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Publié par IBUKABOSE

Le Monde du 14.09.11

Calculée au millimètre par le protocole de l'Elysée et la pointilleuse sécurité rwandaise, la visite controversée à Paris du président du Rwanda, Paul Kagamé, s'est achevée mardi 13 septembre. Une visite officielle répondant à celle de Nicolas Sarkozy à Kigali en février 2010, qui permet à la réconciliation franco-rwandaise de poursuivre son petit bonhomme de chemin, presqu'en catimini.

Avant l'arrivée du président Kagamé, les diplomates français affichaient une prudence dépassant leurs usages. "On ne sait pas trop à quoi s'attendre", confiait-on dans l'entourage d'Alain Juppé, le ministre des affaires étrangères.

Ils redoutaient notamment que l'homme fort de Kigali - au risque d'un incident diplomatique - ne redemande des excuses à la France accusée dans le rapport rwandais, Mucyo, d'avoir pris part au génocide de 1994. "Nous ne devons pas nous laisser piéger par l'histoire mais (...) construire une nouvelle relation bilatérale entre la France et le Rwanda", a tranché Paul Kagamé, dans un entretien publié mercredi par le quotidien Libération.

Une construction qui en est à ses balbutiements, moins de deux ans après le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays, rompues par Kigali en 2006. La coopération économique illustre l'ampleur d'un chantier à peine déblayé. Ainsi, il n'est pas certain que soit entendu l'appel aux investisseurs français lancé par Paul Kagamé au cours d'un petit-déjeuner qui a rassemblé autour de lui, mardi à l'hôtel Ritz, quelques représentants de grandes entreprises françaises et des entrepreneurs rwandais. La veille, la délégation rwandaise - un pays essentiellement agricole parmi les plus pauvres du monde - avait détaillé ses besoins : barrages hydroélectriques, exploitation de gaz méthane, géothermie, réseaux électriques, transports...

 

"Dictature minoritaire"

 

"Le Rwanda n'est pas une priorité", relativise un investisseur français très engagé en Afrique mais qui avait snobé la réunion. "C'est un petit marché de 10 millions d'habitants donc les enjeux économiques ne sont pas considérables. Et puis, ajoute-t-il, les autorités rwandaises ont créé un environnement ouvertement anti-français. Or les entreprises ont besoin d'être bien accueillies."

"Le but de cette visite, analyse cet homme d'affaires proche du Medef, l'organisation patronale, était essentiellement politique, et l'on percevait une certaine crispation française autour de ce voyage." Lundi, le déjeuner en petit comité des deux présidents ne fut ponctué d'aucune conférence de presse mais sobrement salué par un communiqué de l'Elysée soulignant "une nouvelle étape dans le processus de normalisation entre les deux pays".

Il faut dire que cette visite avait fait grincer pas mal de dents, y compris chez les amis politiques de Nicolas Sarkozy. Et surtout parmi les militaires français qui ne digèrent pas d'avoir été mis en cause par le rapport Mucyo pour le rôle actif qu'il leur attribue dans le génocide. "Recevoir M. Kagamé n'était pas nécessaire", a jugé l'ex-ministre centriste de la défense Hervé Morin. Quant à Alain Juppé, lui aussi ciblé par le rapport Mucyo, il voyageait opportunément en Asie pendant la vite de M. Kagamé.

Tout aussi attendues étaient les critiques des défenseurs des droits de l'homme, tel Reporter sans frontières qui classe le Rwanda parmi "les pires prédateurs de la presse". L'opposition rwandaise en exil avait aussi fait le déplacement pour attirer l'attention sur les dérives autoritaires du régime Kagamé, au pouvoir depuis que ses troupes - alors rebelles - mirent fin au génocide anti-Tutsi. Selon Gerald Gahima, ancien proche du président, condamné par contumace à 20 ans de prison pour trahison et exilé depuis sept ans aux Etats-Unis, "le régime Kagamé est devenu une dictature minoritaire", en référence à l'origine tutsi "ultra dominante", selon lui, au sein du pouvoir dans un pays très majoritairement peuplé de Hutu.

"Paul Kagamé a écarté tous ses anciens alliés y compris au sein de son propre parti (le Front populaire rwandais). Si vous n'êtes pas d'accord avec lui vous courez le risque d'être tué ou emprisonné", dénonce cet ancien procureur général après le génocide et initiateur, il y a neuf mois, du Congrès national rwandais qui prône la réconciliation interethnique. "Plus grand monde ne reçoit le président Kagame, quel est donc l'intérêt de la France à accueillir le président d'un pays qu'il a transformé en prison à ciel ouvert ?", se demande-t-il.

Christophe Châtelot

Article paru dans l'édition du 15.09.11

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