France : François Hollande : un discours de rentrée, deux tonalités
Le Monde.fr | Par Nicolas Chapuis
François Hollande aime à changer l’instrument de mesure quand le résultat ne lui est pas favorable. C’est globalement ce qu’il s’est appliqué à faire lors de cette 6e conférence de presse du quinquennat, en plaçant sa présidence sur le terrain de la morale, après avoir échoué jusqu’à présent sur celui du redressement économique.
Ton grave pour aborder les grandes crises internationales, le chef de l’Etat poursuit dans la voie qu’il avait tracée lors du dernier rendez-vous du genre, juste après les attaques de janvier, reléguant au second plan les questions fiscales, budgétaires et sociales. Il cherche dans son propos liminaire, plutôt réussi sur la forme, à se positionner comme le garant de « l’âme de la France » : « Faire France », « être à la hauteur de la France », « faire des choix pour que la France puisse être digne d’elle-même »…
Rarement le président de la République aura autant mis en avant sa haute conception de la nation et par effet miroir, l’impératif moral de sa fonction. Comme si c’était sur sa capacité à défendre la première et à incarner la seconde qu’il voulait être jugé en 2017.
Changement de vocabulaire
Le chef de l’Etat adapte sa stratégie à l’actualité internationale qui a – temporairement – pris le pas sur la politique intérieure. « Il y a des images qui frappent à la porte de nos consciences… », a-t-il expliqué en introduction. Bien sûr, celle d’Aylan Kurdi, l’enfant retrouvé mort noyé sur une plage en Turquie. Mais aussi celles du carnage évité dans le Thalys et de la destruction de la cité antique de Palmyre.
Et à la racine de tous ces événements, la guerre en Syrie et l’expansion de l’Etat islamique (EI). François Hollande avait d’ailleurs décidé d’en faire la principale annonce de sa conférence de presse : la France va procéder à des vols de reconnaissance en vue d’effectuer des frappes aériennes contre l’EI sur le sol syrien. Si une intervention au sol reste pour le moment exclue, le chef de l’Etat met une fois de plus en avant la capacité d’intervention militaire de la France, déjà engagée au Sahel, en Centrafrique et en Irak. Agir sur la cause donc, mais traiter également les conséquences. En annonçant que la France accueillera 24 000 réfugiés d’ici deux ans, François Hollande emboîte le pas de l’Allemagne.
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Certes, ses détracteurs souligneront qu’il apparaît à la traîne face à Angela Merkel, qui a incarné ce week-end l’esprit d’accueil de l’Union européenne. Mais, avec la défense d’une répartition « obligatoire » des demandeurs d’asile, le couple franco-allemand apparaît à nouveau à la manœuvre, après les crises grecque et ukrainienne.
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Surtout, après avoir tergiversé ces dernières semaines, François Hollande semble enfin décidé à faire le pari de l’ouverture pour gérer la pression migratoire. Et entend assumer politiquement ce choix. Il reprend à son compte la proposition du premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, d’organiser en France une grande conférence internationale sur la question. Le changement de vocabulaire est d’ailleurs flagrant : « migrants » est remplacé par « demandeurs d’asile », « réfugiés » ou « déplacés ».
La politique d’accueil est rejetée par une majorité de Français ? François Hollande se résout une fois n’est pas coutume à gouverner contre les sondages. En adoptant cette position – à laquelle ni Les Républicains ni le FN ne sont favorables –, le chef de l’Etat sait qu’il réintroduit un clivage gauche-droite et ressoude son camp, d’ordinaire si divisé sur les questions économiques.
Discours attentiste
L’économie justement. Qu’elle paraisse loin les conférences de presse largement consacrées aux questions fiscales et budgétaires, lors desquelles François Hollande se muait en professeur de finances. Contraint depuis plusieurs mois à un discours attentiste sur le front de l’emploi et de la croissance, il n’évoque aujourd’hui les choix budgétaires de la France que comme un impératif pour conserver notre souveraineté vis-à-vis de Bruxelles et une crédibilité à l’international.
Bien sûr, le chef de l’Etat n’a pas oublié sa promesse d’inversion de la courbe du chômage, à laquelle sa candidature en 2017 est conditionnée. Mais c’est pour la renvoyer sur le terrain de « l’évidence morale », même s’il refuse toujours de préciser les termes du contrat et le calendrier. La majeure partie des annonces dans le domaine socio-économique avait été assurée par Manuel Valls à la sortie de l’été : évolution du droit du travail en renforçant les négociations de branche, pas de modification du pacte de responsabilité, une aide d’un milliard d’euros pour les collectivités locales, et enfin poursuite des baisses d’impôts en 2016. Tout juste a-t-il fixé le cadre de ce dernier engagement. Il s’agira d’une baisse de l’impôt sur le revenu pour huit millions de foyers à hauteur de 2 milliards d’euros. Et pour financer le tout l’Etat devra se serrer la ceinture, car il est exclu de creuser le déficit ou de créer de nouvelles taxes.
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La différence de ton avec la première partie sur l’international est frappante. Le chef de l’Etat apparaît moins à l’aise, s’embrouille sur les réponses, et, chose rare, s’agace contre un journaliste qui lui demande des précisions à propos de son mea culpa sur la suppression de la TVA sociale de Sarkozy, exprimé dans le livre de la journaliste du Monde, François Fressoz, Le stage est fini (Albin Michel, 272 p., 18 euros). « Ce n’est pas par des battements de coulpes que l’on arrive à convaincre », avait-il expliqué auparavant. Et pourtant, s’il veut incarner une présidence « morale » en 2017, François Hollande n’échappera pas à un devoir d’inventaire.