La colonisation, ses méfaits et leurs prolongements (Daniel Mermet)
Daniel Mermet, journaliste-producteur de l’émission “La-bas si j’y suis” (France Inter) lors d’une rencontre avec Dalièle Restoin et les membres de Mémoire à vif.? - photo DR
Parrain de l’association Mémoire à vif, le journaliste Daniel Mermet sera présent non pas en chair mais en mots, au travers d’un texte révolté sur le Rwanda. Il développe ici son point de vue.
Témoin direct de massacres au Rwanda, Daniel Mermet évoque ce terrible choc, point de départ d'une réflexion sur l'activité des occidentaux dans les ex-colonies.
Dans un texte que vous avez consacré au Rwanda, vous écrivez que "L'horreur n'apprend rien"… J'ai fait des reportages au Rwanda en mai 1994 pendant le génocide, avec un confrère de RFI et des hommes du Front patriotique rwandais. On a été les premiers à découvrir un charnier, dans le sud du pays, 500 cadavres qui étaient là depuis 43 jours, et on en a sorti une fillette qui avait réussi à survivre. La rencontre avec le Rwanda, ça a été cela. Mes réflexions ont évolué depuis, l'analyse que je fais aujourd'hui n'est pas celle que je faisais à ce moment-là, mais le choc est toujours là : le monde était au courant, on aurait pu interrompre ça n'importe quand. Ça reste une blessure terrible pour moi.
En quoi cela a-t-il alimenté votre opinion sur la Françafrique ? J'ai bien connu François-Xavier Verschave [fondateur de l'association survie, ndlr]. C'était un type remarquable, vibrant, mais je me demande parfois si aujourd'hui la critique de la Françafrique, qui reste valide, n'est pas un peu un combat d'arrière-garde. La France garde ses influences en Afrique, liées à toutes sortes de trafics, de détournement d'aide au développement, de mécanismes bien connus. Concernant le Rwanda, si elle a une part de responsabilité, ce n'est pas la France qui a commis ce génocide, d'autres sont lourdement impliquées, dont l'église rwandaise. Il n'y a pas que le blanc diabolique, les anciens dominés peuvent être aussi salauds !
La situation de certains pays d'Afrique découle pourtant de la colonisation… La misère a une cause coloniale, indéniablement, mais aujourd'hui ce sont avant tout la mondialisation et les accords commerciaux qui maintiennent ces pays dans la pauvreté et le sous-développement. Par exemple le Mali ne peut plus vivre de son coton, il est concurrencé par des produits qui viennent de nos pays, qui sont subventionnés et soutenus. Tout cela empêche ces pays de se développer. Il y a clairement des formes de néocolonialisme qu'il faut combattre. Maintenant, ce sont les grandes multinationales qui sont présentes. Aujourd'hui, la Françafrique continue d'exister avec des chefs d'Etats qui sont des marionnettes entre les mains des autorités, mais la responsabilité de la France n'est pas aussi grande qu'elle l'était encore il y a 15 ou 20 ans. On ne peut pas se contenter de compassion politique, morale, ou humanitaire. L'humanitaire a montré ses limites et même sa perversité dans ces endroits du monde.
Qu'entendez-vous par là ? L'humanitaire accompagne le néolibéralisme, c'est sa voiture balai. On épuise les ressources et l'humanitaire est là pour mettre un peu de sparadrap sur des souffrances infinies et permettre qu'on continue l'exploitation des ressources. Il y a une complicité de l'humanitaire avec la mondialisation néolibérale, bien sûr, il entretient ces situations, c'est un business florissant. C'est aussi le point de vue de Roni Brauman [cofondateur et ancien président de Médecins sans Frontières, ndlr]. Ça n'empêche pas de respecter les humanitaires qui essaient de se mettre au service des autres et de faire le bien. Mais certains ont des réveils souvent douloureux.
Comment améliorer la situation de ces pays ? Certainement pas par l'humanitaire mais par la politique : on parle toujours des tyrans africains mais il y a des hommes et des femmes remarquables, tout à fait à la hauteur pour diriger leur pays sur un plan politique. La montée des extrémismes, des fanatismes religieux tient de la manipulation : la religion est toujours et partout le moyen du politique, mais l'Islam pas plus et pas moins qu'une autre religion. Et contrairement à l'époque que décrivait Verschave, il y a un retrait de la France dans ces pays au profit de la sphère anglo-américaine, et cela, c'est flagrant.