LES RELATIONS FRANCE-RWANDA NE SE FERONT PAS AU DETRIMENT DE LA JUSTICE
Par Laurent Contini,
Ambassadeur de France
Lundi, 15 Février 2010
Kigali : La justice et la coopération judiciaire entre nos deux pays [le Rwanda et la France, ndlr] n’a jamais été aussi fructueuse et développé que dernièrement affirme le nouvel ambassadeur de la France au Rwanda dans sa première interview accordée à un media local.
Les relations entre le Rwanda et la France qui connaissent un net regain de forme s’étaient détériorées depuis le génocide des tutsi de 1994. Le Rwanda accusait la France d’avoir soutenu l’ancien régime responsable de ce génocide mais la France a toujours nié ces accusations.
Suscitant un certain étonnement, la sortie au mois de janvier du rapport dit « Mutsinzi » du nom du président du comité indépendant mis en place par le gouvernement rwandais pour déterminer qui a commis l’attentant sur l’avion de l’ancien président Habyarimana Juvénal n’a établi aucun rôle de la France dans cet attentat. Le même attentant est considéré comme le signal donné aux génocidaires pour massacrer plus d’un million de rwandais.
L’ambassadeur Laurent Contini est catégorique : « Dire que le rétablissement des relations diplomatiques s’est fait au détriment de la justice pour mettre toutes les affaires sous le tapis est un procès d’intention inacceptable, au contraire il permet le développement de ces dossiers et l’aboutissement d’un certain nombre de ces dossiers », martele-t-il. L’ambassadeur énumère les actions faites pour la cause de la justice : « je suis ici depuis le 19 janvier, j’ai déjà reçu une mission de juges d’instructions français qui enquête sur des présumés génocidaires qui sont réfugiés en France, je reçois au mois de mars une nouvelle mission, je reçois au mois de mai une nouvelle mission. Ceci va dans le sens de la justice internationale ».
Sur le génocide rwandais la coopération judiciaire ne se limite pas seulement entre le Rwanda et la France mais aussi entre la France et la le Tribunal Pénal International sur le Rwanda (TPIR). La France a accepté le rapatriement de deux dossiers importants du TPIR dont celui de l’abbé Wenceslas Munyashyaka et un pole judiciaire consacré à la justice internationale et « notamment aux affaires rwandaises » a été établi au sein de la justice française.
Complémentarité avec les autres bailleurs
Sur la liste des bailleurs de fonds du Rwanda la France [longtemps en première position à l’époque de l’ancien régime] est absente. A peine des projets d’aide sont au stade de planification avec la reprise des relations entre les deux pays. « Nous arrivons de façon modeste, ... beaucoup de bailleurs de fonds ont développé leurs activités de façon importante ici, nous voulons regarder ce que nous pouvons faire ... en complémentarité de tout ce qui se fait. Nous regardons, nous discutons, nous dialoguons avec des autorités rwandaises », dit Mr Contini.
La volonté du président rwandais Paul Kagame exprimée lors de la rencontre avec l’ambassadeur Contini est de voir la France apporter des innovations dans un certain nombre de secteurs. L’ambassadeur croit qu’il (Kagame) « avait à l’esprit le secteur privé, les investissements, l’aide au secteur bancaire et financier... ». L’ambassadeur Contini reconnaît que c’est le genre de chose que la France n’avait pas beaucoup fait dans le passé.
Des missions de Proparco, une filiale de l’AFD (Agence Française de Développement) et spécialiste dans le soutien au secteur privé et bancaire sont récemment venues au Rwanda, apprend-t-on de l’ambassadeur français. « Ces gens sont repartis très impressionnés par ce qui se passait ici et ils vont étudier un certain nombre de possibilités, d’instruments et d’actions pour soutenir le secteur privé et le secteur bancaire ».
En termes d’APD (Aide publique au développement) la France part avec de petites enveloppes en 2010 mais Contini pense que c’est ailleurs que la France se fera une place marquante au Rwanda : Dans les secteurs innovants. « aide au secteur privé, investissements,... il y a des projets industriels qui sont tout à fait intéressants comme l’exploitation du gaz méthane... », dit-il.
La demande de pardon attendra
Les Etats-Unis et le Royaume de Belgique ont demandé pardon au rwandais pour n’avoir rien fait en 1994 pour empêcher ou arrêter le génocide. Beaucoup de rwandais attendaient de la France un geste similaire mais leur vœux n’est pas prêt d’être exaucé. « Mon président a été très clair… il ne s’agit pas seulement du Rwanda… il n’y a pas de repentance et pas d’excuses pour le passé. C’est lui-même (le président Sarkozy) qui l’a défini et qui l’a dit et je crois que nous nous en sommes expliqué avec les autorités rwandaises… », Et l’ambassadeur d’ajouter : « … par contre …là il y a eu de la part de mon président et de la part de mon ministre des affaires étrangères des déclarations qui reconnaissent la responsabilité de la France… »
L’ambassadeur pense que c’est au président français de préciser « ce qu’il entend par là » ce qu’il ferra lors de sa prochaine et courte visite au Rwanda qui aura lieu le 25 de ce mois, visite au cours de laquelle le président français ira au site mémorial de Gisozi pour rendre hommage aux victimes du génocide.
Se félicitant de l’accueil chaleureux de la part des rwandais, tant du coté des autorités que de la population, l’ambassadeur Contini signale que la visite de son président au Rwanda est un symbole fort qui va marquer la reprise des relations entre les deux pays. « la venue de mon président consacre ces retrouvailles … depuis 26 ans aucun président [français,ndlr] n’était venu ici …j’ose le dire c’est historique … ce n’est pas une normalisation comme parmi d’autres» .
Débats politiques rwandais, une affaire interne
Au mois d’août les rwandais vont élire leur président. L’ambassadeur de France au Rwanda n’a pas voulu s’exprime sur ce sujet car « les débats politiques concernent les rwandais, moi je n’ai pas à me prononcer là-dessus, les débats c’est des débats internes, moi je les observe, je les analyse … je suis trop nouveau pour pouvoir me prononcer », avance-t-il sans aller plus loin.
L’ambassadeur nous apprendra que la Radio France Internationale (RFI) rouvrira bientôt ces émissions sur les ondes FM au Rwanda, l’école dit « française » de Kigali, mais qui appartient aux parents français et rwandais, rouvrira également ses portes au mois de septembre avec les classes de maternelle et primaire. Une nouveauté : L’école dispensera les cours en français et en Anglais. « Le bilinguisme [anglais et français, ndlr] est indispensable dans le monde actuel », lance Mr Contini, soulignant au passage que même ses propres enfants doivent maîtriser ces deux langues.
Pour le centre culturel franco-rwandais une architecte française arrive au courant de cette semaine pour étudier un projet qui permettra de garder la salle de spectacle tout en rendant le centre conforme au plan d’urbanisation de la ville de Kigali. « Laissons l’imagination au pouvoir et essayons de profiter de cet instrument formidable qu’a été ce centre pour le développer encore et en faire quelque chose au profit de la ville de Kigali, au profit des rwandais et pourquoi pas de la région ».
De la région justement. L’ambassadeur Contini affirme que lors de la visite du président Nicolas Sarkozy il en sera question dans les conversations entre les deux présidents [Kagame et Sarkozy] car la dimension régionale est au centre de la préoccupation de la France. « Le développement de la région ne peut pas se faire avec l’homme malade. L’homme malade en ce moment c’est le Congo [RDC, ndlr] et surtout l’est du Congo où il se passe des tragédies quotidiennes », dit-il.