VISITE DE KAGAME EN FRANCE : INTERVIEW DE PAUL QUILÈS
INTERVIEW JDD.FR/PAUL QUILÈS, ancien ministre socialiste de la Défense et président de la mission d'information parlementaire sur la Rwanda en 1998
13 septembre 2011
Après avoir accusé pendant longtemps la France d'avoir participé au génocide de 1994 au Rwanda, le président Paul Kagamé, actuellement en visite à Paris, a déclaré lundi qu'il ne demandait pas "d'excuses" à Paris. Mais le dirigeant n'a pas pour autant retiré le rapport rwandais qui accuse les militaires français d'avoir pris part au génocide, dans lequel 800.000 Tutsis et Hutus modérés ont été tués. Pour leJDD.fr, Paul Quilès, ancien ministre socialiste de la Défense et président de la mission d'information parlementaire sur la Rwanda en 1998, revient sur ces événements.
Le président rwandais Paul Kagamé ne demande pas "d'excuses" à la France pour son rôle au Rwanda en 1994. Qu'en pensez-vous?
S'il ne demande pas d'excuses, il nie, de ce fait, la véracité du rapport Mucyo, qu'il avait lui-même commandé et dont l'objet était de prouver l'implication de la France dans le génocide. Dans ce rapport, on disait que la France et son armée avaient participé à l'exécution du génocide et que les soldats de l'opération Turquoise [opération humanitaire de la France pendant le génocide] étaient venus au Rwanda pour tuer des Tutsis. S'il ne demande pas d'excuses, c'est signe que ces allégations tombent.
Que pensez-vous de la normalisation des relations avec le Rwanda?
On peut s'interroger sur l'opportunité de recevoir un chef d'Etat très contesté sur la scène internationale. Il faut toujours se méfier. Si on avait pris des précautions quand on a reçu Kadhafi, on n'aurait pas eu à se contredire ensuite. Dans le cas du Rwanda, je ne critique pas le fait de rétablir des relations diplomatiques normales avec un Etat, pas avec un régime, mais cela ne doit pas être fait en réécrivant l'histoire. J'ai d'ailleurs écrit à Nicolas Sarkozy pour lui dire que le rétablissement des liens avec Kigali ne devait pas se faire au prix de l'acceptation, même implicite, d'une présentation des événements de 1994 qui impute à la France, mensongèrement, la responsabilité du drame.
Auriez-vous souhaité que Paul Kagamé soit plus clair?
Si le rapport Mucyo, commandé par Kagamé, avait été la description de la réalité, c'est-à-dire que la France a bien participé au génocide, je ne peux pas croire un seul instant qu'il aurait, pour rétablir des relations diplomatiques et commerciales, passé l'éponge.
Au Rwanda, la France a commis "des erreurs de stratégie"
Pourquoi alors avoir écrit ce rapport?
Il était une réponse aux accusations du juge Bruguière qui avait lancé des mandats d'amenés contre plusieurs proches de Kagamé en les accusant d'avoir participé à l'attentat de 1994 contre l'avion du président Juvénal Habyarimana, événement déclencheur du génocide. Suite à ces mandats, les relations avec Kigali ont été très difficiles. C'est dans ce contexte que Paul Kagamé a commandé ce rapport, en fixant pour but de prouver l'implication de la France dans le génocide. Aujourd'hui, de deux choses l'une : ou ce rapport est oublié, et c'est peut être comme ça qu'il faut interpréter les propos de Kagamé, ou il existe toujours, et dans ce cas-là on ne peut pas dire qu'on ne demande pas d'excuses. Accepter que la France, son gouvernement et son armée soient traités comme ils le sont dans ce rapport, en tant que citoyen, ancien ministre et président de cette mission d'informations parlementaire, je trouve ça totalement insupportable. Ce qui ne veut pas dire que la France n'a pas commis d'erreurs au Rwanda. Dans notre rapport, nous évoquons d'ailleurs des erreurs de stratégie. Mais ça n'a rien à voir de dire ça, et de dire qu'on a participé à la planification et à l'organisation du génocide. Les mots ont un sens!
Justement, en visite à Kigali l'an dernier, Nicolas Sarkozy avait évoqué "l'aveuglement" de la France au Rwanda…
Je ne sais pas ce que ça veut dire. Comme il s'agissait d'une ancienne colonie belge francophone, on a cru qu'on pouvait l'intégrer dans l'approche qu'on avait de l'Afrique francophone, alors que ce n'était pas du tout le même développement. Il y avait cet affrontement entre Hutus et Tutsis, la colonisation belge, elle, avait soutenu les Tutsis contre les Hutus. Puis à l'indépendance, il y a eu la revanche des Hutus, qui représentait 80% de la population. La France a alors passé des accords de défense avec Kigali et c'est dans ce cadre qu'elle a soutenu le gouvernement rwandais contre les attaques venues de l'Ouganda, où se trouvaient Kagamé et le Front patriotique rwandais [FPR, aujourd'hui au pouvoir]. La France a vu monter les extrémismes des deux côtés, et dès 1993, lors des discussions d'Arusha, a tenté de faire participer les minoritaires au pouvoir. A l'été 93, Kagamé a même écrit à Mitterrand pour le remercier de tout ce qu'il avait fait pour permettre aux Tutsis de participer au pouvoir. Ce n'est pas de l'aveuglement! Mais il y a eu une forme de naïveté de croire qu'on pouvait démocratiser ce pays en faisant fi des extrêmes. Et dans son engagement, la France est allée un peu trop loin. Mais elle n'a pas appris aux Hutus à se servir d'une machette!