Au Rwanda, pendant les 100 jours du génocide, Pascal Simbikangwa n'a pas vu un seul cadavre. Il faut dire qu'il sortait peu de sa chambre, avec tous les réfugiés, notamment tutsi, qu'il avait dans le salon.
Mercredi, à la cour d'assises de Paris qui le juge pour complicité de génocide, le capitaine a longuement expliqué comment il avait pu passer à côté des massacres qui ont fait 800.000 morts.
Mais attention, il ne veut pas passer pour négationniste, juste se défendre: "J'ai dit que je n'ai pas vu de cadavres, je n'ai pas dit qu'il n'y avait pas de cadavres".
Alors qu'il y avait trois "barrières" dans un rayon de 200 mètres autour de sa maison, il assure n'avoir vu aucun mort. C'est pourtant là qu'on filtrait et massacrait. Dès le début du génocide, "des cadavres d'hommes, de femmes, d'enfants gisaient autour des barrages", avait ainsi témoigné le général canadien Roméo Dallaire, commandant de la force de l'ONU qui échoua à prévenir ou empêcher les massacres.
"Il s'agit de moi, pas de Dallaire, peut-être il passait par des coins et des recoins", lance l'accusé au président Olivier Leurent, qui s'étonne que, seul parmi tous, il ne se soit rendu compte de rien.
Le capitaine multiplie les explications. A cause de son dos (il est paraplégique) quand il sortait avec son chauffeur et ses gardes il s'allongeait dans la voiture... Le ministère des Travaux publics était tout entier mobilisé pour ramasser les morts... Dans son quartier résidentiel de Kiyovu on avait peu tué...
"A Kigali, quelles étaient vos occupations?" demande le président.
"J'écrivais, je restais dans ma chambre, parce que le salon était plein de réfugiés", jusqu'à une cinquantaine le 8 avril, au deuxième jour des tueries.
Car Pascal Simbikangwa a sauvé des gens, notamment deux familles de voisins tutsi. Le fait n'est pas contesté et l'acte d'accusation précise qu'il "ne suffit pas à exclure une éventuelle participation" à d'autres crimes.
- Devoir d'homme -
L'accusé poursuit. Il n'a fait "que (son) devoir d'homme" et les rares fois où il sortait c'était pour aller au ravitaillement ou chercher "des gens qui (l')appelaient au secours".
"Qui?", demande le président. Pascal Simbikangwa commence à énumérer. "Ah mais vous êtes beaucoup sorti alors!"
Diogène Nyirishema et Salomon Habiyakare, gardiens de maisons d'expatriés dans les rues voisines, n'ont pas la même perception que l'accusé de la situation à Kiyovu.
Il décrivent des scènes de peur et de violences, avec attaque de miliciens contre au moins une maison "d'inyenzi", les cancrelats comme on appelait alors les Tutsi, proche de celle de l'accusé, qui fit cinq morts. Et un barrage redouté de la garde présidentielle, dit "des Chinois", situé à une centaine de mètres de chez l'accusé. "On voyait des gens tirer sur eux (les Tutsi)" et "des véhicules venaient ramasser les morts tous les jours", dit Diogène Nyirishema.
Tous deux disent avoir été réquisitionnés par les militaires pour tenir des barrières dans leurs rues et que Pascal Simbikangwa, considéré dans le quartier comme une autorité, a distribué "deux fusils", un à chacun de leurs barrages, où on leur disait de "ne pas laisser passer les +inyenzi+". Finalement, ils n'ont pas eu à tuer.
Mais sur plusieurs points, leurs récits ne collent pas. Pour l'un, Simbikangwa passait régulièrement sur les barrages du quartier, distribuant conseils et ravitaillement. L'autre assure qu'il ne l'a plus vu après la distribution d'armes.
Les avocats de la défense énumèrent tour à tour les différences entre les déclarations à la barre des témoins et celles devant les enquêteurs. "J'ai l'impression que vous donnez souvent une première version puis une deuxième", lance Me Fabrice Epstein.
Le président demande à l'accusé ses observations. Le capitaine Simbikangwa allume son micro. "Merci monsieur le président. J'ai eu l'impression d'assister à un cinéma. Je n'ai jamais rencontré cet homme. Comment expliquer autrement que par la manipulation, la corruption, la terreur, le fait qu'il change du jour au lendemain?"