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Publié par Tribune Franco-Rwandaise

Arusha, 24 juillet 2013 (FH) -  Avec le transfert ce mercredi à Kigali de l’ancien chef milicien Bernard Munyagishari, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) vient de tourner la page des transferts d’affaires vers des juridictions nationales, avec deux accusés confiés aux tribunaux français et huit dossiers renvoyés à Kigali.

 

Munyagishari rejoint au Rwanda le pasteur Jean Uwinkindi, les six autres accusés concernés étant encore en fuite. Alors que les demandes de renvoi vers Paris sont passées comme une lettre à la poste, il a fallu de la patience au procureur Hassan Bubacar Jallow et des réformes au Rwanda pour que les juges du TPIR donnent leur feu vert aux transferts vers Kigali.

Les préoccupations du Conseil de sécurité

Selon un amendement du règlement de procédure adopté en 2005, le président du TPIR peut, «après la confirmation d’un acte d’accusation, que l’accusé soit placé ou non sous la garde du tribunal, désigner une chambre de première instance qui détermine s’il y a lieu de renvoyer l’affaire» devant une juridiction nationale. Le tribunal international peut se dessaisir au profit du Rwanda, du pays  où l’accusé a été arrêté, ou de tout autre Etat disposé à accueillir et juger cette affaire. La chambre de première instance peut ordonner ce renvoi de sa propre initiative ou à la demande du procureur.
Lorsqu’elle est saisie d’une demande de transfert, la chambre décide «après avoir donné au procureur et, lorsqu’il est placé sous la garde du tribunal, à l’accusé, la possibilité d’être entendu», selon le même texte. Les juges doivent être « convaincus que l’accusé recevra un procès équitable et qu’il ne sera pas condamné à la peine capitale, ni exécuté». Une décision de transfert peut être annulée par le TPIR s’il estime qu’il y a violation des droits de la défense. Les juges ont adopté cet amendement pour répondre aux préoccupations du Conseil de sécurité qui pensait alors que les procès en première instance pouvaient être terminés en 2008. Comme le tribunal  devait un jour fermer ses portes, New York lui avait conseillé de renvoyer certaines affaires vers des juridictions nationales, y compris celles du Rwanda.

L’arrangement entre le procureur et Bagaragaza

C’est le 12 février 2006 que le procureur du TPIR Hassan Bubacar Jallow dépose sa première demande de renvoi. La requête est particulière parce qu’elle rentre dans le cadre d’un accord avec l’accusé. Jallow demande aux juges de transférer vers la justice norvégienne l’ancien patron de la filière thé au Rwanda, Michel Bagaragaza, qui a avoué sa responsabilité dans le génocide et a témoigné contre d’autres accusés au TPIR. Dans le cadre de leur « arrangement », le procureur avait en effet promis à l’ancien responsable économique de le faire juger devant un tribunal européen. A la surprise générale, la chambre désignée à cet effet rejettera la demande, en expliquant que la justice norvégienne n’est pas compétente pour les accusations portées contre ce proche de l’ex-président Juvénal Habyarimana. L’accusé répondait notamment de génocide, un crime qui n’était pas alors prévu dans le code pénal norvégien. Après avoir perdu en appel, le procureur se tournera vers les Pays-Bas, mais toujours sans succès, pour les mêmes raisons. Bagaragaza est donc renvoyé au TPIR où il sera jugé et condamné à huit ans de prison.

Nouveaux rejets
 
En juin 2007, Jallow dépose sa première requête visant à renvoyer un accusé vers la justice rwandaise. La demande concerne un homme en fuite- l’ex- Inspecteur de police judiciaire (IPJ) Fulgence Kayishema poursuivi notamment pour le massacre de près de 2.000 Tutsis qui avaient cherché refuge à l’église catholique de Nyange, dans le Sud-Ouest du Rwanda. Nouveau revers : la requête sera rejetée par les juges du TPIR qui doutent encore que le Rwanda, en dépit de progrès notables, puisse garantir un procès équitable à Kayishema. Quatre autres demandes du genre seront également rejetées pour à peu près les mêmes motifs. Elles visent le riche propriétaire terrien Yussuf Munyakazi, l’homme d’affaires Gaspard Kanyarukiga et le lieutenant Ildephonse Hategekimana. Ces trois seront jugés et condamnés par le TPIR. Mais le Rwanda ne baisse pas les bras. Il s’emploie alors à répondre aux soucis des juges qui n’étaient pas convaincus du système rwandais de protection des témoins et craignaient que les accusés ne soient condamnés, en cas de verdict de culpabilité, à purger leur peine dans l’isolement.
Entre temps, la France se voit confier, sans la moindre difficulté, fin 2007, les affaires impliquant l’abbé Wenceslas Munyeshyaka et l’ancien préfet de Gikongoro (Sud), Laurent Bucyibaruta, tous deux vivant sur le territoire français. Les procès pourraient démarrer en 2015, s’il n’y a pas de non-lieu.

Décision historique

Estimant que des progrès remarquables ont été réalisés par le Rwanda, Hassan Bubacar Jallow, revient le 4 novembre 2010 avec  trois nouvelles demandes visant le pasteur Jean Uwinkindi, l’ancien maire Charles Sikubwabo et, pour la deuxième fois, l’ex-inspecteur de police judiciaire (IPJ) Fulgence Kayishema. L’homme d’église se trouve alors entre les mains du tribunal tandis que les deux autres sont toujours en cavale. Dans une décision historique, le renvoi du pasteur sera autorisé par une chambre de première instance le 28 juin 2011. Dans leur décision, les juges de renvoi saluent « la bonne foi, la capacité et la bonne volonté (du Rwanda) d'appliquer les plus hauts standards en matière de justice internationale ». La décision  est confirmée appel le 16 décembre de la même année et le pasteur sera remis aux autorités rwandaises en avril 2012 après maintes tentatives ultimes de s’opposer à son transfert.

En fuite, essentiellement dans la région des Grands lacs

Cette décision fera tâche d’huile. Les autres chambres de renvoi s’y référeront pour donner des suites favorables aux requêtes visant non seulement Sikubwabo et Kayishema mais aussi le lieutenant –colonel Phénéas Munyarugarama, l’ancien restaurateur Charles Ryandikayo, les ex- maires Ladislas Ntaganzwa et Aloys Ndimbati ainsi que, pour finir, Serushago. Tête baissée, regard fuyant les caméras de la presse, l’ancien cadre du MRND a foulé à nouveau le sol de son pays après des années de clandestinité en République démocratique du Congo (RDC), puis de détention au siège du TPIR à Arusha, en Tanzanie. Les six autres sont encore en fuite, essentiellement dans les pays de la région des Grands lacs africains, selon des sources au TPIR. Le parquet général du Rwanda a entamé les opérations de recherche et il en informe régulièrement le tribunal d’Arusha, dans des rapports dont les versions publiques sont « caviardées », c’est-à-dire expurgées d’éléments d’information pouvant alerter les fugitifs.

ER

© Agence Hirondelle

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