. "Je l'ai appris a posteriori", dit-il. Et si Nicolas Sarkozy a déclaré devant les policiers que c'était au contraire à sa demande exprès qu'il avait pris Lavrilleux, Copé dit "craindre que la mémoire ne lui fasse défaut".

Sarkozy connaît le dossier dans tous ses recoins

Copé nie aussi que le choix de Bygmalion, comme l'a déjà attesté Sarkozy, se soit fait "sur une recommandation très ferme de Jérôme Lavrilleux et de Jean-François Copé" : "c'est totalement faux", et "très inélégant de sa part", dit Copé sur PV ce 8 février. Les juges lui mettent sous le nez 18 millions de conventions bidons, parfois signés avec des signatures falsifiées du trésorier de l'UMP, à une époque où les finances du parti étaient dans le rouge de 50 millions et que les banques menaçaient de couper les vivres, mais Jean-François Copé reste de marbre : "Tout cela m'a totalement été dissimulé. Personne ne m'a fait la moindre alerte"…. Interrogé aussi sur son mariage et les quelques frais pris en charge par Event, il déclare qu'il n'avait "rien demandé" et aurait "bien évidemment payé si on lui avait envoyé une facture".

Un démenti massif, qui permet à l'ex-président de l'UMP, en "lou ravi" ignorant tout du trou dans les finances du parti qu'il dirigeait, de ressortir sans mise en examen en quasi "victime" des agissements de ses subordonnés. "J'ai du mal à penser que le président du parti ne se soit pas interrogé, avait déclaré devant les juges François Logerot, président de la commission des comptes de campagne et des financements politiques. Si c'est le cas, j'ai tendance personnellement à y voir une défaillance grave et incompréhensible de management, et notamment à l'égard des militants du parti." Bref, défaillant mais pas coupable…

Mardi, Nicolas Sarkozy s'assoit à son tour face à Serge Tournaire. Ni Roger Le Loire ni Renaud Van Ruymbeke ne sont là. "Il y a pas mal de tiraillements entre eux", analyse un magistrat du pôle financier. Tournaire, vice-président en charge de l'instruction, interroge donc seul l'ancien chef de l'État. Les deux hommes ne vont plus s'appeler que "Monsieur le Président" pendant onze heures. "Je conteste avec la dernière énergie ce qui m'est imputé aujourd'hui et j'ai bien l'intention de répondre à toutes les questions qui me sont posées comme c'est mon devoir et comme je l'ai toujours fait", commence l'actuel patron des Républicains. Nicolas Sarkozy connaît le dossier dans tous ses recoins. "Il suffit de lire toutes ses auditions, il est capable de citer des pièces et des numéros de cote, sa mémoire et sa préparation sont très impressionnantes", confie un juriste au JDD. Son objectif mardi : éviter la batterie de mises en examen. Son angle de défense : rien et personne ne dit qu'il était au courant des fausses factures de l'UMP.

Selon l'ex-président, Bygmalion a fait exploser le système

L'ancien président soutient que ces fausses factures ne s'expliquent pas par les coûts de sa campagne : "J'ai été deux fois candidat à la présidentielle, dit-il. Les salles, les meetings, les déplacements que j'ai faits en 2012 sont les mêmes que ceux que j'ai faits en 2007." La cinquantaine de réunions publiques de 2007 avait coûté 10 millions… Il cite aussi la commission des comptes de campagne, selon laquelle, les 33 meetings de François Hollande ont coûté 6,8 millions soit 205 000 euros en moyenne, et ses 44 meetings, 11,7 millions, soit 265.000 euros en moyenne.

Sarkozy entend faire la démonstration que c'est l'équipe Bygmalion qui, en 2012, a fait exploser le système. Il cite le budget de l'agence passé de 4 millions à 20 de 2011 à 2012. Il insiste sur les "dividendes" que se sont partagés les hommes de Bygmalion et d'Event. Il martèle les liens de Bygmalion avec l'équipe Copé, "d'abord à l'Assemblée", puis ensuite à l'UMP. Il fait observer qu'en 2012, selon les commissaires aux comptes, Catherine Wautrin, alors trésorière de l'UMP, n'a pas signé les comptes, et que Copé avait dû s'en charger. L'ancien chef de l'État rappelle aussi aux juges que les deux associations de financement de Jean-François Copé ont pour trésorier, l'une Guy Alvès, l'autre Jérôme Lavrilleux… Il cite les nombreux liens personnels entre l'ancien président de l'UMP et les hommes de Bygmalion, dont Bastien Millot. Il s'étonne de curieuses réunions avec Copé, en mars 2014, quand Le Point a révélé l'affaire. Il réaffirme aussi "inélégant ou pas" que c'est à la demande de Copé qu'il avait pris Lavrilleux dans son staff de campagne en 2012, et que c'est encore l'équipe Copé qui lui demandé de faire travailler Bygmalion "qu'il ne connaissait pas". Sarkozy martèle que, quand Guillaume ­Lambert, son directeur de campagne, s'est plaint des coûts de Bygmalion, Lavrilleux a rétorqué "si c'est pas eux on s'en va"… Pied à pied, l'ancien président tend à démontrer que la thèse de Lavrilleux, qui aurait été informé seulement après coup des fausses factures, ne peut pas tenir. Il prie même le juge de sortir une pièce du dossier : un engagement de dépense de l'UMP daté du 29 mars, pour plus de 2,1 millions d'euros au profit d'Event pour des conventions bidons. Le magistrat demande alors à sa greffière de ressortir la cote : le document du 29 mars 2012 est bien signé… ­Lavrilleux.

Comment ensuite venir dire qu'il n'a été informé qu'en mai? "Cela fait plusieurs confrontations qu'on fait remarquer cette incohérence", insiste l'avocat d'un mis en examen de longue date… Nicolas Sarkozy a-t-il ébranlé le juge Tournaire? Quoi qu'il en soit, le magistrat n'a retenu qu'un chef de mise en examen pour financement illégal, abandonnant toute autre poursuite. Le juge motive ainsi sa décision : "Pour avoir engagé des dépenses sans tenir compte des deux alertes adressées par les deux experts comptables de sa campagne les 7 mars et 27 avril." Révélés par le JDD en juin 2014, ces deux courriers, le premier adressé à Guillaume Lambert, le second directement "au candidat Nicolas Sarkozy", tirent le signal d'alarme sur un budget serré et "l'absence de marge de sécurité…" Pour autant rien sur la fraude et les fausses factures. Qui a donc ordonné et mis en place le système? Pour l'heure, l'enquête ne l'a pas mis au jour.

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